« Dircoms » : portrait-robot
Vulgarisateur, media trainer, organisateurs d’événements, censeur, vigie, diplomate : les directrices et directeurs de la communication de cabinets de conseil en stratégie ont la double tâche, parfois paradoxale, de faire connaître et de protéger.
Avec des équipes resserrées, peu de moyens, une obsession de la rigueur et de la confidentialité, et un suivi très étroit de ce qui marche ou pas.
Date d’envoi : 24 février 2020. Expéditeur : Kearney. Objet : Coronavirus et approvisionnement mondial : l’effet domino ? Le dossier de presse est adressé aux médias classiques auprès desquels les cabinets de conseil en stratégie communiquent tous en France.
Dans la boucle, on trouve sans l’ombre d’un doute Les Échos, Le Figaro, Le Monde, BFM, certaines des rédactions de Radio France ou l’AFP. Cette fois-ci, l’envoi fait mouche, dans des proportions inhabituelles.
Xavier Mesnard, partner à Paris, est sur le plateau de LCI et France 5 ; Étienne Sebaux, autre partner, se rend de son côté chez Europe 1 et BFM Business. Des médias chauds et de grande écoute qui ne sont pas le cœur de cible pour les cabinets dont les publications trouvent régulièrement des échos dans les colonnes de médias économiques écrits plus restreints tels que L’Agefi ou L’Usine nouvelle.
Au total, le dossier de presse obtient une quarantaine de retombées médiatiques directes en deux semaines. Impact fort, donc. Nicolas Bienvenu, le directeur communication et marketing de Kearney en France, n’y est pas étranger.
« Faire du bonbon »
Pour lui, comme pour ses homologues de la place, un des objectifs principaux est de « faire du bonbon » avec les nombreuses publications (rapports, études, notes) des cabinets. En clair, il leur incombe de faire des publications archi précises, souvent longues et donc peu propices à une lecture grand public, des objets sexy aux yeux de journalistes dont les messageries sont bombardées de 500 mails par jour.
« On ne fait pas de publicité. On fait très peu d'actions de relations publiques pure : on n’invite pas nos clients à Roland Garros. On est très axé contenu », résume Carole Bouchard, la responsable du marketing et de de la communication d’Oliver Wyman en France.
Faire connaître l’expertise du cabinet par tous les moyens dans un milieu concurrentiel sans jamais mettre en péril la confidentialité d’un client ou de ses sujets stratégiques : voilà le paradoxe que les directrices et directeurs de la communication doivent surmonter au quotidien, tout particulièrement dans le conseil en stratégie.
Cela passe notamment par l’organisation d’événements avec des clients et prospects. À l’instar de la première édition du Global Mobility Executive Forum : ce think tank interne à Oliver Wyman était coorganisé avec l’université de Berkeley les 26 et 27 novembre dernier à la Station F à Paris en présence d’une copieuse brochette de responsables publics (Valérie Pécresse, la présidente de la région Île-de-France, Éric Labaye, l’ancien partner de McKinsey désormais président de Polytechnique) et privés (Patrick Koller, le CEO de Faurecia…).
« Cinq cents personnes, cinquante speakers, de grands patrons français et internationaux et on a tout fait en interne au bureau de Paris, avec beaucoup de consultants bien sûr, et avec une pression importante puisque tout le monde chez Oliver Wyman nous regardait. On s’y est mis avant l’été et on avait les mains dans le cambouis dès la rentrée de septembre », se souvient Carole Bouchard.
Tous les événements n’ont pas cette ampleur. La com’ d’Oliver Wyman en organise une trentaine à Paris chaque année, dont la moitié dans ses bureaux.
Faire connaître, donc. Et ce avec des budgets plutôt resserrés et des critères de ROI nombreux : « Nous n’avons pas un budget marketing d’un million de dollars par an, mais un budget raisonnable qui nous permet de faire des choses qui ont de l'impact. Toutes nos initiatives sont mesurées : les retombées dans les médias généralistes, économiques et financiers, le nombre de mentions sur les réseaux sociaux, les invités qui comptent lors de nos événements… » détaille encore Carole Bouchard.
À chaque cabinet des effectifs variables pour le faire, mais des profils analogues : d’anciens journalistes chez Roland Berger, mais aussi d’anciens membres de cabinets ministériels chez McKinsey et, majoritairement, des communicants pur jus formés au Celsa ou au CFPJ.
S’y ajoutent des communicants externes : McKinsey passe par les services de Plead, la filiale de Havas dans la communication stratégique, Mawenzi ou Kea, à une plus petite échelle, se sont attachés les services de plus petites agences, Antidox et Mellecom respectivement.
Charge à tous d’identifier ce qui retient ou non l’attention des journalistes : classements, en évitant l’effet Topito, la prospective telle que la supply chain en 2050, les nouvelles technologies, les chiffres percutants…
Mélanger l’eau et l’huile
Pour les faire émerger, encore faut-il que communicants et consultants parviennent à travailler ensemble. Ce qui ne va pas de soi. Car les uns et les autres poursuivent des objectifs contradictoires : la précision et l’exhaustivité aux consultants, la vulgarisation aux communicants.
Courant janvier et février, la mayonnaise a bien pris chez Kearney : « Plusieurs partners du cabinet se rendent compte que les impacts du début d’épidémie de coronavirus sur la supply chain mondiale vont être lourds, ce dont, à leurs yeux, personne ne prend suffisamment conscience. Nous décidons de tirer la sonnette d’alarme dans une note qui sera adressée aux clients et d'attirer l'attention des médias sur la crise qui s'annonce », se souvient Nicolas Bienvenu.
À Paris, quelques partners sont dans la boucle et en parlent avec la communication qui s’en saisit à son tour, avec les résultats que l’on sait.
Ce n’est pas toujours aussi fluide. Les partners doivent saisir les possibles retombées d’un investissement en temps qu’ils réduisent d’abord à la portion congrue. Ou partent du principe qu’une fois un rapport bouclé, ils l’envoient à la com’ et un communiqué sera sur pied dans la demi-journée.
Alors que les dircoms’, de leur côté, plaident pour les vertus chronophages d’une stratégie de territoires de communication clairs et d’éléments de langage au cordeau. Ce qui ne les exonère pas de travailler les sujets d’expertise du cabinet : rien de pire que de donner l’impression d’arriver en touriste sur un sujet, touriste à qui le partner devra tout réexpliquer.
Puis d’une équipe à l’autre, les capacités éditoriales des consultants qui sont associés aux publications varient parfois beaucoup, entre un profil de polytechnicien et de Sciences Po. Aux communicants de s’adapter aux uns et aux autres.
« Être intégré en amont, et non pas la veille pour le lendemain est essentiel », appuie Robert Amady, responsable des relations médias France chez Oliver Wyman.
Une fois les troupes en ordre de bataille médiatique – ou en désordre selon –, encore faut-il réussir à accrocher l’attention des journalistes. Deux méthodes en la matière : bombarder de mails une liste de 500 contacts ou entretenir un réseau de 10 à 15 journalistes que l’on peut appeler pour les prévenir d’une prochaine parution, pour sonder leur intérêt.
Préparer les passages médias
Lorsque cela mord, le dircom met sa casquette de media trainer. Aux consultants qui s’apprêtent à se faire interviewer pour la presse écrite ou la presse web, il recommande d’avoir devant soi une petite note avec les quelques idées fortes qu’ils souhaitent faire passer et avec quelles formulations, en évitant toute complexité inutile. À ceux qui seront à la radio ou à la télé, surtout quand ce n’est pas en direct, interdiction de faire des phrases longues ou inversées. Sujet, verbe, complément, ce qui évite les risques de coupure à la hache au montage et assure qu’a minima quelques idées courtes et claires resteront. Pour le direct, attention à poser sa voix et à ce que l’on fait de ses mains (de préférence placées devant soi).
Dernière composante de la communication externe : les réseaux sociaux. Là, les dircoms mettent leurs habits de community manager. « À LinkedIn, les clients et les prospects ; sur Twitter, les médias et les influenceurs ; et pour Facebook, les écoles et les alumni », énumère Nicolas Bienvenu chez Kearney.
Le tout encadré par la communication globale des cabinets qui, tout particulièrement dans les firmes les plus multinationales, donnent des lignes directrices générales et se réservent les principales communications – à l’instar des annonces récentes de rebranding.
Éteindre des incendies
Voilà pour le travail de vulgarisation et de promotion tournée vers l’extérieur. Le travail ne s’y résume pas. Aux dircoms aussi d’assurer les arrières de la réputation du cabinet et de ses associés.
Cela passe par de la veille : la lecture assidue de L’Express, du Point, des quotidiens économiques, du Financial Times et du Wall Street Journal, puis de la presse spécialisée secteur par secteur. Cela passe par l’utilisation d’outils spécialisés : des revues de presse sont externalisées à Kantar et un recensement aussi exhaustif des mentions du nom du cabinet sur le Web est effectué via des outils tel Radarly ou Google Alerts.
Le dircom est aussi un peu pompier à ses heures perdues. Quand une heure d’entretien avec un associé ne donne lieu qu’à une demi-citation. Quand l’entreprise est présentée comme elle ne devrait pas : par exemple un cabinet d’audit. Quand au détour d’une de ces mentions, il peut arriver qu’il s’aperçoive que les citations disent le contraire de ce que le consultant a voulu dire. D’où, ici comme ailleurs, des demandes de relecture de citations. La hantise : qu’un consultant ou que le cabinet passent pour des benêts.
Pompier voire démineur dans les cas extrêmes quand les cabinets se retrouvent associés à des affaires très polémiques. Comme lorsque le New York Times a mis en cause McKinsey dans une série d’articles auquel le cabinet a répondu pied à pied plusieurs mois durant ou que Bain est mis en cause en Afrique du Sud. En France, Kearney se fit brocarder pour son rôle supposé auprès de l’État dans la vente d’Alstom à GE.
« Nous sommes à l’affût de sujets sensibles comme celui-là. En l’occurrence, le cabinet avait pu s’exprimer sur son rôle devant la représentation nationale. Si remises en cause il y eut, elles furent la plupart du temps très marqués politiquement et peu crédibles », se souvient Nicolas Bienvenu.
Mais globalement, le conseil en stratégie est un secteur où il fait bon faire profil bas et les occurrences de communication de crise à l’échelle des bureaux parisiens ne se produisent quasi pas. Hormis exception en France : comme lorsque Mars & Co fut mandaté pour le gouvernement Fillon en 2008 pour évaluer les ministres.
Ne pas se faire placardiser et tenir bon
Le reste du temps, l’enjeu est aussi de ne pas se faire placardiser quand les consultants sont sous l’eau et n’ont absolument pas le temps de communiquer. Par exemple en décembre, ou mai et juin, quand un certain nombre de missions arrive traditionnellement à leur terme. Et a contrario ne pas être submergé quand ils ont plus d’air et qu’ils sont volontaires pour que leurs travaux aient de l’écho à l’extérieur.
« Il faut être hyper flexible. Parfois les consultants sont stressés ou répercutent le stress de leurs clients. Les agendas sont serrés et les communicants ne sont pas en tête de leurs priorités. Il faut s’adapter aux personnalités, prendre sur soi et savoir dire non », glisse un dircom qui n'a pas souhaité être cité sur ces propos.
Un rôle multicarte qui ne convient pas à tous les profils, même s’il peut être porteur à l’instar de ces anciens communicants chez Roland Berger, Kearney ou McKinsey en France partis ensuite au marketing et à la communication de Danone, de l’Edhec ou de HEC.
Ce qui n’en fait pas non plus un plan en or. Début mars, avant le démarrage de la crise du coronavirus, le poste de directrice de la communication laissé vacant en décembre chez Roland Berger cherchait encore un remplaçant définitif.
Benjamin Polle pour Consultor.fr
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