Cessions du Doliprane et de Biogaran : qu’en disent les consultants ?

Vente d’Opella, la branche santé grand public de Sanofi qui produit notamment le Doliprane, tentative de cession – ajournée – de Biogaran par Servier… Que disent ces mouvements des conditions actuelles de la création de valeur dans l’industrie pharmaceutique ? Le regard de plusieurs associés d’Advention, CVA et Eight Advisory S&O.

Lydie Lacroix
14 Oct. 2024 à 05:00
Cessions du Doliprane et de Biogaran : qu’en disent les consultants ?
© benjaminnolte/Adobe Stock

Certes, la vente de la filiale de médicaments génériques du laboratoire Servier a fait pschitt. Le montant de certaines offres aurait atteint « plus d’un milliard d’euros » d’après une source proche du dossier. En deçà des attentes ?

Les conditions imposées par le gouvernement étaient « drastiques » selon Alban Neveux, DG Groupe et cofondateur d’Advention. Du côté du cabinet de l’ancien ministre délégué à l’Industrie Roland Lescure, on évoquait de sérieuses « mises en garde quant aux conditions potentielles de rachat ». Or, quand des acquéreurs réfléchissent « à un modèle de valorisation », ajoute Frédéric Missé, cofondateur d’Advention et expert santé-pharma, « une partie de celle-ci provient des synergies de coûts qu’il est possible d’identifier. En l’occurrence, les contraintes ont dû limiter ces synergies potentielles ».

Eight Advisory a travaillé sur le dossier Biogaran pour un fonds d’investissement. Pour William Berger, associé en Strategy & Operations chez Eight Advisory et responsable du secteur de la santé avec Jean Guillou, la principale question posée était : « Biogaran va-t-il rester européen ? »

En France, Biogaran s’octroie 30 % des parts de marché sur les médicaments génériques, avec 51 % de sa production made in France (90 % made in Europe) et des collaborations incluant 39 sous-traitants dans tout l’Hexagone.

Servier empêché, Sanofi rasséréné

Réuni le 26 septembre pour examiner les offres fermes déposées par le fonds d'investissement américain CD&R et le fonds français PAI Partners adossé à des co-investisseurs étrangers, le conseil d’administration du géant de la pharma a décidé de « poursuivre des négociations exclusives » avec le fonds US. La valorisation d’Opella atteindrait plus de 15 milliards d’euros – sachant que Sanofi souhaite pour l’instant rester au capital. Dans un second temps, le bras financier de l’État, Bpifrance, devrait par ailleurs participer au tour de table.

Le 11 octobre, le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, Antoine Armand, et le ministre délégué chargé de l’Industrie, Marc Ferracci, ont déclaré « prendre acte de la décision de Sanofi », qualifiant le fonds d’investissement choisi de « sérieux, [avec] des perspectives positives pour le développement global d’Opella ainsi que pour les sites implantés en France ». Ils ont toutefois rappelé aux deux parties « les points de vigilance du gouvernement », déclarant mobiliser l’ensemble des outils à leur disposition, dont ceux « permettant de contrôler les investissements étrangers en France ». L’annonce de Sanofi a suscité de vives réactions chez des parlementaires de tous bords.

Si les mouvements qui l’affectent sont scrutés avec une telle vigilance, c’est que le secteur pharmaceutique est stratégique pour l’économie française à de multiples égards : dimension d’innovation, nombre d’emplois induits, excédents de commerce extérieur générés, enjeux de souveraineté…     

Deux types de positionnement stratégique pour la création de valeur

Au-delà de ces opérations ultra-médiatisées, Alban Neveux fait remarquer que les laboratoires « se séparent régulièrement de certaines activités pour se concentrer sur les plus rentables ». Or, les aires thérapeutiques dans lesquelles les dépenses de santé devraient être le plus élevées à l’horizon 2027 sont l’oncologie, l’immunologie et les antidiabétiques (source : Leem – Les entreprises du médicament). « Actuellement les Big Pharma ont, structurellement, des croissances inférieures au marché du médicament. D’où leur recherche de leviers de croissance dans des activités porteuses. »

Le plan stratégique de Servier à horizon 2030 – qui ne serait pas remis en cause par la vente avortée de Biogaran – en témoigne : il prévoit un chiffre d’affaires de 6 milliards d’euros dès 2025 et de 8 milliards en 2030, essentiellement grâce à sa franchise oncologique. Pour son activité de médicaments innovants (dont l’oncologie fait partie), il vise une multiplication par trois de ses ventes : 1,07 milliard d’euros en 2023, 3 milliards en 2030.

Par ailleurs, dans le portefeuille d’activités des laboratoires pharmaceutiques, les médicaments délivrés sur ordonnance « ont un business model spécifique qui repose sur des molécules “blockbusters” très rentables, mais nécessitant beaucoup de R&D. Les médicaments sans ordonnance [les génériques étant représentés dans 34 des 171 classes thérapeutiques en accès direct, ndlr], en ont un autre, plus proche de celui de la grande consommation », souligne Frédéric Missé. Pour ces médicaments, la logique est davantage « dans le volume de ventes et la compétitivité des coûts».

Selon Olivier Vitoux, partner et pilote de la plateforme Nouveaux systèmes de santé chez CVA, la production de génériques s’apparente « à un business de sous-traitants +, une activité d’industriels qui n’aiment pas vraiment le risque et n’attendent pas beaucoup de “rewards” non plus ». Or, quand deux entités coexistent tout en relevant de mécanismes économiques distincts et qu’il y a peu de synergies entre elles, l’une des deux est « nécessairement lésée ».

Le questionnement des grands acteurs sur la rentabilité de leurs activités se combine à celui de la dimension « cœur de métier ou potentiellement cessible », ajoute William Berger d’Eight Advisory S&O. « On trouve ainsi des modèles fabless ou sans usine, et des modèles de sous-traitants comme Synerlab sur lequel nous avons travaillé via un fonds d’investissement. Parmi ces sous-traitants, certains se spécialisent sur telle ou telle forme galénique [comprimé, gélule, sirop, collyre, crème, solution injectable - ndlr] alors qu’il y a quinze ou vingt ans, un laboratoire traitait lui-même en interne une grande partie de ses formes galéniques. »

Un écosystème en mouvement qui opère… des allers-retours

Dans les années 2000, les médicaments génériques étaient considérés comme « les vilains petits canards » selon Frédéric Missé d’Advention. « De nombreux laboratoires y ont donc renoncé ». Dix ans plus tard, ils ont connu un retour en grâce en raison « de leur profil de risque plus faible que les médicaments innovants ». À présent, un certain nombre d’acteurs réinterrogent la pertinence « de faire une cession afin de réinvestir dans des domaines thérapeutiques nécessitant de la R&D ».

Par ailleurs, au-delà des grandes familles de médicaments, Sanofi, Pfizer et consorts cèdent régulièrement des molécules devenues moins rentables à d’autres acteurs, lesquels travaillent sur ces médicaments « moins stars » et les commercialisent dans d’autres zones géographiques par exemple. Chaque année, Advention accompagne ce type d’opérations.

Au global, si l’on peut parler de mouvements cycliques, la tendance actuelle à la focalisation comporte une part de nouveauté selon Alban Neveux. À savoir : la volonté des laboratoires de se consacrer « à des thérapies complètes » afin d’être en mesure de fournir toutes les molécules requises – dans le cas de l’oncologie notamment.

Autre tendance à l’œuvre, l’extrême souci « d’efficacité opérationnelle » selon William Berger, dont le cabinet est intervenu cette année pour «de grands laboratoires, fabricants de dispositifs médicaux et réseaux de services de santé ».

Des éléments de contexte, politique ou réglementaire, jouent également un rôle dans les variations de positionnement des uns et des autres, avec des contrôles et normes européennes notamment qui s’imposent aux acteurs locaux de la pharma exclusivement.

Et si ces spin-offs relèvent d’une logique industrielle, celle de la souveraineté ne peut être mise de côté pour un secteur dont la contribution à la santé publique est primordiale. Bien qu’encouragée par le gouvernement et les pouvoirs publics – via plusieurs plans d’investissement et la mission interministérielle « Régulation des produits de santé » –, la relocalisation s’apparente encore à la quadrature du cercle, entre prix régulés des médicaments remboursables (qui incitent à produire à bas coût malgré d’autres avantages) et prise en compte exclusive des critères d’efficacité du principe actif et de prix par les autorités de santé - là où « l’impact sur le bilan carbone, l’emploi local, les risques de pénuries, etc. » devraient l’être aussi selon Olivier Vitoux de CVA. Dans cette perspective, le cabinet mène des missions de « tender shaping » auprès des autorités en question.

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Quasi 3 ans après les grandes annonces et mesures gouvernementales sur la relocalisation de certains produits de santé, l’heure est au questionnement. Un effet d’annonce très réussi, certes, mais où en est-on concrètement de ce plan ? Faut-il – et peut-on – vraiment relocaliser médicaments et produits actifs ? Des questions éminemment politiques auxquelles les cabinets actifs dans le secteur rechignent à exposer leur point de vue. Cepton et CVA ont, eux, joué le jeu.

Le développement de nouvelles thérapies géniques en oncologie via « de tout petits lots de production exigeant proximité et modularité » - tel que mentionné par Frédéric Missé d’Advention -, pourrait être l’un des aiguillons financiers d’une production près de chez nous.

Advention Corporate Value Associates Eight Advisory - strategy & operations Alban Neveux Olivier Vitoux William Berger
Lydie Lacroix
14 Oct. 2024 à 05:00
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commentaires (1)

Drole...
15 Oct 2024 à 09:22
De voir que tous ceux qui parlent n'ont pas travaillé sur le dossier.

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Adeline
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Doliprane, Opella, Biogaran, Sanofi, Servier, cession, création de valeur, médicaments génériques, business model, souveraineté, oncologie
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Advention Corporate Value Associates Eight Advisory - strategy & operations
Alban Neveux Olivier Vitoux William Berger
2024-10-15 16:24:17
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