Cryptomonnaies : rendez-vous en terre inconnue
Bitcoin, ethereum, ripple, litcoin, zcash, dash, stellar…, des noms barbares pour les néophytes, mais de l’or en barre pour les connaisseurs. Le secteur des cryptomonnaies explose depuis quelques années seulement… et ce n’est à priori qu’un début. Pourtant, rares sont les cabinets de conseil en stratégie qui interviennent auprès de ses acteurs. Un monde vierge à décrypter pour les consultants. Oliver Wyman et Eight Advisory font partie de ces cabinets pionniers dans l’univers encore ténébreux des crypto.
Le conseil en stratégie ne s’est pas vraiment emparé de ce marché (encore) de niche qui a dépassé les 3000 milliards de dollars de capitalisation pour la première fois de sa courte histoire en novembre dernier (selon le site CoinGecko), et qui connaît des taux de croissance exponentielle, particulièrement ces deux dernières années.
Le secteur des cryptomonnaies, très opaque, encore peu cadré juridiquement, est encore très souvent pointé du doigt pour faire la part belle au blanchiment d’argent. Les cabinets présents sur le secteur le découvrent « en marchant ». Le BCG a accompagné il y a plus d’un an le lancement d’une plateforme de trading dédiée (relire ici). Oliver Wyman effectue des missions auprès de banques centrales afin de les conseiller dans la réflexion sur la création de leurs propres monnaies numériques (CBCD, Central bank digital currency, i.e monnaie digitale de banques centrales), mais aussi auprès de groupes bancaires traditionnels pour en saisir les impacts et opportunités. Eight Advisory a, quant à lui, effectué une mission d’accompagnement en 2021 pour le rachat par son client d’une entreprise franco-américaine dans le cloud computing, détentrice de cryptomonnaies grâce à des opérations de minage. Où il a été question, entre autres, de définir la valeur des fonds détenus en Ethereum. Une première dans le monde d’initiés des cryptos pour ce cabinet, très actif dans le deal et le restructuring.
Des actifs numériques à succès
Les cryptomonnaies (aujourd’hui 6 700 crypto différentes répertoriées, selon CoinMarketCap.com), adossées aux technologies de blockchains (sujet d’innovation porteur pour les cabinets durant quelques années, notamment pour le BCG, relire ici), sont entrées dans la cour des grands.
Le N°1 référent, le Bitcoin, 40% du marché, valait 10€ en 2009 lors de sa création, il atteignait les 69 000 € le 14 novembre dernier, et quelques 33 300€ au 31 janvier 2022. « N’oublions pas que le bitcoin a été créé à la suite de la crise financière de 2008 pour en contrer ses causes. En effet, la plupart des cryptomonnaies, comme c’est le cas du bitcoin, sont construites sur des blockchains ayant une gouvernance décentralisée et sur des modèles déflationnistes », recontextualise Frédéric Blache, associé en charge de l’équipe data & digital d’Eight Advisory. Les plus optimistes l’annoncent à des cours records, 100 000$ (88 000€) cette année prédit Nayib Bukele, le président salvadorien. Le Salvador est le premier pays au monde à avoir légalisé en septembre dernier le bitcoin comme devise légale (au même titre que le dollar US). Selon les derniers chiffres du secteur, sa capitalisation boursière s’élève à 927 milliards de dollars. Et que dire des dernières nées des cryptomonnaies, les NFT (Non Fungible Token), ces actifs numériques dont la valeur totale a été multipliée par dix entre 2020 et 2021 ?
Les pour et les contre
Un marché de monnaies virtuelles ultra fluctuant (le cours du bitcoin a dévissé en novembre dernier) qui a ses farouches opposants et ses adeptes convaincus. Pour les premiers, il est une bulle spéculative extrêmement volatile, qui peut s’effondrer d’un instant à l’autre. Avec des raisons parfois purement politiques. « Certains grands pays, comme la Chine, ou des organisations internationales de premier plan, ne reconnaissent pas officiellement le bitcoin comme monnaie. A l’inverse, un pays comme le Salvador officialise le Bitcoin pour tenter de regagner sa souveraineté monétaire », assure l’associé d’Eight Advisory Frédéric Blache.
Pour les pro, les cryptomonnaies sont considérées comme l’argent du futur. Et un argent à haut potentiel. En novembre dernier, le PDG milliardaire de Twitter et de Square (société de paiement), Jack Dorsey, quittait le réseau social à succès pour se consacrer à sa passion, le bitcoin, qui deviendrait, selon lui, la seule monnaie d’échange internationale d’ici 2030. Facebook a annoncé en 2020 le lancement de sa propre crypto, le Libra, renommé depuis Diem, avant d’y renoncer et le céder à sa banque partenaire Silvergate capital pour 200 millions de dollars (selon Le Wall Street Journal). Paypal accepte depuis un an les bitcoins comme monnaie d’échange.
Au-delà de la pure spéculation
Pour l’instant les cryptomonnaies peuvent être perçues comme des produits avant tout spéculatifs, mais pas seulement selon les consultants Eight Advisory. Ainsi, il est important de dissocier les crypto de leurs sous-jacents, les blockchains, qui permettent de nombreux cas d’usage, notamment grâce aux smart contracts (ou contrats intelligents, des programmes informatiques irrévocables). « Ce n’est pas un effet de mode car aucune mode ne dure deux ans. Par ailleurs, on peut considérer les cryptomonnaies comme purement spéculatives, mais il y a des cas d’usage très concrets. Elles pourraient ainsi permettre à 1,7 milliard de personnes non bancarisées d’accéder aux transactions financières, avec des frais de transaction limités », analyse Frédéric Blache d’Eight Advisory. « Elles font partie des technologies dont les usages sont encore peu matures mais qui se développent. L’émergence des NFT permet de certifier l’authenticité ou la propriété d’un bien numérique. Des blockchains permettent la création de metaverse. Les blockchains sont à la base de la promesse du web3.0 », complète Frédéric Blache.
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Le pari du Boston Consulting Group dans les cryptomonnaies, un pari réussi ? Cela pourrait être prochainement le cas dans le cadre de l’introduction en Bourse de la plateforme de trading Bakkt, fondée aux États-Unis et qui compte dix millions d’utilisateurs, dans laquelle le cabinet a investi en 2018 et 2020 aux côtés notamment de Microsoft et d’autres investisseurs.
La version stable du bitcoin
Et pour réduire la volatilité -donc le risque- du marché des crypto classiques, le secteur a vu apparaître au fil des ans les stablecoins, le meilleur des mondes entre les possibilités technologiques permises par les cryptomonnaies et la stabilité des monnaies traditionnelles sur lesquelles ils sont adossés, l’euro, le dollar, l’or… Les banques centrales restent, elles, très critiques à l’égard des crypto, y compris de ces stablecoins. Dans un rapport récent, la Banque des règlements internationaux (BRI), l’organisme mondial des banques centrales, les rejette purement et simplement.
La cyber contre-attaque des États
Certains États et institutions publiques s’intéressent également de près aux cryptocurrencies. Les Central Bank Digital Currency (CBDC), les monnaies digitales des banques centrales, sont étudiées de près par de nombreux pays dans le sillage de l'essor des cryptomonnaies privées et plusieurs banques centrales planchent sur le sujet. Le 2 septembre 2021, l'Australie, la Malaisie, Singapour et l'Afrique du Sud ont annoncé vouloir expérimenter les paiements transfrontaliers en utilisant des monnaies numériques de banque centrale à travers le projet Dunbar. En Europe, l'Allemagne pousse pour la création d'un euro numérique. « L’Europe doit être aux avant-postes de la création d’une monnaie numérique commune et activement œuvrer pour que ce nouvel outil de paiement voit le jour », a plaidé dès avril 2021 le ministre allemand des Finances, Olaf Scholz. Un sujet devenu récurrent pour Oliver Wyman, l’un des cabinets régulièrement sollicités sur ces questions. « Nous travaillons sur ce sujet depuis deux ans environ, avec une accélération en 2021. Nous intervenons auprès des banques centrales et autres institutions sur la réflexion autour de cette problématique au niveau mondial, et plus particulièrement de l’impact des CBDC, et des opportunités dans ce domaine pour les acteurs bancaires traditionnels », explique Thierry Mennesson d’Oliver Wyman.
Une question de souveraineté financière
Mais pourquoi les banques centrales se mettent-elles aux monnaies numériques ? Une question de souveraineté monétaire avant tout. Les CBDC, un moyen d’émission d’argent digital fiduciaire, pour une nation et sur un territoire donné, ont été imaginés pour contrecarrer les crypto classiques. Et lorsque Facebook, et ses quelque 2,5 milliards d’utilisateurs, a fait le buzz sur le lancement il y a près de deux ans de sa crypto, les États y ont vu une menace directe de leur souveraineté monétaire et ont accéléré leur propre chantier de monnaie numérique. « C’est une réponse des régulateurs officiels qui perdent leur pouvoir économique et financier qui se retrouvent entre les mains de monnaies libres qui rivalisent avec le monopole de l’argent des banques centrales de chaque pays et déstabilise le système. Les banques centrales veulent garder leur rôle prépondérant sur les échanges financiers », détaille Thierry Mennesson. Le secteur de la finance est lui confronté à une nouvelle concurrence, celle de la DeFi, la Finance décentralisée. Ce système financier parallèle repose sur la technologie de la blockchain et offre des services financiers instantanés sans intermédiaire.
Un enjeu, mais du retard à l’allumage
Enjeu de souveraineté monétaire, mais pas seulement. Les bénéfices potentiels de la mise en place de CBDC seraient multiples : réduction des transferts d’argent, du cash et des coûts d'intermédiations, simplification et diminution des coûts des paiements transfrontaliers, lutte contre le blanchiment d'argent et la corruption, inclusion financière. « Cette monnaie a un autre intérêt un peu moins répandu, pour l’instant en tout cas, c’est sa programmabilité, c’est-à-dire la capacité à la rendre utilisable que dans certains cas particuliers, par exemple pour acheter des médicaments, revitaliser les centres-villes, stimuler une relance économique, etc », ajoute le partner d’Oliver Wyman qui intervient pour le compte de grandes institutions financières publiques et d’acteurs bancaires plus traditionnels sur les modalités de mise en œuvre (de l’écosystème aux technologies), la gestion des risques associés, ou encore l’évaluation des risques et impacts… Et un retard déjà à combler sur le territoire européen selon le Partner d’Oliver Wyman. « Le marché des cryptocurrencies est aujourd’hui un marché essentiellement en dollars et pas en euros. C’est révélateur ! Et l’écosystème européen (entrepreneurs, fonds, institutionnels) ne semble pas se structurer pour autant », regrette Thierry Mennesson. Au total, selon la Banque des règlements internationaux, elles seraient plus de 70 banques centrales à préparer leur monnaie numérique, dont l’UE sur l’euro numérique. On en parle donc beaucoup, mais pour l’instant il y a relativement peu d’acteurs en Europe. Seuls CBDC effectivement lancés, le Sand Dollar des Bahamas et le Bakong de la Banque nationale du Cambodge.
Les cryptomonnaies représentent-elles pour autant l’argent du futur comme le prédisent ses adeptes ? Rien ne le permet de l’affirmer selon les experts. « Au-delà des initiatives privées comme la Libra de Facebook, l'avenir des cryptos dépendra aussi beaucoup des régulateurs et des réglementations qui seront mises en place. Ce qui est sûr, c’est que leur valeur a beaucoup augmenté depuis deux ans alors que celle des autres produits financiers reste stable. Les cryptocurrencies vont continuer à se démocratiser et à se développer, et préparer le terrain des CBDC », prédit Thierry Mennesson d’Oliver Wyman. Pour Eight Advisory, même son de cloche. Il est encore trop tôt pour savoir comment le monde va évoluer sur ce sujet, à quelle vitesse, et quelle sera l’efficacité des réponses des États.
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