D’A.T. Kearney à la cuisine pour tous
Fondatrice de l’Atelier des sens, leader français des cours de cuisine aux particuliers, Natacha Burtinovic a su utiliser son expérience dans le conseil pour développer avec succès une idée que « beaucoup avaient eue » avant elle.
Ont-ils cru à un pétage de plombs ? En septembre 2003, Natacha Burtinovic quitte son poste de consultante chez A.T. Kearney pour fonder une entreprise de cours de cuisine.
Certains collègues lui ont demandé quelle mouche l’avait piquée pour lâcher un aussi bon job et partir « faire la popote ». Sa famille la soutient, mais un oncle lui fait tout de même remarquer que c’était bien la peine d'être major de Sciences Po pour finir derrière les fourneaux.
Aujourd’hui, les remarques ont disparu. « Nous avons eu un petit ralentissement entre 2015 et 2017, mais sauf ces années-là nous avons toujours été rentables, et notre chiffre d’affaires va encore augmenter cette année », commente Natacha Burtinovic dans ses locaux du 11e arrondissement parisien.
Quinze ans après sa fondation, l’Atelier des sens totalise un chiffre d’affaires de trois millions d’euros, emploie une vingtaine de salariés, mobilise une soixantaine de chefs vacataires, dispense des cours de cuisine à 30 000 personnes par an, et compte trois locaux à Paris, et un à Lyon.
Dans un coin de la cuisine, où Natacha Burtinovic nous reçoit, accoudée à l’îlot central, un compteur Instagram effeuille le décompte des followers de l’Atelier des sens. 11 323 abonnés. Elle ne s’en satisfait pas. « On a longtemps été un peu en retard sur les réseaux sociaux, ça nous rappelle qu’il faut tout le temps essayer de nouvelles choses », sourit cette grande perfectionniste de 45 ans.
Très bonne partout, excellente en rien
De son propre aveu, la voie qu’a suivie cette passionnée de cuisine pendant la première moitié de sa vie était plutôt scolaire : « très bonne partout mais excellente dans rien », elle effectue sa scolarité dans le Cotentin, suit un master de contrôle de gestion à Paris Dauphine, puis un master éco-fi à Sciences Po, pour ne pas se laisser « enfermer dans quelque chose de trop spécialisé ».
En 1999, elle part en stage à New York perfectionner son anglais et découvrir l’industrie d’Internet, alors en plein boom. C’est aussi à New York qu’elle découvre le concept des cours de cuisine. « Je viens d’une région gourmande, où j’ai grandi dans un ancien presbytère, avec un grand terrain, avec des pommes, des petits pois, un poulailler, se remémore-t-elle. Je cuisinais très souvent avec ma mère, et même étudiante, j’adorais passer du temps en cuisine et apprendre de nouvelles recettes. »
C’est à son retour en France en 2000 qu’elle intègre A.T. Kearney. La jeune femme souhaite valoriser son expérience dans l’Internet, la boîte de conseil lance justement sa branche digitale, Kearney Interactive.
Le salaire est bon, le job est intéressant, et lui permet d’approfondir sa connaissance des technologies numériques et de la relation client. Elle y passera près de trois ans.
Le paradoxe du conseil
« J’avais déjà une belle capacité de travail, mais avec le conseil, on repousse nos limites ! affirme-t-elle. Je me couchais parfois à 3 heures pour rendre des propositions commerciales, je rencontrais des gens encore plus perfectionnistes que moi, on s'investissait totalement pour le client. On bossait comme des malades et ça m’allait très bien. »
Les missions sont variées et techniques : un jour chez Sanofi pour optimiser leur gestion de la relation client, un autre chez France Télécom pour lancer une offre de fournisseur d’accès Internet.
« Dans le fond, il arrivait souvent que je ne comprenne rien en amont aux sujets nouveaux que nous abordions, mais je m’en sortais bien dans mes missions ! C’est le paradoxe du conseil : on appréhende avec méthode et capacité de synthèse un sujet qu’on ne connaît pas, on ne comprend pas nécessairement tout, mais avec l’aide du client, on parvient à avancer. On a une boîte à outils très large. »
Cette formation méthodologique s’avérera essentielle pour la suite. « Le plus important, c’était les road maps : identifier les différentes étapes, la manière de réagir appropriée, et s’assurer qu’on va pouvoir avancer. Quand j’ai commencé l’Atelier des sens, beaucoup de personnes m’ont dit qu’elles avaient eu la même idée, mais elles ne l’ont pas développée. Il est essentiel de savoir orchestrer tout ça, et ça s’apprend. »
L’idée de l’Atelier des sens lui est venue progressivement, en parallèle de son travail de consultant. À mesure qu’elle suit des cours de cuisine en France, elle réalise que l’offre est insatisfaisante à son goût, et à celui des autres participants. « Je ne trouvais pas ce que je voulais, à savoir une école à l’offre variée, de la cuisine gastronomique comme de la cuisine minute, un lieu avec une ambiance comme à la maison où l’on retrouve des repères, mais avec aussi un bon équipement et un large éventail de professionnels pour mener les cours. »
Ceci n'est pas une reconversion
Au fil des cours, elle mène sa petite étude de marché en discutant avec les clients, et en attendant sa prochaine mission chez A.T. Kearney, elle « s’amuse » à faire un business plan de sa future école de cuisine. Faute de contacts, elle s’abonne au magazine L’Hôtellerie Restauration et entre en relation avec des chefs pour leur exposer son idée. Ils l’aident à affiner son projet.
« Je n’avais aucun savoir-faire : comment s’approvisionner, comment aménager la cuisine, à quelle hauteur doit être le plan de travail… C’est là que le consulting m’a beaucoup apporté. Il n’y a pas de Bible “comment monter une école de cuisine”, mais quand on fait du conseil, on aborde des sujets qu’on ne maîtrise pas et on va chercher l’information là où elle se trouve. »
En septembre 2003, Natacha Burtinovic profite d’une vague de départs et quitte A.T. Kearney. « C’était maintenant ou jamais , sourit-elle, mais ne vous trompez pas, j’étais très épanouie dans le consulting. » L’idée de lier passion et vie professionnelle l’intimide au début, mais le besoin de concret l’emporte, et elle y trouve un vrai plaisir.
Pourtant, Natacha Burtinovic refuse de parler de reconversion. Comme le consulting, l’entrepreneuriat est pluridisciplinaire, et nécessite de la polyvalence et un esprit généraliste, de la création d’un business plan au codage de son site, en passant par les courses et le ménage.
« Dans le conseil, on apprend à résoudre des problématiques, et quelle meilleure problématique que monter une entreprise ? » Elle concède que la chose aurait été différente si elle avait tout plaqué pour donner des cours de cuisine, mais tel n’est pas son projet, qui repose sur des chefs vacataires venant partager leur expérience. Natacha Burtinovic n’a jamais elle-même donné de cours. « Cela aurait appauvri mon concept. »
Consultant, « métier à la con » ?
Bref, elle n’a pas quitté le conseil pour devenir boulangère. Ces dernières années pourtant, elle croise de plus en plus souvent dans ses cours des personnes désireuses de changer de voie, de quitter leur carrière dans la banque ou le conseil et de se reconvertir dans la restauration.
Pour suivre la tendance, elle a lancé des formations ciblées de quinze jours pour aider les futurs entrepreneurs à monter une entreprise dans la restauration, et recherche actuellement un quatrième local à Paris pour fonder un laboratoire professionnel dédié à la formation professionnelle, et à l’incubation de projets dans la restauration. Un nouveau défi en phase avec l’évolution décrite par le journaliste Jean-Laurent Cassely dans son livre La révolte des premiers de la classe.
« C’est le côté analytique du consulting qui m’a permis de me réorienter en identifiant les nouveaux secteurs porteurs », explique Natacha Burtinovic. En lançant par exemple avant l’heure des cours de cuisine végane ou sans gluten, tout en maintenant une offre grand public, et en s’impliquant dans la lutte contre le gaspillage.
En somme, se remettre en question, et rester attentif aux évolutions de la demande et de la clientèle. « Et pour ça, le conseil m’a énormément apporté, résume-t-elle. Ce n’est pas un métier à la con sans aspect concret. C’est le préalable idéal à la création d’entreprise. »
Pierre Sautreuil pour Consultor.fr
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