Durer dans le conseil : les trucs et astuces du président de Bain
« Je suis rentré chez Bain en pensant y rester 3 ans. Je m’étais trompé d’un facteur 10 » : Olivier Marchal est l’une des figures incontournables et emblématiques de Bain & Company, bientôt depuis 38 ans au sein de ce MBB. Et, de fait, un mentor du secteur.
- Recrutements dans le conseil en stratégie : atterrissage rapide après l’euphorie post-covid
- « Les concepts, c’est trop facile. Il faut mettre les pieds sur le carrelage. »
- Dans le conseil en stratégie, le tout-télétravail ne fait pas long feu
- Nouveau coup de frein sur les recrutements
- « NPS » : le totem de la satisfaction client, entre pinacle et pilori
- Pour les congés, Bain ouvre la porte au multiculturalisme
- « Acting as » : tremplin à promotion (et rustine à staffing)
- Experts partners : l’offensive de Bain sur les profils expérimentés
Il va sans dire qu’Olivier Marchal, partner de Bain & Company France, chairman depuis 2013, en a vu défiler des générations de consultants. Olivier Marchal a livré à Consultor quelques-unes de ses recettes pour devenir un « bon » consultant en stratégie, épanoui, et ce, dans la durée. Ce Bainie, « canal historique », rechigne pourtant à parler de lui, « ne jamais parler de mes qualités », avançant une ligne de conduite « consistante avec la culture interne de Bain qui prône la modestie et le fait de ne pas se prendre trop au sérieux ».
Consultor : Quels sont les 3 conseils prodigués à vos mentorés pour devenir un « bon » consultant ?
Olivier Marchal : La curiosité, l’esprit d’équipe, le plaisir du « problem solving ».
L’ambition est-elle un mot tabou ou au contraire une qualité majeure ?
Ce n’est ni un mot tabou ni une qualité. C’est un moteur, comme il en existe d’autres : le plaisir de se développer, la volonté d’avoir un impact, le besoin de reconnaissance. À chacun son moteur, mais il faut un moteur.
Quelles qualités spécifiques en fonction des grades : du principal/manager, du partner ?
Plus les consultants progressent en séniorité, plus des qualités, secondaires en début de carrière, deviennent importantes : le leadership, la vision stratégique à 360° des situations, le sens de la persuasion et de la négociation, la capacité de décision, savoir dire non. Un ensemble de qualités qui s’approche progressivement de celui attendu pour nos clients, les patrons des grands groupes.
En tant que patron recruteur, que privilégiez-vous : les hard skills, les soft skills ?
Ces deux familles de compétences sont également importantes dans ce métier. Un bon consultant allie une tête bien faite tant du côté gauche que du côté droit, à la capacité de savoir communiquer et interagir efficacement.
L’une des forces d’un « bon consultant », est-ce d’être doué en storytelling ?
Notre métier n’est pas de raconter de belles histoires, c’est d’aider les grandes organisations à se transformer. Pour y parvenir, savoir communiquer, résumer, illustrer avec impact un message ou un argumentaire sont effectivement importants, tant au sein de l’équipe que chez les clients.
La formation initiale doit-elle être complétée par des formations spécifiques tout au long de sa carrière ?
C’est un métier où l’on apprend en permanence. Par l’expérience personnelle journalière, par l’apprentissage et le coaching que l’on reçoit des plus seniors, et par les formations structurées sur les outils, techniques et compétences requises dans le métier. Par exemple, l’ensemble de nos équipes en France (consultants et non-consultants) ont suivi l’an dernier un cycle de plusieurs formations (développées avec HEC) aux problématiques de la transition climatique.
Quelles qualités managériales sont essentielles ? Le management, est-ce de l’inné ou de l’acquis ?
Les qualités de leadership, plus que managériales, sont importantes dans ce métier, et de façon croissante avec la séniorité. Chacun part avec un capital différent sur cette dimension, mais tout le monde peut progresser. Et on n’attend pas que les gens soient managers ou partners pour développer leur leadership. Les consultants même juniors sont mis rapidement en situation de superviser et coacher des plus juniors qu’eux.
Vaut-il mieux devenir hyper spécialisé dans un domaine ou rester au maximum généraliste ? Des secteurs plus ou moins porteurs pour un consultant ?
Je crois fermement qu’il est très intéressant de rester généraliste pendant les premières années dans le conseil, de se frotter à différents secteurs, et à différentes problématiques. On peut ensuite développer sa « marque de fabrique personnelle » en développant une expertise sur un secteur, ou un type de problématique, ou même le croisement de l’un et de l’autre (l’expert mondial des questions de fusion et d’intégration dans le secteur de l’énergie). Mais un bon consultant en stratégie doit, selon moi, combiner un ou plusieurs domaines d’expertise différenciée avec un regard de généraliste sur les sujets de son client.
Quels liens faut-il créer avec le client ?
Confiance et respect mutuels, intimité, loyauté.
Tenir malgré les lourds horaires… n’avez-vous pas eu envie de claquer la porte et de prioriser votre vie personnelle ? Comment ne pas céder aux sirènes du client, des start-ups ?
C’est clairement un enjeu important pour toute notre profession. Notre métier est exigeant et recherche l’excellence, ce qui soumet parfois les équipes à des « coups de pression ». Il faut savoir créer des capacités de respiration. Heureusement, les solutions sont multiples : staffing souple, périodes à temps partiel, utilisation du travail à distance, congés sabbatiques. Tout au long de ma carrière par exemple j’ai pris régulièrement des congés sabbatiques de 3 à 6 mois pour me ressourcer. Tous les secteurs d’activité n’offrent pas cette souplesse.
Les sirènes des clients ou des start-ups sont un autre sujet (car on travaille parfois encore plus dans une jeune pousse que dans un cabinet). Il est normal et humain que certains de nos consultants succombent à ces sirènes. Ce qu’ils me disent ensuite souvent, c’est qu’ils sont surpris de constater à quel point leurs années dans le conseil leur ont été utiles pour en faire d’excellents entrepreneurs ou des managers accomplis.
La frustration de ne pas être opérationnel, le mal dont se plaignent nombre de consultants… comment y trouve-t-on son compte ?
Je ne partage pas ce sentiment, car je pense que le conseil est un métier hautement opérationnel. Être immergé au sein d’équipes d’un client en pleine transformation, c’est très opérationnel. J’ajoute qu’en interne les consultants ont des opportunités de prendre des responsabilités opérationnelles au sein du cabinet, dans le recrutement par exemple, ou bien au sein des practices sectorielles ou fonctionnelles.
Le bon consultant doit-il beaucoup réseauter ? Dans quels cercles ?
Pas plus que dans beaucoup de métiers où développer son « carnet d’adresses » peut avoir une valeur sur le long terme. Dans le métier du conseil, en début de carrière, c’est chez les clients qu’on peut commencer à développer son réseau par la qualité du travail et des relations tissées.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune diplômé qui se lance dans le secteur pour réussir au mieux sa carrière ? À quoi doit-il s’attendre ?
Bien choisir son cabinet, en fonction de sa culture, et du fit personnel qu’on y trouve. Il va devoir apprendre et se développer rapidement, apprendre ses limites, et à les repousser. Le conseil est une formidable école de management et de leadership, une sorte de super MBA de terrain, qui vous aidera beaucoup dans votre future carrière, quelle qu’elle soit. En tout cas, une chose est sûre, vous ne vivrez pas dans la routine.
Ce qui est le plus dur et le plus exaltant dans le métier ?
Savoir se remettre en question parfois pour passer un cap de développement. Mais c’est vrai dans d’autres métiers aussi. Le plus exaltant, la fierté d’avoir un véritable impact avec son équipe chez son client, au-delà des objectifs initiaux, et réaliser ce qui paraissait impossible ou en tous cas très difficile. Comme le disait Latécoère : « Tout le monde s’accorde à dire que c’est impossible, nous allons donc le réaliser. »
Les plus belles missions effectuées ? Celle qui a eu à votre sens le plus d’impact. Quel impact ? Celles dont vous êtes le plus fier ?
Je suis rentré chez Bain en pensant y rester 3 ans. Je m’étais trompé d’un facteur 10, et ce n’est pas fini ! J’ai eu la chance d’aider de grands groupes dans de nombreux secteurs à se réinventer, se transformer, accélérer. Des expériences formidables. Mais je crois que les plus grandes fiertés ont été à l’occasion de projets pro bono menés pour des associations dans le cadre du programme ambitieux d’Impact social de Bain. Par exemple, cette année pour l’association « Les Déterminés » qui développe l’entrepreneuriat dans les banlieues, ou pour « Espérance Banlieues » qui innove dans les modèles éducatifs pour les quartiers d’éducation prioritaire. Je trouve par ailleurs très stimulant que l’impact sociétal et environnemental soit de plus en plus au cœur de notre activité pour les grands groupes. Réconcilier impact économique et impact sociétal est une nécessité à laquelle les consultants peuvent énormément contribuer.
à lire aussi
Olivier Marchal, associé senior et président de Bain pour la France, devient président du conseil de surveillance du groupe bancaire franco-allemand ODDO BHF. Il conserve ses fonctions chez Bain. Arrivé au conseil de surveillance du groupe en mars 2010, membre du conseil de surveillance de la banque en Allemagne ODDO BHF AG et de celui de la société de gestion ODDO BHF Asset Management Gmbh, il succède à Jean-Pierre Pinatton.
Olivier Marchal, diplômé de l'ESSEC en 1981 et d'un MBA de la Wharton School en 1986, débute sa carrière à la Cogema (future Areva) au Gabon en tant que responsable administratif et financier en 1981. En 1982, il rejoint la First National Bank of Boston en qualité d'analyste financier, membre du comité de crédit puis comme « Loan Officer ».
Il entre chez Bain comme consultant au bureau de Londres en 1986. Il participe en tant que manager à la création du bureau de Bruxelles en 1990, avant de rejoindre Paris en 1993 où il est nommé partner puis director en 1998. Il dirige ce bureau entre 2001 et 2008 avant de devenir le directeur général de la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique entre 2008 et 2013.
Crédit : Benjamin Polle pour Consultor.fr.
Un tuyau intéressant à partager ?
Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !
commentaire (0)
Soyez le premier à réagir à cette information
Les clés pour réussir ses entretiens
Vous voilà devant la porte du recruteur, prêt à aller présenter la « meilleure version de vous-même » à un prestigieux cabinet de conseil en stratégie. Que faut-il dire ou ne pas dire, faire ou ne pas faire, voire éviter à tout prix pour décrocher le contrat ? Est-ce que ça a changé ces dernières années ? Nous avons posé ces questions à des recruteurs du secteur.
Développé par la start-up Mindely, cet interviewer IA intervient lors des premiers tours des études de cas, si chronophages pour les consultants qui les prennent d’habitude en charge.
Faire le choix d’une boutique de conseil est quasi considéré comme un acte militant pour les consultants-boutiquiers. Être et rester une boutique parait l’être tout autant pour leurs dirigeants. Plongée dans cet univers consulting intimiste avec les patrons d’Ares & Co et d’Estin & Co, et des consultants de Courcelles, d’Estin et d’Advancy (une boutique qui a bien grandi).
En ligne depuis le 15 novembre, une consultation, La Grande Question, a été lancée par sept grands cabinets d’audit-conseil, BDO, Deloitte, EY, Grant Thornton, KPMG, Mazars et PWC, réunis au sein de la F3P (Fédération française des Firmes Pluridisciplinaires).
Pour répondre à la multiplication des plateformes concurrentes, pour se mettre en capacité de délivrer des missions à moindre prix et pour se doter de compétences pointues mobilisables ponctuellement dans ses propres missions, Bain & Company fait monter en puissance RTN (Results Talent Network), sa plateforme maison.
Depuis deux ans, l’EDHEC, la nordiste, connaît une attractivité grandissante auprès des cabinets de conseil en stratégie en quête permanente de nouveaux candidats, et ce, dans une conjoncture de recrutements sous tension.
Advancy a mis en place, lors de cette année scolaire, un programme d’ambassadeurs au sein de quatre grandes écoles cibles du cabinet : HEC, l'ESSEC, l'École polytechnique et Ponts et Chaussées.
Dans un contexte de fortes tensions sur le marché du travail engendrées par la reprise économique, les cabinets de consultants cherchent à adapter leurs méthodes de recrutement et à accélérer les procédures. Une solution d'intelligence artificielle permet désormais, en début de processus, d’effectuer une étude massifiée de centaines de CV.
Le Boston Consulting Group soumet depuis quelques mois, à Singapour, au Maroc et en Pologne notamment, les candidats aux recrutements à une nouvelle épreuve d'étude de cas par chatbot. Avec l'ambition de le généraliser à terme.