Débauchage de consultants via LinkedIn : ce qui est légal
Dans un contexte de forte reprise du marché du conseil (relire notre article) et de très vive concurrence des cabinets pour recruter (relire notre article), les cas de démarchage en masse des équipes de consultants de cabinets concurrents se multiplient. Au point de s’attirer des menaces de procès. Que dit la loi ? Nous avons posé la question à des avocats.
Trois fois ! Par trois fois en quelques mois, Advancy a vivement réagi aux messages reçus de la concurrence par tout ou partie de son staff de consultants. À chaque fois le mode opératoire est le même : un InMail (des messages directs payants qu’il est possible d’envoyer sur LinkedIn) via LinkedIn Recruiter, l’outil de recrutement premium du réseau social professionnel.
« Je prends contact avec vous aujourd'hui car nos équipes comptent de nombreux consultants nous ayant rejoint après un passage dans l'industrie ou le conseil [...]. Vous êtes peut-être actuellement en réflexion sur votre projet professionnel ou simplement intéressé(e) à explorer les opportunités s'offrant à vous », écrivait en avril Bain au consulting staff d'Advancy, invitant les récipiendaires à se connecter à une discussion en ligne avec des Bainies actuellement en fonction.
Même démarche d'EY Parthenon en juin. « Suite à la consultation de votre profil LinkedIn, je souhaitais échanger avec vous sur votre parcours. En effet, nous poursuivons notre croissance et je serais ravi de pouvoir vous présenter nos expertises et vous partager la pertinence de notre modèle. À quel moment pourrions-nous échanger à ce sujet ? », interroge un InMail envoyé par EY Parthenon à l’identique au consulting staff d'Advancy et que Consultor a pu lire.
Un dernier message, de juillet, reçu de L.E.K. Consulting, vante, lui, « des recrutements très soutenus » et à quel point les profils démarchés constitueraient des recrues en or. Rentre-dedans en règle donc, avec la promesse de rejoindre un pure player de la strat’, de carrières à 100 à l’heure ou de packages de rémunération supérieurs au marché !
Des démarches de chasse de têtes qui sont loin d'être à sens unique comme le souligne Frédéric Fessart, partner d'EY Parthenon qui confirme que le cabinet s'essaie aux approches via InMail pour répondre à « une croissance de +40% sur les 12 derniers mois » : « La chasse est généralisée : nos équipes sont elles aussi très sollicitées par nos concurrents, via Linkedin, emails et appels directs. Elles nous font part de pratiques ultra-agressives de certains cabinets – et de leurs associés – véhiculant des discours parfois dénigrants, abîmant surtout l’image de ceux qui les véhiculent ».
Ce que disent les avocats
De quoi en tout cas irriter Advancy qui a menacé de poursuite l’un des départements RH auteurs de mailing. Aurait-il gain de cause s’il joignait l’acte à la parole ? Consultor a posé la question à plusieurs avocats.
Pas du tout pour Philippe Ravisy, avocat fondateur du cabinet Astae et spécialiste du secteur du conseil : « Je ne partage pas du tout l’avis de ce patron de cabinet. LinkedIn est taillé pour le recrutement dans la concurrence, charge à l’employeur de faire en sorte que les consultants de son cabinet n’aient pas envie d’aller à la concurrence. »
Mais attention, si jouer de LinkedIn pour débaucher des consultants reste dans les clous de la loi, certaines conditions doivent être respectées, comme le rappelle maître Pieter-Jan Peeters, avocat en droit du travail, régulièrement sollicité par des consultants : « Deux entreprises ont le droit de se faire concurrence, de chercher à attirer la clientèle de ses concurrents. Ce qui n’est pas autorisé est d’user de moyens déloyaux pour y arriver. Rien n’interdit de proposer à quelqu’un en poste une super offre de consultant dont le recruteur se dit qu’elle va parfaitement lui convenir. »
La démarche devient litigieuse lorsqu’elle porte sur toute une équipe, tout un staff de consultants en seul un bloc, démarchés en même temps. « Lorsque le démarchage est massif, qu’il peut couler l’activité concurrente, cela devient du débauchage », ajoute maître Pieter-Jan Peeters.
Pour s’en prémunir, l’ajout d’une clause de non-concurrence aux contrats des consultants est très largement répandu dans le conseil en stratégie (relire notre article) et elle est parfois activée notamment lors des départs des profils les plus seniors (relire notre article).
Mais, malgré l’existence de ces clauses ajoutées de manière préventive aux contrats de travail des consultants, si une désorganisation est avérée au sein d’un cabinet de conseil à la suite d’un démarchage massif, le cabinet pillé de ses effectifs serait fondé à poursuivre en justice au civil.
« Le cabinet doit alors faire la démonstration de son préjudice. C’est-à-dire que si aucun consultant ne s’en va effectivement à la suite d’un démarchage groupé, il n’y a pas de préjudice. Si préjudice il y a, un juge pourra interdire au cabinet incriminé ces pratiques de démarchages et le condamner à des dommages et intérêts », analyse maître Thibaut de Saint Sernin, qui défend également régulièrement des consultants à titre individuel.
Si un préjudice est établi, restera alors à en déterminer le montant. « Ce qui peut prendre des siècles à être jugé », prévient Thibaut de Saint Sernin. Il serait alors nécessaire de se lancer dans des calculs sophistiqués des honoraires perdus du fait du départ d’un groupe de consultants et de calculer sur cette base le montant d’une indemnisation équivalente.
Raison pour laquelle des cabinets en conflit sur des transferts de consultants jugés intempestifs finissent souvent par conclure des accords financiers de gré à gré et à l’amiable. Ce fut le cas d’AlixPartners et du BCG l’an dernier, au terme de près de deux ans de procédures judiciaires (relire notre article).
Bilan des courses : la probabilité de voir beaucoup de recrutements intervenir après des démarchages groupés est faible, on imagine plutôt que cela permet de faire rentrer quelques éléments dans des process d’entretiens. Alors, la probabilité qu’un bataillon entier de consultants parte d’un seul coup et qu’un cabinet décide de poursuivre en justice : infinitésimale.
Benjamin Polle pour Consultor.fr
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commentaires (7)
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France
- 18/11/24
L’un des ténors du BCG en France, Guillaume Charlin, 54 ans, patron du bureau de Paris entre 2018 et 2022, serait en passe de quitter le cabinet.
- 15/11/24
Toutes les entités de conseil en stratégie ne subissent pas d’incendies simultanés, comme McKinsey, mais chacune peut y être exposée. La communication de crise dispose-t-elle d’antidotes ? Éléments de réponse avec Gantzer Agency, Image 7, Nitidis, Publicis Consultants - et des experts souhaitant rester discrets.
- 15/11/24
Le partner Retail/Consumer Goods d’Oliver Wyman, Julien Hereng, 49 ans, a quitté tout récemment la firme pour créer son propre cabinet de conseil en stratégie et transformation, spécialisé dans les secteurs Consumer Goods, Luxe et Retail, comme il le confirme à Consultor.
- 13/11/24
À l’heure où les premiers engagements d’entreprises en termes d’ESG pointent leur bout du nez (en 2025), comment les missions de conseil en stratégie dédiées ont-elles évolué ? Toute mission n’est-elle pas devenue à connotation responsable et durable ? Y a-t-il encore des sujets zéro RSE ? Le point avec Luc Anfray de Simon-Kucher, Aymeline Staigre d’Avencore, Vladislava Iovkova et Tony Tanios de Strategy&, et David-Emmanuel Vivot de Kéa.
- 11/11/24
Si Arnaud Bassoulet, Florent Berthod, Sophie Gebel et Marion Graizon ont toutes et tous rejoint le BCG il y a plus de six ans… parfois plus de dix, Lionel Corre est un nouveau venu ou presque (bientôt trois ans), ancien fonctionnaire venu de la Direction du Trésor.
- 08/11/24
Trois des heureux élus sont en effet issus des effectifs hexagonaux de la Firme : Jean-Marie Becquaert sur les services financiers, Antonin Conrath pour le Consumer, et Stéphane Bouvet, pilote d’Orphoz. Quant à Cassandre Danoux, déjà partner Stratégie & Corporate Finance, elle arrive du bureau de Londres.
- 30/10/24
L’automne fait son œuvre au sein de la Firme, les feuilles tombent… et les partners aussi. Les nouveaux départs sont ceux de Flavie Nguyen et Thomas London.
- 29/10/24
Julia Amsellem, qui a rejoint l’entité de conseil en stratégie d’EY en 2017, et Étienne Costes, engagé depuis 2013, font partie des 17 membres du nouveau comex d’EY dans l’Hexagone.
- 23/10/24
C’est une étude coup de poing que le cabinet Oliver Wyman a réalisée à titre pro bono pour le collectif ALERTE (fort de 35 associations, dont Action contre la Faim, Médecins du Monde et ATD Quart Monde) dédié à la pauvreté et à l’exclusion. Elle est intitulée « Lutter contre la pauvreté : un investissement social payant. » L’une des conclusions plutôt contre-intuitive : combattre la pauvreté par des financements serait un investissement gagnant-gagnant, pour les personnes concernées comme pour l’économie nationale. Les analyses du président d’ALERTE, Noam Leandri, et de Jean-Patrick Yanitch, partner à la tête de la practice Service public et Politiques publiques en France.