Et si les consultants étaient utiles au service public ?
« Consultant, quoi qu’on en pense, cela reste un métier. » Confidence, en off, d’un membre du staff du gouvernement Barnier. « Il n’a jamais été question de supprimer le recours au conseil externe par l’État. » Sa valeur ajoutée serait-elle incontestable ? Exploration avec David Mahé (Syntec Conseil), Jean-Pierre Mongrand (Dynaction, ex-Kéa) et David Cukrowicz (Lastep).
Sur ce sujet ultra touchy après des années de polémiques… un rapport sénatorial, une proposition de loi en cours de navette parlementaire et le récent numéro de Cash Investigation spécial McKinsey, la parole se fait rare dans le monde du conseil en stratégie. Très rare. Aucun cabinet réputé pour sa practice Secteur public n’a souhaité s’exprimer.
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Selon le Jaune budgétaire du Projet de Loi de Finances 2025, le montant total des missions de conseil réalisées par des cabinets privés a fondu de moitié entre 2022 et 2023.
Tout ce que le conseil en stratégie appliqué au secteur public n’est pas
Pour David Mahé, président de Syntec Conseil depuis juillet 2023, il ne faut pas assimiler le conseil, quelle que soit la nature de la prestation intellectuelle réalisée (stratégie, informatique, audit comptable et financier, expertise juridique…), à « une force de travail supplétive » pour des ministères ou établissements publics qui en manquerait. Les cabinets de conseil externe interviennent « sur des sujets différents des équipes internes de la fonction publique ». Voilà pour le préambule.
Une valeur ajoutée qui tient beaucoup à la variété d’expositions de ceux qui le pratiquent
Pour les clients publics du conseil en stratégie et management, estime David Mahé, le recours à des consultants externes permet de bénéficier « d’une expertise de haut niveau sur des sujets particulièrement pointus ».
Les consultants en stratégie apportent « une connaissance, une expertise de ce qu’ils ont pu voir sur des transformations similaires, ailleurs, dans d’autres secteurs ou administrations, dans d’autres entreprises ou lors de missions à l’international », selon un familier des ministères souhaitant rester anonyme.
Pour Jean-Pierre Mongrand, fondateur du cabinet Dynaction spécialisé dans le secteur public qui a « créé la practice dédiée de Kéa » de janvier 2008 à mi 2009, ce que l’on peut reconnaître aux cabinets de stratégie internationaux, « c’est le développement de méthodes efficaces, la maîtrise de process très bien cadrés et l’application de référentiels. La capacité à compulser une grande quantité d’informations également, grâce à leur implantation mondiale ». Toutefois, dans le secteur public territorial ou pour les établissements publics, par exemple, la dimension internationale est rarement requise.
Un métier et une posture à part entière
Comme le souligne un témoin discret, « les consultants sont capables de porter des projets, de les faire avancer, d’embarquer des organisations dans le changement ». On parle ici de gestion de projet, « de pilotage stratégique de programmes et d’accompagnement de certains grands changements ». Un tel savoir-faire « intéresse particulièrement les organisations publiques », ajoute David Mahé.
On fait donc bien référence à des compétences, qui s’acquièrent et s’aiguisent. Et c’est sans doute leur nature spécifique qui fait la différence quand on pense aux interventions au profit du secteur public.
Boris Walbaum, cofondateur de l’association Article 1, ENA 1999, passé par le ministère des Finances et McKinsey, l’exprimait ainsi à Consultor en 2020 : « Des compétences analytiques, de prise en compte de processus complexe d’un côté [pour le conseil en stratégie, ndlr], un esprit de synthèse […] et de jugement sur des problèmes complexes dans la haute fonction publique. »
La posture spécifique des consultants a aussi tout son intérêt. « Par nature, les cabinets de conseil en stratégie sont là pour apporter un service de qualité à leurs clients, avec un niveau d’autonomie assez important », rappelle David Mahé, lobbyiste en chef du secteur. « Leur faire appel permet d’objectiver un certain nombre de diagnostics grâce, notamment, au regard extérieur sur le sujet concerné que les consultants vont poser. » Pour les ministères ou les établissements publics, il découle de cela la possibilité d’accéder à des alternatives ou à des stratégies qui n’avaient peut-être pas été envisagées.
La force de frappe des équipes de conseil externe
Pour David Cukrowicz, fondateur de Lastep, cabinet de recrutement et de formation dans le conseil, lui-même ancien manager d’un grand cabinet parisien, la question de la rapidité de delivery se pose avec beaucoup d’acuité. « Des projets touchant à la transformation des territoires peuvent s’étaler jusqu’à 2050. Le public est imprégné d’une culture du long terme très étrangère aux consultants en stratégie qui ont un référentiel de temps à l’échelle du mois, voire de la semaine, et donc une culture du delivery rapide ».
La question des références se pose également. « Les cabinets de conseil en stratégie privés ont potentiellement déjà mené des missions similaires, auprès d’instances publiques dans d’autres pays ou pour de grands groupes privés. Il ne s’agit pas simplement de disposer de ressources qualifiées, mais de ressources qualifiées ET expérimentées sur ce type de projets et/ou sujets », explique David Cukrowicz. « Si les benchmarks ont été très critiqués dans le numéro spécial McKinsey de Cash Investigation, ils ont pourtant toute leur pertinence quand le bureau d’un cabinet à l’étranger a travaillé sur un projet similaire. » L’intérêt de disposer de points de référence, avec ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas, ne laisse que peu de doute à condition qu’ils relèvent du même registre.
Des exemples récents de missions pour le secteur public
Pour l’État, on peut citer le contrat remporté par EY Advisory/EY-Parthenon auprès du ministère de la Transition écologique et des Collectivités territoriales (Direction générale de l’Aménagement, du Logement et de la Nature), prévu pour une fin d’exécution en septembre 2025 et d’une valeur d’un peu plus de 1,1 million d’euros. Une mission à fort enjeu social et sociétal, puisqu’il s’agit de fournir un appui à la mise en place de la nouvelle aide unique « Ma Prime Adapt’ » en faveur de l’adaptation des logements au vieillissement.
Plusieurs commandes ministérielles portent sur le renouvellement du secteur de la presse écrite. C’est le cas de l’intervention du Boston Consulting Group auprès du ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique (Direction générale des Entreprises), achevée en juin 2024, d’une valeur de 210 000 euros : le cabinet a réalisé une étude sur de nouveaux scénarios pour la poursuite des activités du magazine 60 millions de consommateurs. Sachant que le BCG avait déjà été mobilisé, de septembre à décembre 2020, pour ébaucher des scénarios stratégiques sur la base d’une synthèse des données internes/externes disponibles et mobiliser les équipes autour du projet choisi alors.
L’étude réalisée par Oliver Wyman sur « les jeunes (18-25 ans) et la presse écrite » s’inscrit également dans cette perspective. Le contrat s’élevait à un peu plus de 120 000 euros, la mission ayant été finalisée en octobre 2023.
Des dérives, oui, mais « quand on se tape sur les doigts avec un marteau, on n’accuse pas l’outil »
Ce propos résume ce que pensent la plupart des acteurs du conseil en strat, du côté des cabinets et même de certains prescripteurs. Selon le président de Syntec Conseil, le rôle de ces derniers est de « bien sélectionner les sujets sur lesquels ils font appel aux cabinets externes ». Dans cette perspective, la création de l’Agence de conseil interne de l’État – comme entité à part entière – permet à celui-ci d’avoir « une meilleure connaissance des besoins en conseil de son administration, et de choisir les sujets sur lesquels le recours à l’interne sera plus pertinent ». L’enjeu étant, notamment, de ne pas aboutir à une perte de compétences des agents de l’État ni à une « dépossession » des sujets à caractère stratégique, deux points d’attention soulevés dans le rapport sénatorial.
Par ailleurs, les cabinets de conseil privés, si prompts à inviter leurs clients « à porter un regard critique sur eux-mêmes, ne s’appliquent que très rarement ce principe ». C’est l’avis de Jean-Pierre Mongrand. N’auraient-ils pas intérêt à accepter « de revoir leur modèle de pensée construit depuis tant d’années ? » Selon l’ancien (bref) leader du secteur public chez Kéa, « l’humilité et l’innovation dans les pratiques, pour inventer des démarches de conseil sur mesure qui replaceraient l’usager au centre de leurs interventions », pourraient contribuer à lever certaines objections à leur égard. Ou encore, « le transfert de compétences », là où l’objectif est souvent de « se rendre indispensable ».
Alors que les budgets Secteur public se sont très significativement réduits selon les chiffres du Jaune budgétaire dédié du PLF 2025 d’une part (-47 % depuis 2022, -73 % entre 2021 et 2023), les acteurs que nous avons interrogés d’autre part, les cabinets de conseil en stratégie n’ont d’autre choix que de faire preuve d’excellence – et d’impact – pour nourrir leurs practices dans les années à venir.
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