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La loi « anti-consultocratie » rabotée à l’Assemblée nationale

Périmètre réduit, rapport annuel changé d’objet, limitation des pouvoirs d’intervention de la Haute autorité à la transparence de la vie publique… Plusieurs amendements apportés à la proposition de loi provoquée par « l’affaire McKinsey » et issue de la commission d’enquête du Sénat sur l’influence des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques ont suscité l’ire des parlementaires de l’opposition. Elle n’en continue pas moins à beaucoup inquiéter dans le secteur du conseil.

Benjamin Polle
12 Fév. 2024 à 12:00
La loi « anti-consultocratie » rabotée à l’Assemblée nationale
© Adobe Stock

Celle-ci prévoit que les cabinets de conseil ne pourront plus ni démarcher ni intervenir auprès de toute une série d’organisations publiques sans s’astreindre à des règles déclaratives préalables drastiquement renforcées, au risque d’exclusion des marchés publics ou d’amende en cas de non-respect.

La proposition de loi a longtemps été boudée par le gouvernement, qui considérait avoir déjà encadré le recours aux cabinets en plafonnant le montant maximal de chacune des missions du principal marché interministériel, en demandant aux administrations d’infléchir à la baisse l’enveloppe maximale de crédits publics alloués à ces missions, en renforçant les garde-fous internes.

Le gouvernement a finalement donné son aval à l’examen du texte à l’Assemblée. Il en ressort significativement modifié.

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Périmètre réduit à plusieurs égards

L’article 1er définit le périmètre des relations entre les consultants et l’administration que la loi veut régir.

Côté consultants sont concernées les familles de conseil suivantes : stratégie, organisation, ressources humaines, informatique, communication, mise en œuvre de politique publique, juridique, financier ou assurance. Cela dit, à l’Assemblée, les députés ont choisi de renvoyer à un décret, postérieur au vote final de la loi, la liste des prestations qui seront in fine concernées.

Côté secteur public sont concernés l’État et ses établissements publics.

Une liste à laquelle l’Assemblée, là aussi, a apporté plusieurs modifications. Le texte est ainsi limité aux seuls établissements à caractère administratif. Sont notamment exclus les établissements publics industriels et commerciaux (Epic), qui auraient pu se retrouver pénalisés face à d’autres entreprises publiques, dotées elles du statut de société anonyme, à l’instar de la SNCF. Un exemple qui ne venait pas de nulle part : c’est la RATP qui l’a soufflé à la représentation nationale.

De même, au titre de la simplification administrative à l’hôpital, la proposition de loi ne s’appliquera qu’aux seuls établissements de santé dont les dépenses de fonctionnement dépassent les 200 millions d’euros.

Sont également exclues du cadre de cette loi les missions parfois requises par l’Agence des participations de l’État, au motif qu’elles sont souvent commandées dans des délais très resserrées, dans des conditions de confidentialité exacerbées et face à des acteurs privés. L’idée est de lui laisser les coudées franches pour faire jeu égal avec ses camarades du privé.

La Caisse des dépôts et consignations devra dorénavant publier une annexe faisant état de ses achats de conseil au sein du rapport annuel sur la direction morale et sur la situation matérielle de l’établissement qui sera adressé au Parlement avant le 30 juin tous les ans.

Extension aux collectivités territoriales

Longtemps, l’exécutif avait fait de l’inclusion des collectivités territoriales un préalable à l’examen de la loi. N’ayant pas eu gain de cause sur point, l’exécutif est revenu à la charge en séance et a fait voter un amendement spécifique. Celui-ci prévoit que le périmètre de la loi est étendu aux régions, aux départements, aux communes de plus de 100 000 habitants et aux établissements publics de coopération intercommunale.

À ce sujet, le gouvernement devra remettre au Parlement, avant le 31 décembre 2024 et après consultation des associations nationales d’élus locaux, un rapport étudiant les conséquences d’une éventuelle extension de la loi aux collectivités territoriales et à leurs groupements.

Les déclarations d’intérêts de la colère

L’obligation de déclaration des intérêts détenus à date et au cours des 5 dernières années par les cabinets de conseil, leurs sous-traitants et les consultants avant chaque prestation est rétablie. En commission des lois avant l’examen en séance publique, ces listes détaillées avaient été remplacées par une déclaration préalable de principe.

Ces déclarations concerneront les cabinets et les consultants et porteront notamment sur les missions réalisées sur les 5 dernières années, auprès de clients publics et privés susceptibles de générer un conflit d’intérêts avec la nouvelle mission envisagée, et sur les rémunérations perçues par les consultants sur les 5 années précédant la nouvelle mission envisagée. 

Le modèle, le contenu et les modalités de transmission, de mise à jour et de conservation des déclarations d’intérêts sont fixés par un décret en Conseil d’État

La profession, par la voix du Syntec Conseil, a à maintes reprises exprimé ses réticences à ce sujet, jugeant la mesure inapplicable et attentatoire à la vie privée.

En cas de non-respect de ces déclarations, des exclusions des marchés publics et jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende sont prévus.

Démarchages à déclarer

Les démarchages entrepris auprès de l’administration par tout prestataire de conseil doivent être signalés à la Haute autorité à la transparence de la vie publique (HATVP), et ce qu’ils donnent lieu à une mission ou non. Précédemment, c’était seulement au cas où ils avaient donné lieu à mission.

Sur le modèle du rapport annuel publié depuis 2 ans par l’État, la proposition de loi crée à présent un rapport annuel sur les prestations de conseil fournies aux régions, les départements et les communes de plus de 200 000 habitants et les établissements publics de coopération intercommunale de plus de 200 000 habitants.

Un rapport annuel modifié dans son contenu

Le gouvernement retire de la proposition de loi le rapport relatif aux recours aux prestations de conseil, jugeant que cette publication est déjà assurée par l’annexe au budget de l’État publié depuis 2 ans en octobre. Objectif : éviter les doublons.

L’exécutif a fait voter à la place un rapport sur l’internalisation des compétences des cabinets de conseil au sein de la fonction publique, un suivi des moyens de l’Agence de conseil interne de l’État et une cartographie des ressources humaines dans chaque ministère.

Exit le pro bono

La loi entérine que le recours à des prestations de conseil à titre gracieux est interdit, les parlementaires suspectant à diverses reprises qu’il pouvait servir de stratégie d’avant-vente des consultants.

Mails, logos, documents… chacun chez soi

La loi écrite noir sur blanc que les consultants ne peuvent se voir attribuer une adresse électronique comportant le nom de domaine de l’administration bénéficiaire, qu’il leur est interdit d’utiliser tout signe distinctif de l’administration bénéficiaire. De même, lorsqu’un document a été rédigé avec la participation, directe ou indirecte, de consultants, l’administration bénéficiaire y mentionne cette information, précise la prestation de conseil réalisée et le cadre contractuel dans lequel s’inscrit ladite prestation.

Déontologie

L’administration bénéficiaire établit un code de conduite qui précise les règles déontologiques applicables et les procédures mises en œuvre pour les respecter. Avant chaque prestation de conseil, l’administration bénéficiaire, le prestataire et les consultants s’engagent au respect de ce code de conduite. Le référent déontologue peut être sollicité et se tourner vers la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique si la situation le requiert.

Projets de loi : niet pour les consultants

Dans les autres dispositions votées par les parlementaires figurent notamment que l’administration ne peut recourir aux prestataires ou aux consultants pour la rédaction d’un projet de loi. La participation du Boston Consulting Group à l’évaluation de loi climat par exemple avait suscité de vives polémiques. Sont également systématisées les évaluations de fin de mission qui par le passé ont pu être lacunaires.

Les cabinets de conseil restent inquiets

Dans la profession, divers partners actifs sur des missions dans le secteur public expliquent à Consultor, sous couvert d’anonymat, car personne ne veut prendre publiquement la parole à ce stade, que le sujet est pris par le petit bout de la lorgnette.

Certaines de ces sources expliquent se sentir considérées comme des lobbyistes alors que la pratique de leur métier de partner dans le secteur public s’est toujours faite dans une logique de co-construction avec l’administration.

Ces sources font état d’un sentiment d’incompréhension persistant quant à l’opportunité d’une loi encadrant les relations administrations/consultants, alors que ces relations au jour le jour se font entre adultes responsables et consentants.

Nos interlocuteurs nous expliquent également ne pas comprendre les dispositions prévues sur le démarchage, et ne pas savoir quelle est la définition juridique d’un démarchage. Si démarchage veut dire tout contact avec l’administration, alors ces sources redoutent que ce soit extrêmement restrictif.

Pire, pour ces sources, l’État français deviendrait le seul de l’OCDE à se couper de l’apport que ces missions peuvent représenter en informations stratégique, en bonnes pratiques, et ce pour une raison qu’elles ne comprennent pas.

Enfin, certains jugent en revanche positif que les missions gratuites soient proscrites, estimant que c’est souvent en effet du commercial déguisé.

Pour toutes à présent, il y a urgence à ce que les choses soient clarifiées dans un sens ou dans un autre, le climat actuel créant une conjoncture instable.

Nouvelle lecture au Sénat

Éliane Assassi et Arnaud Bazin, l’ex-sénatrice PCF de Saint-Saint-Denis et le sénateur Les Républicains du Val-d’Oise qui ont mené les travaux de la commission d’enquête à l’origine de la proposition de loi, ont indiqué « regretter l’acharnement du gouvernement à dénaturer notre proposition de loi transpartisane » et estiment que « ce texte n’est pas à la hauteur des constats alarmants de la commission d’enquête du Sénat et de la Cour des comptes ».

La proposition de loi ainsi modifiée repart au Sénat où elle sera examinée en seconde lecture.

Benjamin Polle
12 Fév. 2024 à 12:00
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secteur public

Adeline
secteur public
secteur public, État, service public, HATVP, Sénat, loi, affaire mckinsey, missions
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2024-11-05 21:47:01
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secteur public: La loi « anti-consultocratie » raboté
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