Cash Investigation consacré à McKinsey : le débrief
Au lendemain de la diffusion de l’émission, Consultor fait le point avec, en perspective, la réaction de David Mahé, président de Syntec Conseil, et le regard du journaliste ayant mené l’enquête, Donatien Lemaître.
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L’émission était très attendue. Le 17 septembre à partir de 21h05, elle a fédéré 1,72 millions de téléspectateurs.
Le teasing de France 2 promettait des révélations. Qu’en est-il ?
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Ce nouveau rebondissement est lié à l’une des enquêtes lancées par le Parquet national financier (PNF) en octobre 2022, après les conclusions du rapport sénatorial consacré à l’influence des cabinets de conseil externe sur les politiques publiques.
Tout dépend du regard adopté. Si le géant du conseil américain était au cœur de l’enquête de Donatien Lemaître pour Cash Investigation, l’enjeu était plus précisément d’explorer les liens du cabinet de conseil avec Emmanuel Macron et/ou les ministères et organismes d’État. En ce sens, l’objectif semble atteint.
L’enquête, qui a débuté il y a un an, comporte certains documents inédits qui éclairent des faits déjà connus. Ainsi de l’opération Chicxulub visant à préparer la candidature présidentielle d’Emmanuel Macron, élaborée par Karim Tadjeddine, l’ancien leader Secteur public de la Firme. Le lancement d’une plateforme visant à détecter et mobiliser des militants, Au Service de tous, en fut l’un des outils.
Un témoin identifié par Donatien Lemaître permet de préciser les contours de l’opération – sur plusieurs années, via le nombre de réunions organisées, etc. Les mails présentés par l’équipe de Cash Investigation comportent également des horaires d’envoi – en journée. Six « McKinsey » en tout auraient été engagés dans l’opération, à un titre ou l’autre (plateforme, programme, financement, pré-campagne électorale).
Sur ce volet, une information judiciaire du PNF portant sur les comptes de campagne du candidat Emmanuel Macron en 2017 (et 2022) est actuellement ouverte.
Focus sur certains éléments clés de l’enquête journalistique
Au-delà des mails déjà mentionnés, l’une des « revues de performance » de Karim Tadjeddine (exposée en 2023 par les journalistes du Nouvel Obs Caroline Michel-Aguirre et Matthieu Aron, sur la base des "MacronLeaks") a été présentée. On découvre ce dernier s’y targuant de « connaître le Président (relation ancienne de 10 ans), et des ministres » - pour appuyer son souhait de devenir senior partner du cabinet.
Cet élément, à première vue saisissant, mérite d’être mis en perspective d’autres fiches de revues de performance. Certaines ont été rendues publiques lors de la divulgation par McKinsey US de 114 000 de ses documents – dans le cadre d’un accord transactionnel conclu avec la Justice américaine au sujet du scandale des opioïdes. Dans une fiche (à consulter ici), on peut lire que le consultant concerné « construit de solides relations avec ses clients, du point de vue professionnel et personnel, l’étape suivante étant de renforcer encore les relations en question ». Si le fait d’entretenir une proximité avec ses clients est l’une des caractéristiques du conseil, cela n’induit pas – bien entendu – de s’exonérer des règles d’attribution des marchés publics. C’est tout l’enjeu de l’information judiciaire ouverte en octobre 2022 des chefs de « favoritisme et recel de favoritisme » à l’encontre de la Firme.
Dans le reportage, les modalités de rémunération des partners au niveau mondial retiennent également l’attention. Comme en témoigne un ancien associé, outre ses 500 000 € de salaire annuel, il touchait en moyenne 500 000 € de dividendes. En effet, les bénéfices réalisés par McKinsey dans le monde « remontent » au siège US de New York, qui appartient à l’ensemble des associés. Ils sont ensuite reversés aux partners au prorata de leur salaire. Une mécanique de rémunération qui existe depuis la création de McKinsey. D’où la grogne des partners mondiaux lorsque la Firme a dû s'acquitter de lourdes pénalités financières dans le cadre du scandale des opioïdes...
Autre document notable, le rapport de la Firme pour la Caisse Nationale de l’Assurance Vieillesse (CNAV) commandé en novembre 2019 à l’UGAP, cité par la commission d’enquête sénatoriale. Une mission de près de 960 000 euros pour 5 mois de prestation visant la transformation de la structure dans le cadre d’une réforme à venir, engagée avant l’adoption de celle-ci – sur la retraite à points. La réforme a finalement été abandonnée.
Interrogé par Cash Investigation, le DG de la CNAV Renaud Villard explique que « lorsque le contexte évolue [la perspective de la mise en œuvre de la réforme, ndlr], on n’attend pas qu’il ait évolué définitivement pour engager une transformation ». Il fait ici référence au calendrier envisagé par le gouvernement – moins d’un an après le vote de la réforme – pour la création de la CNRU dans laquelle auraient dû fusionner toutes les caisses de retraite existantes. Si certains éléments du programme de transformation ont pu être mobilisés et réajustés (selon la direction de la CNAV en 2022), un chef de service a confié à Donatien Lemaître que la mission « avait mis les équipes sous tension et en grande détresse ». Tout ça pour ça ?
Le monde du conseil a boycotté l’émission
Comme Élise Lucet l’a expliqué lors du retour en plateau, aucun cabinet de conseil n’a accepté l’invitation de Cash Investigation, ni même le président de Syntec Conseil, David Mahé. Il en a confié la raison à Consultor.
« Ce sujet ne concerne pas Syntec Conseil, dans la mesure où la question qu’il pose porte sur la façon dont l’État achète des prestations de conseil, spécifie ses besoins et pilote ses achats. »
S’il avait clairement exprimé son opposition au projet de loi visant à encadrer le recours aux cabinets de conseil externes – qu’il renouvelle d’ailleurs, un « régime spécial pour les cabinets et salariés du conseil » n’ayant pas lieu d’être selon lui –, David Mahé a cette fois estimé qu’en tant que représentant de la profession, il n’avait pas à participer à une émission n’abordant pas particulièrement « la vie ni le fonctionnement des cabinets ». Par ailleurs, il s’agissait selon lui « de la mise en scène d’informations connues de longue date ». Sur la qualité ou la pertinence des livrables de McKinsey, il estime également que le reportage n’apporte « pas grand-chose de probant ».
Le regard du réalisateur de l’enquête
Si Donatien Lemaître regrette l’absence des cabinets de conseil lors du débat – « c’était l’occasion pour eux de porter la contradiction » – et celle de David Mahé qu’il dit ne pas avoir « comprise », il souligne les difficultés qu’il a rencontrées pour accéder à des documents pourtant censés être publics et ce, malgré les avis favorables de la CADA, sollicitée à plusieurs reprises. Selon Donatien Lemaître, le travail de collecte d’infos fut très « laborieux », bien plus que lors de précédentes enquêtes qu’il a pu réaliser (la dernière en date, pour Cash Investigation, portait sur la « fraude à la Sécurité Sociale » ).
À l’issue de l’émission, le président de la Commission d’enquête sénatoriale Arnaud Bazin et la rapporteure Éliane Assassi ont publié un communiqué de presse dans lequel ils estiment que le reportage vient confirmer « les constats alarmants » de leurs travaux. Ils ajoutent que l’enjeu dépasse « le seul cabinet McKinsey et nécessite des mesures fortes ». Leur proposition de loi devait retourner à l’Assemblée nationale en seconde lecture juste avant la dissolution de juin dernier. Ils appellent donc à la reprise de son examen « pour que leur texte devienne une loi de la République ».
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