Le chantre du consulting souverain
Deux ans durant, Alexandre Medvedowsky a fait feu de tout bois sur les potentiels effets délétères du poids des cabinets de conseil internationaux au sommet de l’État. Au même moment, le groupe d’intelligence économique auquel il appartient a remporté un important marché de conseil pour l’État – sans que lui ne fasse aucun lien. Consultor brosse son portrait.
Quand il nous reçoit dans les bureaux d’ESL & Network, une des plus anciennes sociétés françaises d’intelligence économique sise à deux pas de l’Assemblée nationale, Alexandre Medvedowsky, un ex-haut fonctionnaire, ex-élu socialiste des Bouches-du-Rhône, qui préside ESL depuis 2005, ne boude pas son plaisir.
Deux ans durant, celui qui est aussi le président du Syndicat français de l’intelligence économique a ferraillé contre la place des cabinets de conseil au sein des services de l’État – avant et après le débat public suscité par les révélations sur leur rôle dans la campagne de vaccination covid.
Dynamiteur de la « consultocratie »
La mise sur orbite du « McKinsey gate » dans les milieux parlementaires ? C’est lui. La constitution d’un classement des cabinets de conseil en stratégie souverain ? C’est lui. Qui était entendu au premier jour de la commission d’enquête sénatoriale sur l’influence des cabinets de conseil dans le secteur privé ? C’est lui.
À l’issue de cette commission, le Sénat a adopté le 19 octobre dernier une proposition de loi transpartisane qui vise à mieux encadrer le recours aux consultants privés dans l’administration. Là, ce n’est pas que lui, mais du moins s’en attribue-t-il une part.
« Nous avons fortement contribué à ce débat. C’est parce que nous l’avons porté que la sphère politique a repris le sujet », dit-il à Consultor.
« Le sujet », c’est la souveraineté économique, une conviction ancienne chez Alexandre Medvedowsky. Voilà 20 ans que cet Énarque agit en sous-main au service des dirigeants d’entreprises français, dans le CAC40, mais pas uniquement.
Pénétration de marché, veille concurrentielle, négociation avec des autorités de la concurrence, influence auprès de gouvernements ou de parlements : tels sont quelques-uns des services rendus par les 80 collaborateurs d’ESL & Network – dont nombre d’anciens ambassadeurs, préfets ou journalistes – à une centaine de clients.
Une ligne qui n’a pas dévié depuis la fondation de la société par quelques grands patrons au tournant des années 1990. ESL voit le jour à l’initiative notamment de Philippe Jaffré (Elf), Jean-Charles Naouri (Casino) ou Jacques Bénichou (Snecma).
Fin de la Guerre froide oblige, ils sont nombreux dans le patronat à partager le constat d’une complexification des environnements d’affaires et le besoin d’information stratégique réduisant leurs marges d’incertitudes. European Strategy and lobbying, « ESL », clin d’œil au cofondateur de la FNAC André « Essel », voit le jour.
Dans la foulée, en 1994, sous la houlette de Henri Martre, le président d’Aérospatiale, puis de l’Afnor, paraît un premier rapport du Commissariat au plan sur l’intelligence économique et la stratégie des entreprises.
C’est dans ce contexte qu’Alexandre Medvedowsky, alors encarté au Parti socialiste, conseiller d’État, très investi dans la politique locale des Bouches-du-Rhône (conseiller général, conseiller municipal à Aix-en-Provence), rejoint ESL en 2001.
Des clients nommés Stéphane Richard ou Henri Proglio
Son premier client ? Stéphane Richard, lorsqu’il était président de la CGIS (Compagnie générale d’immobilier et de services) devenue Nexity. Un bon client qu’il continue à suivre chez Orange : par exemple, dans le cadre du rapprochement avorté avec Bouygues, mais aussi lorsque l’ancien patron de l’opérateur passe 48 heures en garde à vue pour être mis en examen pour escroquerie en bande organisée dans le cadre de l’affaire Tapie.
Un autre très bon client : EDF. Alexandre Medvedowsky a conseillé plusieurs des présidents de l’énergéticien français. Au point de se faire épingler par le Parquet national financier pour ses mandats sous la présidence de Henri Proglio : 2,4 millions d’euros pour diverses missions de veille « politique, syndicale, administrative et juridique » ou pour « défendre les intérêts d’EDF sur Internet », écrivait Libération en septembre, citant le Parquet national financier. Ce dernier enquête sur les conditions dans lesquelles l’ancien boss d’EDF a eu recours aux services d’une quarantaine de consultants.
Alexandre Medvedowsky a lui été entendu par le PNF voilà 18 mois. « L’affaire est en cours d’instruction. On m’a posé des questions normales sur les règles de passation des marchés publics. De vraies bonnes questions. Ce que je trouve curieux est que cette enquête ne porte que sur Henri Proglio. ESL a travaillé sans discontinuer pour plusieurs des prédécesseurs de Henri Proglio », s’étonne-t-il.
La justice, il connaît. En 2012, il était entendu dans l’enquête sur les marchés truqués du sénateur socialiste Jean-Noël Guérini et de son frère entrepreneur Alexandre Guérini.
« Désormais, lorsque ministères et administrations achèteront du conseil, ils se poseront davantage de questions »
Alexandre Medvedowsky fait aussi partie des traumatisés de la vente d’Alstom à GE. Il compte parmi les fondateurs de l’Observatoire de l’intelligence économique français (OIEF), créé en 2020 avec l’ambition d’en faire une vigie. Depuis, son nom est apparu dans les dossiers Photonis, cette entreprise de fabrication de systèmes de vision nocturne, dont la vente aux États-Unis avait suscité une levée de boucliers en 2020 et 2021. De même, lorsque le rachat d’Exxelia, fabricant de composants électroniques notamment pour la Défense, est envisagé par l’américain Heico. Ou encore lorsque Palantir, l’éditeur de logiciel US décrié du fait de sa proximité avec les services de renseignement américain, était pressenti à l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP).
Dernier cheval de bataille souverainiste : les consultants au service de l’État. Fuite de données, pantouflages, influence anglo-saxonne : sur ce sujet comme sur les autres, Alexandre Medvedowsky identifiait des menaces à la souveraineté économique de l’État français.
« On a fait œuvre utile, juge-t-il à présent. La prise de conscience est réelle. Désormais, lorsque ministères et administrations achèteront du conseil, ils se poseront davantage de questions. »
Cette offensive n’a pas été que politique. En même temps qu’ESL et son patron Alexandre Medvedowsky guerroyaient contre le recours aux consultants par l’État, l’Agence pour la diffusion de l’information technologique (ADIT), ex-agence publique aujourd’hui majoritairement à capitaux privés, spécialisée dans le renseignement d’affaires, qui a pris une participation majoritaire au capital d’ESL en 2020, remportait le nouveau marché de conseil en stratégie de la centrale d’achat de l’État aux côtés de PwC, Havas Paris et Landot & Associés.
Exit McKinsey, Eurogroup (qui restent attributaires de rang 2 sur le nouveau marché, mais avec quasi zéro chance d’être mandatés), ou encore EY, BCG, KPMG ou Roland Berger, qui tous figuraient sur le précédent marché.
Aboyer par là pour engranger par ici, a-t-on grincé dans la concurrence. Ce qu’Alexandre Medvedowsky dément formellement : « J’ai été entendu au Sénat en tant que président de l’OIEF et président de l’ESL. De plus, je n’interviendrai en aucun cas sur ce marché », assure-t-il à Consultor. Chez ADIT, le grand ordonnateur du marché de conseil en stratégie de l’UGAP sera l’ancien préfet Michel Guillot.
ESL-ADIT veulent concurrencer les MBB
Au-delà de ce marché, l’attelage ESL-ADIT a vocation à devenir « davantage un concurrent » des cabinets de conseil en stratégie historiques, avance Alexandre Medvedowsky.
« Avant, les trois-quarts de notre activité étaient dans la partie immergée de l’iceberg. Désormais, nous voulons nous positionner autant sur l’accompagnement que sur l’information », précise-t-il.
Un tropisme conseil en stratégie qui ne l’empêchera pas de continuer à pousser sur le sujet du consulting souverain. L’OIEF prépare la seconde édition de son classement des cabinets de conseil selon des critères de souveraineté.
Dans les faits, il s’agissait de classer les cabinets selon le nombre d’employés en France et le niveau de chiffre d’affaires réalisé dans l’Hexagone. Top 10 détonnant : Vertone, Eight Advisory, Cepton, Mawenzi, PMP, CMI, Kea, Advancy, Cylad, Ares… Et en queue de classement : BCG, Oliver Wyman, Bain, Roland Berger, et McKinsey, bon dernier !
La deuxième édition paraîtra d’ici la fin de l’année. Promis, cette fois, PwC, le nouveau partenaire de l’ADIT, y aura sa place.
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L’Union des groupements d’achats publics (UGAP), qui centralise les commandes de centaines de fournisseurs auprès de ministères, collectivités territoriales et établissements hospitaliers, ne l’annoncera que dans quelques semaines, mais au moins deux des attributaires ont été désignés pour son nouveau marché pluriannuel de conseil en stratégie.
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