Luxe : les recommandations de consultants pour relancer Gucci

S’il est un marché qui semblait résilient face aux crises, c’est bien le secteur du luxe. Le seul segment clé des biens personnels affichait 362 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023, en croissance de 4 % sur un an (à taux courants). Pourtant, certaines maisons emblématiques connaissent un revers depuis la période faste post-covid, à l’instar de Gucci et de sa maison-mère, Kering. L’analyse de consultants dédiés, Céline Pagat Choain et Paolo Cassio, associée et directeur de Kéa, et Laurence-Anne Parent, senior partner d’Advancy.

Barbara Merle
06 Jui. 2024 à 03:00
Luxe : les recommandations de consultants pour relancer Gucci
Boutique Gucci avenue Montaigne (© Tupungato/Adobe Stock)

Ce secteur du luxe a pour le moins connu une période dorée depuis 2015. Selon une étude annuelle de Bain & Company, le chiffre d’affaires mondial de ce segment-phare des biens personnels a en effet crû de près de 50 % en 8 ans (245 milliards d’euros en 2015).

Fin de l’effet du boum post-covid

Pourtant, après un retour en force très rapidement après la pandémie, certains acteurs du secteur font face à un repli de leurs activités. Selon l’étude de Bain, seuls deux tiers des marques de luxe auraient ainsi connu une croissance en 2023, contre 95 % en 2022. Et contrairement à Hermès et LVMH qui ont connu une année record (respectivement +15 % et +9 %), Gucci, l’un des fleurons du groupe Kering (propriété de François-Henri Pinault), représentant les deux tiers de son résultat opérationnel, est en recul de 6 % sur un an avec 9,9 Mds € de chiffre d’affaires en 2023 (quasi le niveau de 2019), et un retrait pour l’ensemble du groupe 19,6 Mds € en 2023 (contre 20,4 Mds € en 2022).

Les autres marques de Kering ont elles aussi souffert l’année dernière. Le chiffre d’affaires d’Yves Saint Laurent a reculé de 4 %, Bottega Veneta de 5 %, et la section « autres maisons » (dont Balenciaga) de 9 %. Le PDG anticipe même un recul de 40 % à 45 % de son résultat opérationnel courant.

Une première pour la marque centenaire florentine qui, au gré de la période Tom Ford (jusqu’en 2004 lors du rachat de la marque par Pinault), a conquis ses lettres de noblesse de marque de luxe mondiale, puis a continué son ascension depuis. Et cette baisse perdure avec une baisse de 10 % du chiffre d’affaires de Kering au premier trimestre 2024. «Le marché, intransigeant sur la singularité des marques et l’excellence de l’exécution, s’est calmé depuis la période post-covid, avec des clients qui deviennent de plus en plus mondiaux. On est passé du passeport à la tribu, c’est-à-dire de spécificités nationales à une clientèle tribale transnationale transgénérationnelle partageant des codes, des valeurs, des manières de consommer », souligne Laurence-Anne Parent, senior partner retail/grande consommation chez Advancy.

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C’est un secteur qui fait rêver, à plusieurs titres. En pleine expansion au niveau mondial depuis la fin des années 1990, résilient face aux crises, ce secteur fait aussi « son marché » parmi bon nombre d’anciens consultants qui se plaisent à endosser les habits managériaux de grandes maisons… Et si le luxe a été très fortement impacté lors du premier confinement mondial, ce secteur s’est rapidement remis en selle, d’ores et déjà tourné vers les stratégies de croissance d’après covid.

Le baromètre chinois à la baisse

En termes de marchés, les États-Unis et l’Asie – notamment la Thaïlande et les Philippines – décélèrent, ce qui impacte en particulier Gucci qui a connu une baisse des ventes de 30 % en Chine en ce premier trimestre 2024, alors que la marque réalise 50 % de son activité retail dans la région APAC. Un sacré accroc, sachant qu’en 2025, près de la moitié des ventes de luxe dans le monde seront réalisées par des consommateurs chinois. « La Chine est le baromètre de la dynamique du marché du luxe. Pour la plupart des maisons et des marques du secteur, il est bien souvent le premier marché, avec 2,5 millions de personnes qui ont une fortune de plus d’un million de dollars. Il s’avère que les consommateurs chinois sont aujourd’hui plus prudents, plus attentifs et exigeants. Ce n’est pas de la déconsommation, mais des évolutions vis-à-vis des marques de Luxe, analyse l’associée Céline Pagat Choain en charge du secteur mode luxe et retail chez Kéa. Ils expriment des attentes d’offres plus intemporelles, des attentions aux savoir-faire et matières des produits, et arbitrent également aujourd’hui davantage entre l’accumulation de biens matériels et des autres dépenses, en particulier de voyages et loisirs. »

Au-delà de la complexité de répondre à ce marché asiatique mouvant, ces acteurs du luxe font face à un autre défi d’ampleur, comme le souligne aussi Paolo Cassio, directeur chez Kéa. « Nous vivons une tendance d’universalisation, ce qui implique de parler à plus en plus de clients, et donc de proposer un univers plus large de produits sur des zones géographiques différentes, tout en sécurisant la ressource. »

Des costumes trop larges ?

Que se passe-t-il donc du côté de ces marques de luxe en souffrance ? Nous serions dans une « phase de transition entre des nouvelles tendances, un cycle perpétuel dans la mode, pour Paolo Cassio de Kéa, et dans une logique de marché mature, il y a un enjeu d’identifier les nouveaux relais de croissance d’offres et de services ».

Une question de stratégie subtile aussi entre entretenir la singularité de marque et jongler avec le bon mode d’exécution opérationnel. « Il faut bien comprendre qu’un produit iconique n’a pas le même business model que le prêt-à-porter saisonnier qui devient à “capsules”, avec des saisons de plus en plus courtes, notamment sur la gestion de l’équilibre des offres. Gucci pour faire face à son impressionnante accélération a fragilisé son modèle », appuie Laurence-Anne Parent d’Advancy. Autre élément post-covid, les limites atteintes dans l’augmentation des prix dans une période hyper inflationniste. Et ce n’est pas qu’une question de taille d’entreprise, à voir la petite et récente maison française, Jacquemus, créée en 2009, 280 millions d’euros de chiffre d’affaires l’année dernière (100 millions d’euros en 2021) qui se porte très bien…

Ce qui impacte la performance des marques en souffrance, et en premier lieu Gucci, c’est un problème de positionnement (des produits plus accessibles et liés aux modes) et de désirabilité vis-à-vis d’une clientèle plus large, plus jeune, plus zappeuse, et plus sensible aux évolutions de prix. Contrairement aux marques très haut de gamme qui s’adressent aux plus riches et qui savent proposer des vêtements/des accessoires immédiatement identifiables, iconiques et intemporels.

Une erreur stratégique sur un manque de vision à long terme ? « Une marque de luxe pérenne est celle qui a su construire une pyramide solide dans la capacité à être polyvalent et à se réinventer sans cesse tout en gardant sa singularité, sa proposition de valeur, son savoir-faire. » Ce qui complète ce pilier pour l’associée de Kéa Céline Pagat Choain, c’est d’abord la façon dont est orchestrée le lien et l’expérience client, un mix puissant et parfaitement exécuter entre digital et physique, « des magasins émotionnels avec des expériences humaines et connectées, de plus en plus personnalisées par la data en fonction des profils clients », mais aussi leur rapport à la responsabilité, « car il n’y a pas de modèle gagnant dans le luxe sans un total engagement dans l’ESG ».

Une stratégie à redessiner

Une situation pour Gucci et l’ensemble du groupe qui ne peut pas durer. Son PDG, François-Henri Pinault affirmant que les résultats actuels de Gucci étaient directement à mettre en relation avec « une restructuration organisationnelle de la maison autour des notions de visibilité et d’exclusivité», avec sur le plan de la création le remplacement d’Alessandro Michele, après 8 années comme directeur artistique de Gucci, par Sabato de Sarno, à la tête de ses collections depuis janvier 2023. Un créateur qui a présenté à Milan en septembre dernier sa première collection printemps-été 2024… « Nous nous attachons à redynamiser Gucci, en nous appuyant sur l’alliance unique d’artisanat, d’héritage italien et de modernité qui caractérise cette maison iconique », a soutenu François-Henri Pinault qui attend la première collection du créateur.

L’année dernière aussi, Kering a modifié la gouvernance de Gucci, en nommant par intérim Jean-François Palus, l’un des très proches du PDG, un ancien de Prada et d’YSL, précisant que « notre priorité est de remettre Gucci sur les rails, mais cela ne se fera pas du jour au lendemain ». Effectivement, le temps du luxe n’est pas celui des collections. « Il faut voir le succès de collection en collection, sachant que le rythme de transformation du luxe est de 2 ou 3 ans » pointe l’associée d’Advancy Laurence-Anne Parent.

Alors, à quoi s’attendre pour ce second semestre 2024 ? Les projections de croissance sont encore à la baisse. Il va donc falloir faire preuve d’inventivité pour se démarquer dans les années à venir. « Celles qui crackeront le marché de l’Inde auront un avantage fort, celles qui ont enclenché le nécessaire travail sur la gestion de la ressource qui se raréfie, en inventant et réinventant des matériaux, sur les métiers », anticipe Céline Pagat Choain de Kéa.

Advancy Kéa Céline Pagat Choain Laurence-Anne Parent
Barbara Merle
06 Jui. 2024 à 03:00
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Adeline
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secteur, marché, luxe, mode, Gucci, Kering, François-Henri Pinault, Paolo Cassio, Kea, Advancy
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Advancy Kéa
Céline Pagat Choain Laurence-Anne Parent
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