Missions strat’ ESG : go ou no go ?
À l’heure où les premiers engagements d’entreprises en termes d’ESG pointent leur bout du nez (en 2025), comment les missions de conseil en stratégie dédiées ont-elles évolué ? Toute mission n’est-elle pas devenue à connotation responsable et durable ? Y a-t-il encore des sujets zéro RSE ? Le point avec Luc Anfray de Simon-Kucher, Aymeline Staigre d’Avencore, Vladislava Iovkova et Tony Tanios de Strategy&, et David-Emmanuel Vivot de Kéa.
C’est un fait. Depuis la présentation du cadre réglementaire européen en 2019, le Pacte vert pour l’Europe, afin d’atteindre la neutralité climatique à l’horizon 2050, règlements et directives fleurissent durcissent le cadre pour les entreprises : pour seul exemple, début 2024, la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) fixant de nouvelles normes et obligations de reporting extra-financier.
Pas d’alternative à l’ESG
Depuis 5 ans donc, les entreprises n’ont ainsi plus le choix (ni le temps) de la transformation durable et responsable, poussées par la loi, mais aussi par des fonds d’investissement qui exigent des gages « verts » avant de s’impliquer financièrement. « Le changement climatique est bien réel, et nous arrivons aux années d’engagement 2025-2030. Aujourd’hui, le fléchage de l’argent va uniquement sur des projets verts, une des plus grandes forces sur le marché. C’est une question de timing avec de véritables risques pour celles qui ne changeront pas », contextualise ainsi Luc Anfray, partner Énergie de Simon-Kucher. « Entre aujourd’hui et 2030-2050, la tendance est bien construite, mais les leviers ne sont pas toujours bien clairement identifiés, prévient Tony Tanios, directeur responsable des activités transition énergétique et décarbonation chez Strategy&, et pour certains, de l’aviation ou du maritime, cette transition énergétique s’apparente à la vie ou à la mort. »
Ce que l’on ne peut plus dire, c’est que des secteurs entiers seraient à la traine. Mais plutôt qu’« au sein d’un secteur donné, certaines étapes clés ont été franchies en matière d’ESG, mais du chemin reste à parcourir pour en faire une véritable culture d’entreprise », selon la manager d’Avencore, Aymeline Staigre, qui illustre : « Le secteur du bâtiment, très avancé dans le domaine ESG sur les matériaux à faibles émissions, est encore source de bon nombre de gaspillages et de déchets sur les zones de chantiers. »
Le secteur des services financiers s’y intéresse également de près, comme le pointe aussi Vladislava Iovkova, associée responsable de l’activité Stratégie de croissance et des secteurs énergie/infra/utilities de Strategy&. « Nous avons récemment accompagné un acteur français du secteur financier afin de décliner sa stratégie décidément tournée autour de l’ESG et définir un outil de mesure des impacts socio-économiques et environnementaux de l’ensemble de ses financements et investissements. C’est un projet pionnier pour la France et qui va plus loin que la réglementation actuelle. »
Des missions ESG encore minoritaires
Et pourtant… Les missions étiquetées ESG représenteraient aujourd’hui entre 10 et 60 % de l’activité des cabinets ; 60 % pour Kéa, qui en a fait son mantra… Ce n’est donc pas un raz-de-marée, loin de là. La démarche ESG « n’est pas une norme du marché du conseil en stratégie, reconnait le Senior Partner de Kéa, David-Emmanuel Vivot, en tant qu’entreprise à mission, nous faisons des efforts pour intégrer cette approche dans 100 % des sujets. Mais la réalité est que nos clients ne sont pas tous prêts. » Le discours est quelque peu différent chez Strategy&. « La question est avant tout de voir jusqu’à quelle mesure l’entreprise matérialise l’ESG. C’est devenu très rare que nous ayons des missions pour lesquelles l’ESG n’est pas concernée, cette brique est toujours présente, qu’elle concerne un tiers de la problématique ou 100 % », dit de son côté l’associée Vladislava Iovkova.
Et cela dépend de quoi on parle. À quel moment une mission devient-elle une mission labélisée ESG ? Pour mieux le comprendre, le cabinet Kéa a mis en place un process d’évaluation du degré ESG de ses missions : les projets sur lesquels le cabinet a activé un levier durable supplémentaire pour l’entreprise, source de valeur ajoutée en termes de résultat (ils représentent 30 %), ceux identifiés comme activés, mais médians qui auraient nécessité d’aller encore plus loin dans la démarche (30 %), et enfin ceux pour lesquels le cabinet estime de ne pas avoir réussi (40 %). Un taux encore élevé expliqué par le Senior Partner de Kéa en partie par les choix difficiles pour les chefs d’entreprises : entre performance financière versus performance globale, entre vision à court terme vs durable à long terme, ou encore entre profits propres ou partagés. Pour expliquer ces ratios, en cause également la conjoncture, selon David-Emmanuel Vivot de Kéa. « Les dirigeants ont un champ de contraintes fort avec le contexte macro-économique, le renfermement des marchés à l’international, l’augmentation du prix des matières premières, qui créent de grosses tensions économiques à court terme. »
La décarbo, top 1 de l’ESG
Même les entreprises ne savent pas toujours par quel bout prendre cette démarche vertueuse et ses leviers nombreux, mais complexes. « Dans l’ESG, le plus quantifiable et où sont les enjeux de P&L, c’est le E d’environnement, et nous ne traitons peu le S (social, ndlr) ni le G (gouvernance, ndlr). Depuis 3 ans, nous avons vu démultiplier les demandes de clients qui nous disent : “Nous avons fait des investissements lourds dans une stratégie et une offre plus durables, la recherche de nouveaux moyens de production plus décarbonés, de nouveaux produits… Est-ce que, dans les marchés du futur, notre portefeuille produits est-il en danger, notre offre décarbonée pourra-t-elle encore fonctionner, comment la valoriser, la monétiser, à quels clients ?” », atteste Luc Anfray de Simon-Kucher. Décarbonation des process de l’industrie est également inscrit au tableau de Strategy&, « mais nous ne sommes pas encore dans une véritable et complète stratégie de décarbonation, reconnait Tony Tanios. Nous accompagnons les industriels dans la définition et implémentation de leurs stratégies de décarbonation. L’engagement de l’industrie française s’est nettement amélioré sur le sujet de la décarbonation, mais nous attendons toujours un sursaut stratégique ».
Même sentiment chez Avencore, où les missions « à coloration décarbonation en passant basculant du Design-to-cost au Design-to-green » connaissent un essor depuis la période post-covid, même si elles ne représentent pas la part la plus significative de l’activité. Alors même que l’« on ne peut plus dire que cela impacte négativement les coûts sur le long terme. Certaines entreprises n’y vont pas, car elles n’ont pas encore conscience que réduire l’empreinte carbone peut être un levier d’économies, de performance et d’innovation, chacune des opportunités de diminuer les unités de carbone permet des économies », analyse la manager Industrie, Aymeline Staigre.
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