Recrutements : survivre au robot à CV du BCG
Le Boston Consulting Group soumet depuis quelques mois, à Singapour, au Maroc et en Pologne notamment, les candidats aux recrutements à une nouvelle épreuve d'étude de cas par chatbot. Avec l'ambition de le généraliser à terme.
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Sur le papier, il permet de mieux cibler les personnes qui passent ensuite en entretien classique et limite le temps passé en pure perte par les RH et les consultants à recevoir des candidats dont les profils ne conviennent pas. Une solution qui séduit dans le secteur. Revue de l’art et la manière de réussir ce nouveau test. Et des questions éthiques qu’il peut poser.
Un nouveau « truc » pour entrer au Boston Consulting Group. Les quelque 6 000 membres du groupe Facebook mis sur pied à l’été 2020 par l’ancien project leader du Boston Consulting Group à Paris, David Cukrowicz, en parlent avec insistance depuis quelques mois.
« Beaucoup de candidats m’ont demandé comment se préparer au nouveau test en ligne - robot du BCG », raconte celui qui depuis son départ du BCG en mai 2020 a démarré Lastep, une activité d’accompagnement des candidats à l’entrée dans les entreprises de conseil en stratégie, comme il en existe plusieurs autres (relire notre article ).
Casey, c’est le petit nom de ce nouveau robot déployé par le BCG depuis quelques mois et qui a vocation à devenir la norme à l’entrée de l’ensemble des bureaux du cabinet dans le monde.
Un bot made in BCG
Casey est développé par un autre ancien de la maison. Enfin, l'intéressé se refuse à indiquer qui sont ses clients mais il confesse toutefois que le premier utilisateur est l'un des plus grands cabinets de conseil en stratégie au monde, sa solution s'appelle Casey, comme au BCG, il est un alumni du cabinet (le BCG lui a d'ailleurs récemment consacré un portrait) et des sources confirment à Consultor que sa solution est bien celle qui a été retenue par le BCG.
Eugene Goh, 44 ans, est un serial entrepreneur dans le domaine des ressources humaines. Ancien principal du BCG, principalement à Singapour, mais aussi à Oslo et à Dubaï, il a passé huit ans au sein du cabinet dont il était devenu un spécialiste des telcos et de la sustainibility. Un second sujet qui était alors plutôt neuf dans le cabinet : « Comment les entreprises peuvent avoir un impact positif tout en restant profitables, ou du moins en faisant le moins de mal possible », s’amuse-t-il aujourd’hui.
Comme l’ensemble des consultants du cabinet, il était tenu de choisir un engagement hors missions (organisation d’événements internes, participation à des groupes affinitaires au sein du cabinet) : son choix se porte sur le recrutement.
« J’ai fait passer pas loin de 300 entretiens d’entrée au BCG. Les sessions les plus intensives avaient lieu aux États-Unis, où les universités d’excellence sont nombreuses et la concurrence pour l’entrée dans les cabinets particulièrement forte. Nous y allions pour une semaine, et enchaînions les entretiens du matin au soir, au rythme de quarante en cinq jours ! » se remémore-t-il.
Ce tropisme recrutement a façonné sa vie d’entrepreneurs en sortie de conseil, notamment lorsqu’il a créé une activité de coaching (Aetius Partners) à destination des candidats à l’entrée dans les cabinets de conseil en stratégie, analogue à celle que vient de lancer David Cukrowicz.
Un amour du recrutement qui s’est poursuivi jusqu’au démarrage de Talentkraft, lancée voilà trois ans. La start-up d’une quinzaine de personnes domiciliée à One North dans le quartier des affaires de Singapour développe des solutions de recrutement automatisées qu’elle commercialise ensuite aux entreprises de tout poil, avec la promesse qu’elles consacreront moins de temps à recruter et qu’elles choisiront mieux leurs recrues.
Casey est une de ces solutions. Concrètement, il s’agit d’un chatbot avec lequel les candidats seront amenés à interagir très tôt dans leur recrutement en amont du reste du process normal – à Paris, trois tours de deux entretiens de business case et de fit, complétés par de courtes sessions de questions et réponses en fin d’entretien.
« Il y a un premier screening du CV par les ressources humaines, pour vérifier l’école dont proviennent les candidats, si elle est bien une cible ou non pour le cabinet, et si la lettre de motivation ainsi que le CV sont aux standards attendus, tant sur le fond que sur la forme », explique David Cukrowicz.
Casey : concrètement comme cela se passe-t-il ?
Puis, vient alors la nouvelle étape Casey pour celles et ceux qui passeront ce premier screening. Quelques jours après, ils recevront un lien pour se frotter au business-case-chatbot qui a tout du business case classique (relire les cas disponibles sur le site de Consultor). La typologie de cas est du moins la même que celle des cas donnés en entretien physique (évaluation d’une taille de marché, stratégie d’entreprise, cas de compétitivité…).
« Il n’y a pas de différence avec un business case classique en présentiel et nous recommandons que la préparation soit la même », insiste Eugene Goh. Adorateurs des bouquins de préparation les plus courus, vous pouvez les utiliser également pour cet exercice par ordinateur interposé (pour retrouver toutes les ressources disponibles pour se préparer aux entretiens, relire notre article).
Casey propose à chaque candidat un cas sélectionné dans une bibliothèque dont Talentkraft est propriétaire. Le nombre de questions peut varier de 5 à 10, et le temps pour y répondre de 25 à 30 minutes, chaque bureau ayant in fine la main sur le temps précis accordé.
Tout est comme en présentiel, mais avec quelques différences pourtant. Le temps déjà, sans doute un peu plus stressant que de visu. « Ce qui est stressant pour les candidats est la partie calculatoire, avec des graphiques ou tableaux. Beaucoup d'informations ne sont pas utiles, ce qui amène le candidat à trier les éléments pertinents sous contrainte de temps, puis extraire les données qui permettet de réaliser les bons calculs », avance David Cukrowicz.
Pourquoi le BCG se dote-t-il de cet outil ?
Voilà peu ou prou pour le côté candidat. Côté BCG, quel est l’intérêt de se doter d’un pareil outil ? « Notre plus-value est d’aider les sociétés de conseil en stratégie à résoudre efficacement l’équation suivante : recruter les meilleurs profils le plus rapidement possible », pose Eugene Goh. Rien qu’à Paris, le recrutement n’est pas une petite affaire : le nombre de CV reçus peut monter jusqu’à 4 500, le service RH compte une vingtaine de personnes, sans parler des consultants mis à contribution pour faire passer des entretiens (relire notre article).
« En automatisant la sélection des profils qui seront ensuite reçus en entretien, on élargit un peu le pipe de ceux qui sont retenus. Le ratio du nombre d’heures totales consacrées par le cabinet aux entretiens sur le nombre de personnes recrutées diminue sensiblement. Au tarif horaire d’un consultant en stratégie, on diminue d’autant les coûts de recrutement et la frustration des consultants qui passent sinon des heures avec des profils dont ils savent dans les deux minutes qu’ils ne seront pas recrutés », appuie Eugene Goh, sans toutefois donner de chiffre.
Objectifs donc : limiter les « faux positifs » sur CV, ces profils qui déçoivent en entretien présentiel et permettre plus souvent aux « faux négatifs » d’avancer. Ceux-là dont le CV est moyen mais dont les profils peuvent détonner de visu. Car, comme le dit Eugene Goh à l’aune de sa propre expérience de recrutement, « les entreprises de conseil en stratégie ont évolué. Si elles étaient davantage exclusivement des structures de conseil en stratégie quand j’y suis entré en 2005, elles se sont beaucoup diversifiées depuis et ont ouvert leurs recrutements à des profils parfois inattendus : des diplômés de master dans les beaux-arts, de littérature, de théologie. Au final, peu importe tant que ces personnes sont à l’aise avec le business sense et les chiffres ».
Diversifier les profils et limiter le temps passé à les trouver. Car pour l’heure, au bureau de Paris, le dicton veut que sur cent CV reçus, dix personnes passent des entretiens et une reçoit une offre. En réalité, « en 2019, le BCG à Paris a reçu environ un millier de personnes en entretiens de recrutement », estime David Cukrowicz. Soit environ 20 % des CV reçus s’ils étaient à nouveau de l’ordre de 4 500.
Ce qui est raccord avec les chiffres d’autres cabinets : 30 % chez Oliver Wyman sur 3 000 CV et 25 % sur 500 CV chez Ares sont reçus en premier tour d’entretien (relire notre article sur la grande machine à écrémer les CV dans le conseil en stratégie). Ce qui veut dire, tout de même, environ 1 000 et 125 personnes respectivement à recevoir en entretien.
Pour l’heure, Casey n’est en fonctionnement que dans quelques bureaux (au Maroc, en Pologne, à Singapour…), mais pas encore à Paris. L’ambition est, à terme, selon Eugene Goh, qui ne mentionne toujours pas le nom du client, qu’il soit déployé dans l’ensemble des bureaux.
Les sirènes de l’automatisation
Le BCG n’est pas le seul à ajouter une dose d’automatisation à ses recrutements. Depuis maintenant deux ans, l’équipe recrutement de Bain and Company à Paris est accompagnée par l’outil Pymetrics — une plateforme de gaming qui utilise l'intelligence artificielle pour évaluer les caractéristiques sociales, cognitives et comportementales des candidats L'outil est utilisé dans le screening des CV pour les stages et embauches des juniors. Puis, le premier tour d'entretiens présentiels comporte un exercice en ligne de 30 minutes qui porte sur les compétences analytiques et calculatoires, sens business et la logique.
De même, McKinsey utilise un jeu vidéo pour tenter de découvrir des « perles » non identifiables dans le process classique. Chez EY-Parthenon, certains candidats font état de pré-entretiens par vidéo automatisée.
Et les cabinets de conseil en stratégie sont loin d’être les seules organisations à robotiser tout ou partie de leurs processus de recrutement. Pléthores d’entreprises le font déjà, tout particulièrement dans des environnements à aussi fort niveau de sélectivité que le conseil en stratégie, comme la banque d'affaires (J.P. Morgan ou Goldman Sachs étaient des précurseurs) en automatisant beaucoup plus largement et pour les mêmes raisons : minimiser la charge de travail des personnes en charge des RH, embaucher des profils plus pertinents, favoriser la diversité des profils retenus en évitant les biais (sexistes, racistes…) des recruteurs.
Seulement, ces robots présentent de nouveaux risques : standardiser le profil type, doté d’un certain type de vocabulaire, de certaines mimiques de visage (des critères utilisés par HireVue, une des solutions de recrutement automatique les plus utilisées), déshumaniser le caractère interpersonnel d’une embauche…
On n’en est pas encore là au BCG. Car Casey n’est pas pleinement automatique. Toutes les questions proposées ne sont pas fermées, certaines appelant deux ou trois lignes de rédaction écrite explicative et l’exercice s’achève par une minute de recommandation vidéo.
« L'évaluation est réalisée en partie de manière automatique, notamment pour les calculs, et pour le reste gérée par des humains, par exemple pour analyser les explications en toutes lettres communiquées par les candidats.Sur les quatre dimensions testées en présentiel sur les candidats à l’entrée au BCG, la structure, le business sense, le quantitatif et l’esprit de synthèse, Casey en couvre deux sur quatre : il va plus loin sur le quantitatif et traite au même degré le business sense. Les compétences orales et la structuration du raisonnement ne sont que peu ou pas traitées », résume David Cukrowicz.
Quand bien même, l’automatisation des recrutements séduit aussi dans le conseil en stratégie : Eugene Goh dit être en discussion avec plusieurs autres cabinets de conseil. Ils pourraient eux aussi se doter d’une version personnalisée de Casey.
Le chatbot pourrait donc se généraliser. À quelles conditions de transparence sur le fonctionnement de l'intelligence artificielle chargée de faire le tri entre le bon grain et l'ivraie ? Sur ce point, on suppose que le BCG sera au moins aussi vertueux que la philosophie d'IA que le cabinet de ses vœux : le mardi 12 janvier, BCG Gamma, sa marque dédiée au big data lancée en 2016, annonçait le lancement de Facet, « une bibliothèque de codes inédite et en open-source pour une IA plus transparente et éthique ».
Benjamin Polle pour Consultor.fr
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