« Solendro n’est qu’une boîte de vente de slips »
Guerre ouverte entre alumnis du conseil en strat’ à la tête de l'entreprise. Les deux fondateurs de Solendro, ex-apprentis du conseil en stratégie, Matthieu Géhin et Jules Delmas, règlent leurs comptes depuis mai dernier avec les fonds Breega et Internet Attitude, suspectés de fraude et d’escroquerie en bande organisée. Olivier Brisac, DG de Solendro de juillet 2021 à avril 2022, ex-partner et co-fondateur du cabinet Circle en 2019, est vent debout contre ce buzz « malhonnête » qui s’est enflammé via la presse et les réseaux sociaux.
Rewind. Matthieu Géhin, en stage de fin d’études chez Bain en 2010, et Jules Delmas, lui chez CVA, créent Solendro en 2012, site marchand spécialisé en sous-vêtements masculins.
Il faut sauver le soldat Solendro
En 2020, les deux dirigeants sont révoqués « victimes d’un coup de force », d’« un véritable putsch », selon leurs propres mots. Officiellement en raison d’un litige avec les actionnaires, deux fonds d’investissement, le français Breega et le belge Internet Attitude, entrés respectivement en 2014 et 2016 dans le capital de la PME. Ces actionnaires (ils détiennent au total 51,59 % du capital) jugeaient alors insatisfaisants les résultants de l’entreprise, quelque 6,5 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2019, loin de la valorisation arrêtée en 2016 lors de la levée de fonds de 3 millions d’euros à hauteur de 9,2 millions. « Nous réunissons plus de 50 % des droits de vote, et nous avons décidé de nous séparer d’eux, car nous avons des doutes sur leur capacité à diriger la société. Ils n’agissent que dans le but de protéger leurs intérêts personnels. La justice tranchera », avait alors partagé François Paulus, cofondateur de Breega. Jean-Pierre Lestavel, un expert retail (Louis Vuitton, Levi Strauss, 3 Suisses) est alors nommé président, suppléé quelques mois plus tard, en juillet 2021, par Olivier Brisac, nommé DG de Solendro. Avec ses différentes casquettes, le couteau suisse Olivier Brisac est appelé à la rescousse pour mettre en place un plan stratégique efficace. Il est à la fois un bon connaisseur du sérail de l’entreprise (Assurland, Smartbox Group, PhotoBox) et du conseil en strat’ – cet ancien consultant de Bain & Company (1998-2000) est l’un des trois co-fondateurs de Circle en 2019. Olivier Brisac est également membre du conseil d’administration de Solendro depuis 2016, et membre du comité d’investissement du fonds Internet Attitude depuis 2011.
L’effet boomerang de la justice
Deux ans plus tard, lors d’un premier arrêt rendu le 31 mars 2022, la Cour d’appel réinvestit pourtant les co-fondateurs ; Jean-Pierre Lestavel et Olivier Brisac sont, quant à eux, débarqués. « Ils (Matthieu Géhin et Jules Delmas, ndlr) sont arrivés dans les locaux avec trois copains (dont un administrateur qu’ils avaient nommé) quelques jours après l’arrêt de la Cour d’appel, avant même la signification par huissier de la décision. Tous les cinq m’ont viré des bureaux manu militari, et j’ai été licencié en avril de mon poste de directeur en charge des opérations digitales et commerciales (mais je n’ai pas été démis de mon mandat de DG). Une salariée témoin de la scène a fait une attestation sur l’honneur pour certifier leurs méthodes violentes, et elle a été menacée par les fondateurs. Ils jettent en pâture sur les réseaux sociaux des noms de salariés des fonds d’investissement qui sont ensuite trainés dans la boue. Ce sont des gens qui ont la capacité de se comporter de manière malhonnête », partage aujourd’hui à Consultor l’ancien DG, Olivier Brisac. Un arrêt qui fait actuellement l’objet d’un recours devant la Cour de cassation et une décision attendue en 2023.
Beaucoup de bruit pour rien ?
Depuis mai dernier, et le retour aux manettes des dirigeants fondateurs, les fauves sont lâchés. Les co-fondateurs de Solendro donnent leur version des faits à qui veut bien l’entendre dans la presse (notamment Le Journal du Net et BFM TV), et les réseaux sociaux s’enflamment. Un buzz qui a débuté sur la Toile par un tweet fin avril de Jean de la Rochebrochard, dirigeant du fonds Kima Ventures de Xavier Niel (qui se veut le lanceur d’alerte de la French Tech) : « Entrepreneurs, si vous avez (eu) des mésaventures avec des fonds/business angels qui reviennent sur leurs termes/engagements, écrivez-moi » (et 800 retours annoncés).
Un « e-déferlement » qui ne manque pas de choquer l’ancien associé de Circle, DG par intérim de Solendro. « Toute cette histoire a fait beaucoup de mousse sur les réseaux sociaux, et certains ont pris pour argent comptant ce qu’ils ont dit », déplore Olivier Brisac, qui tient à remettre les pendules à l’heure. « Dans cette histoire, c’est trop facile d’imaginer que les fonds sont des prédateurs. C’est le monde à l’envers. Quand on lit le récit de Breega, on voit que ce sont les fonds qui sont victimes et pas l’inverse. Solendro n’est pas une société de haute technologie, avec de nombreux brevets ou une masse de clients sensibles. C’est une belle société, certes, mais ce n’est qu’une boîte qui vend des slips, qui est endettée, qui a peu de trésorerie, et qui a un chiffre d’affaires de 6 millions d’euros. Quel intérêt pour les actionnaires de virer les fondateurs ? Dans une startup, le principal actif, ce sont les fondateurs. Si les fonds ont décidé de les révoquer, c’est qu’ils ont été poussés à le faire. Il n’y avait personne pour reprendre la société. »
Détournement de fonds
De leur côté, Matthieu Géhin et Jules Delmas (qui n’ont pas donné suite à la sollicitation de Consultor), détenteurs de 41,62 % des parts, ont déclaré avoir déposé une plainte au pénal pour « escroquerie en bande organisée, recel, faux et usage de faux, et abus de bien sociaux », à leur retour à la tête de Solendro. Entre autres chefs d’accusation, « cinq jours après l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris, trois chèques de la société d’un montant total de 240 000 € ont été encaissés », assure notamment Matthieu Géhin, dont au moins un aurait été antidaté, selon les dirigeants. « C’est n’importe quoi, l’écart entre la date du chèque et la date d’encaissement est juste normal. Ils disent que ce n’est pas normal d’avoir des fournisseurs qui mettent dix jours à encaisser, mais c’est très courant », conteste de son côté le DG de Solendro entre juillet 2021 et avril 2022, Olivier Brisac. Ce à quoi Breega a de son côté rétorqué : « N’étant pas impliqué dans la gestion quotidienne de l’entreprise, Breega n’est évidemment ni l’émetteur ni le destinataire de ces chèques. »
Dans ces 240 000 euros, 90 000 auraient été encaissés par ESV Digital, « une agence de marketing digital avec qui Solendro n’a jamais travaillé jusque-là et qui s’avère être dirigée par… deux amis et anciens associés de M. Brisac », accusait Matthieu Géhin dans son réquisitoire « médias ». Une dénonciation de plus qui fait sortir Olivier Brisac de ses gonds. « Ils ne manquent pas de toupet ! D’après les investisseurs, ils auraient détourné 600 000 euros en ABS (abus de biens sociaux, ndlr), soit 10 % du chiffre d’affaires, et souhaitent sciemment détourner l’attention. ESV Digital a débuté son contrat le 1er avril à la suite d’un appel d’offres en bonne et due forme. En tant que mandataires payeurs, ils ont normalement été payés par avance pour deux mois d’achats d’espace. Jules (Delmas) les connaît très bien, les a rencontrés, et ils lui ont tout expliqué, il a toutes les infos. »
Des décalages de trésorerie qui auraient provoqué une déclaration de cessation de paiement déposée pour le compte de Solendro par l’avocat de Breega. « La société avait toujours été en croissance depuis sa création et, en 2021, le seul exercice où nous ne sommes pas là, le chiffre d’affaires de l’entreprise a chuté de 40 %, avec des pertes telles qu’une procédure d’alerte a été ouverte par le commissaire aux comptes de l’entreprise. C’est ce que nous avons retrouvé le 31 mars », a partagé de son côté le binôme de dirigeants à la presse, qui suspecte les fonds d’avoir mis en place une stratégie d’éviction… et la boîte avec. Et finalement, un « comportement de ces actionnaires irresponsables (qui) risque tout simplement de détruire la valeur de l’entreprise ». Avec un préjudice subi estimé à 5 millions d’euros par le duo. Et Olivier Brisac de rétorquer : « J’assume d’avoir pris l’initiative de solliciter l’ouverture d’un redressement judiciaire pour permettre à la société de réaménager ses dettes sur 10 ans. C’est une décision de gestion et, selon moi, c’était la meilleure voie pour assainir cette société qui avait trop souffert de ces conflits judiciaires. »
Quand Breega sort les griffes
Le fonds Breega – dont une associée, Isabelle Gallo, est également une alumni de Bain – a lui aussi déposé une plainte au pénal pour abus de biens sociaux et escroquerie au jugement et a tenu, en ce début novembre via un communiqué de presse, à répondre à l’ensemble des allégations répandues sur la Toile. « Ce déballage unilatéral d’opinions nous force à rompre le silence tant les différents événements relatés nous paraissent éloignés de la réalité », est-il notifié dans le communiqué de presse du fonds d’investissement (qui a fait disparaître Solendro de ses entreprises-vitrine sur son site). « Breega n’a jamais racheté ni proposé de racheter la moindre action des fondateurs de Solendro, et se retrouve aujourd’hui victime de propos à caractère diffamatoire… en menant ce qu’il convient de nommer une vendetta publique contre ceux qui les ont accompagnés depuis leurs débuts. »
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Isabelle Gallo, qui fut senior consultante chez Bain & Company à sa sortie de l'ESSEC de janvier 2010 à 2014, vient d'être cooptée partner par les trois cofondateurs de Breega, un fonds d'amorçage créé en 2015 et qui compte 250 millions d'euros sous gestion.
Breega tient ainsi à démonter point par point ce qui s’apparenterait, selon Olivier Brisac, à une pure campagne de dénigrement de la part des fondateurs, qui seraient juste « en train de détourner l’attention ».
Un droit de réponse auquel l’ancien DG de Solendro, Olivier Brisac, adhère à 100 %. « Cela montre parfaitement que les fondateurs mentent par omission en donnant une chronologie erronée, et qu’ils s’amusent à manipuler l’opinion publique pour arriver à leurs fins. Dans le récit qu’en fait Breega, ce sont les fonds qui sont victimes, et pas l’inverse. Ils se sont mis dans une situation de se faire révoquer. Ce n’est pas un acte volontaire, mais défensif des fonds. Ils (les fondateurs, ndlr) ont voulu salir la réputation de personnes, c’est lamentable comme procédé », commente Olivier Brisac. « Chacun doit comprendre que le but premier d’un fonds n’est pas de se “séparer des fondateurs” des sociétés qu’il accompagne ou “d’aller au tribunal”. En réalité, lorsque vous en êtes rendus là, c’est toujours le signe d’un échec collectif », se désole officiellement de son côté la gouvernance du fonds Breega.
La hache de guerre n’est pas près d’être enterrée entre les fonds investisseurs, les actionnaires majoritaires, et les dirigeants de la marque au slogan-choc qui résonne drôlement dans cette tempête médiatico-judiciaire : « Faites le mâle, mais faites-le bien ».
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