Un nouveau chef de file pour la filière consulting
David Mahé arrive ce début juillet à la présidence de Syntec Conseil, succédant à Matthieu Courtecuisse, en poste depuis 5 ans. Croissance, recrutements, IA, consultant bashing : Consultor l’a interrogé sur ses priorités.
David Mahé, fondateur en 2016 du cabinet RH Human & Work, prend les rênes du syndicat professionnel du secteur du conseil (250 membres). Changement de style, changement de tonalité. Administrateur de Syntec Conseil depuis 2019, président depuis 2 ans de la commission « Stratégie et management », David Mahé fait le point pour Consultor sur le secteur après deux années tendues sur tous les « fronts » et donne le cap de sa présidence. Selon le nouveau président, tout va bien sous le soleil du conseil…
Consultor : Vous arrivez à la présidence de Syntec Conseil dans une période post-euphorie 2021-2022. Entre polémiques à répétition, des plans de licenciements annoncés dans le monde, un secteur jugé moins attractif, des recrutements en berne… Comment le secteur du conseil, en particulier du conseil en stratégie, traverse-t-il ces remous ?
David Mahé : Le conseil va bien. Nous connaissons depuis une décennie une croissance à deux chiffres (12,5 % pour l’ensemble du secteur, 22,5 % pour le conseil en stratégie, ndlr), et les prévisions 2023 nous confortent une nouvelle fois dans cette perspective avec un taux de 10 % en moyenne. Mais notre développement ne dépend plus seulement de la croissance de l’économie elle-même, mais aussi de sujets de transformation importants, que sont la technologie et l’IA, la réindustrialisation et la relocalisation en Europe, les nouvelles attentes sociétales et de RSE. Nous vivons véritablement une métamorphose avec une accélération de questions quasi existentielles.
L’arrivée de l’IA, encore très minoritaire en termes d’activité et sur laquelle les cabinets communiquent en masse, n’est-elle pas un danger pour le métier de consultant ?
Elle est un levier de productivité potentielle pour les entreprises assez incroyable. Il n’existe pas un autre sujet qui puisse générer autant de productivité. L’IA va bouleverser le travail en l’invitant à changer de nature. Elle est à la fois un risque (la disparition de certains métiers, le manque d’adaptabilité), mais aussi un levier extraordinaire. Aujourd’hui, l’IA représente 4 % de l’activité du secteur. Ce n’est qu’un début. Les cabinets de conseil en général, et de conseil en stratégie en particulier, s’y préparent déjà depuis plusieurs années. Nous prévoyons une augmentation du pourcentage d’offres liées à l’IA passant ainsi de 1,7 à 4 %, mais aussi au digital (39 % vs 37 % en 2022), à la data (21 % vs 18 %).
On a beaucoup évoqué la vague de démission de consultants aux États-Unis. Le recrutement était extrêmement tendu en 2022 dans le conseil en stratégie. Qu’en est-il cette année ?
Les États-Unis, premier secteur du conseil au monde, connaissent des mouvements beaucoup plus marqués. C’est beaucoup moins le cas en France. Après une année 2022 de tension extrême, dans une période de sortie de crise avec un dynamisme d’activité très fort, nous percevons en France un léger relâchement cette année et un retour à un rythme à peu près normal. Le rapport de force est plus équilibré, les indicateurs de turn-over sont plus stables. On ne parle pas ici de licenciements. Les sociétés de conseil en stratégie et management en France prévoient cette année de recruter 28 % de nouveaux collaborateurs au regard de leur effectif total (majoritairement des jeunes diplômés 70 %), soit, en moyenne, 28 prévisions d’embauche pour une société de 100 personnes. N’oublions pas que le conseil reste le premier recruteur des jeunes diplômés des grandes écoles. Notre défi en termes de recrutement, la diversification des profils et des origines, notamment en déployant encore davantage la diversité et l’inclusion - comme la question de l’emploi des séniors. Nous devons être exemplaires et innovants pour démontrer à quoi peut ressembler le futur du travail.
Le secteur du conseil en stratégie a été pour le moins malmené par des commissions d’enquête sénatoriales. Celle-ci, en 2022, a abouti à une proposition de loi discutée en ce moment à l’Assemblée nationale. De même, en ce moment, le conseil passe au gril quant à son rôle dans le secteur pharma sur la pénurie de médicaments. S’ajoutent des polémiques à répétition sur les pratiques de certains cabinets, notamment McKinsey. Cela fait-il du mal au métier ?
Cela n’a pas eu d’impact sur le développement des cabinets, mais en effet en termes d’image de marque, c’est l’ensemble de la profession qui est touchée. Nous n’avons pas suffisamment travaillé sur l’utilité du conseil, et ce sont les caricatures qui ont été pointées. Mon objectif est de montrer plus de transparence en expliquant notre métier, qui n’est pas une force occulte.
Ces auditions des cabinets par le Sénat ont pour le moins montré que les cabinets n’avaient pas grand-chose à dire sur ce qu’on leur reprochait…
Je ne comprends tout simplement pas pourquoi les cabinets ont été auditionnés. Nous n’avons pas à nous justifier sur les livrables à des personnes tierces. Pour moi, la question est mal posée au départ. Par exemple, sur les achats de conseil par le secteur public, si l’on considère que l’État dépense trop de conseil, alors c’est à la haute administration de diminuer les dépenses. Et l’on demande aux cabinets de répondre à des questions sur des sujets sur lesquels ils ne sont pas décideurs. Ce ne sont pas les cabinets qui décident d’ouvrir ou de fermer des laboratoires, des usines, des centres de R&D. Lorsqu’un client public pose une question à un cabinet de conseil, cela devient un sujet entre le client et le cabinet, les publications appartiennent au client et doivent rester confidentielles. La publication de documents à cette occasion représente même pour moi un danger pour la France, un avantage concurrentiel dommageable. La conséquence, c’est que certains cabinets s’éloignent du secteur public et d’autres ne font plus que ça, ce qui expose à une autre problématique de consanguinité. La question serait plutôt de voir si l’État se porte mieux ou moins bien s’il fait appel aux cabinets de conseil.
Ces auditions ont permis cependant de jeter un pavé dans la mare, avec une exigence de plus de transparence, de bonnes pratiques. Syntec Conseil a pour l’occasion établi une charte déontologique…
Cela a été effectivement une façon pour nous de nous positionner clairement, une réponse appropriée à ce qu’est notre métier, ce que l’on fait, en décrivant les principes et les modalités d’intervention. Elle est obligatoire, signée par l’ensemble de nos 250 membres, qui représentent environ la moitié de la profession.
Pensez-vous que l’encadrement des appels d’offres du secteur public est aujourd’hui suffisant ?
Les responsables de la haute administration doivent être capables de définir ce qui est de leur responsabilité ou pas, quand le recours aux consultants est approprié ou pas, quand il est justifié ou pas. Il me semble important que la haute administration développe des compétences internes afin d’utiliser le conseil à bon escient. Nous ne sommes pas là pour pousser à la consommation, et le conseil français n’a pas vocation à prendre des décisions à sa place.
Quelles leçons tirer de l’échec de la scission audit et conseil d’EY ?
Je n’ai pas d’avis sur ce sujet. C’est une décision qui ne se prend pas à Paris. Et dans chaque groupe, chaque cabinet trace sa route. Mais ce qui est certain, c’est que cela crée aussi des perturbations au sein du secteur.
Quelles sont vos ambitions à court terme pour imprimer votre présidence ?
Avant tout bâtir une industrie forte du conseil en France. Pour cela, je me donne trois priorités : continuer à rassembler toutes les familles du conseil avec leurs sujets communs et spécifiques, valoriser notre impact et notre utilité – car lorsqu’on oublie de valoriser, on joue en défense, et le temps du « pour vivre heureux, vivons cachés » est révolu –, mettre en valeur l’axe innovation de notre métier, car c’est là que s’invente le futur.
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