Avant la loi anti - « consultocratie » au Sénat, la filière défend sa charte
Syntec Conseil, le syndicat pro du secteur, vient de se doter d’une charte des bonnes pratiques déontologiques des interventions de conseil auprès du secteur public. Télescopage des agendas.
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La proposition de loi visant à les encadrer, déposée au Sénat le 21 juin dernier (ici), est inscrite pour discussion au calendrier des sénateurs les 18 et 19 octobre prochains. Matthieu Courtecuisse, le président du syndicat des pros du secteur, DG-fondateur du cabinet Sia Partners, très remonté contre le projet de loi, croit plutôt à l’autorégulation responsable du secteur.
Consultor : Vous avez été auditionné, mardi 27 septembre, par la vice-présidente de la commission des lois, Cécile Cukierman, dans le cadre de l’examen du texte avant sa discussion mi-octobre (auditions non publiques). Vous êtes très critique à l’égard du projet de loi. Qu’avez-vous partagé à la sénatrice ?
Matthieu Courtecuisse : Nous pensons qu’il y a confusion entre la maîtrise des dépenses de conseil et les moyens à mettre en œuvre. La question de la dépense incontrôlée est légitime, mais le projet de loi ne répond absolument pas à une problématique centrale, le fait que l’État est désarmé en termes de compétences internes. Par ailleurs, ce projet de loi crée de telles barrières légales et administratives qu’il va rendre quasi impossibles les dépenses de conseil pour la sphère publique. Je pense en particulier aux dispositions de passation de marché, aux dispositifs de contrôle qui deviennent de véritables usines à gaz, de l’évaluation des missions dès le premier euro dépensé.
Ce projet de loi fait du consultant un lobbyiste en puissance, dites-vous…
Les dispositions sur les conflits d’intérêts sont par ailleurs totalement disproportionnées, alors même que la commission d’enquête n’a mis au jour aucun cas avéré… Ce texte est même attentatoire aux libertés individuelles ; les consultants devant déclarer leur patrimoine et celui de leur conjoint. Démesurées aussi les mesures sur les transferts de personnes entre secteur public et conseil (ou inversement). Des cas assez rares, moins de 10 personnes, et qui n’ont fait l’objet d’aucun avis de réserve de la part de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Nous avons le sentiment d’être stigmatisés pour des raisons totalement injustifiées. Il n’y a pas eu d’affaire Cahuzac chez les consultants, affaire qui a provoqué la création de la Haute Autorité dédiée pour rappel. Les règles déontologiques et de pilotage des conflits d’intérêts sont plus importantes que pour les cabinets de lobbying. C’est comme si les consultants étaient des lobbyistes en puissance…
En début d’année, vous avez bien sûr été entendu par la commission sénatoriale enquêtant sur l’influence des cabinets de conseil dans la sphère publique, une audition lors de laquelle vous mettiez déjà en doute leur réelle influence (ici). Pour vous, cette proposition de loi sert-elle à calmer les esprits ?
Pas à calmer les esprits, mais à réduire au maximum l’intervention des cabinets dans le secteur public, voire à la supprimer, comme le souhaitait d’ailleurs la rapporteure de la commission d’enquête Éliane Assassi. Mais en réalité, sur un plan pratico-pratique, ce sont les cabinets eux-mêmes qui vont se déporter sur d’autres secteurs. Rappelons que le marché du conseil en stratégie et management est en croissance constante de 10 % par an, l’État ne représentant que 7 % de ce marché… Et si la loi s’applique telle quelle, et que nous devons faire face à une nouvelle crise covid ou à une cyberattaque à l’échelle nationale, les cabinets ne pourront plus intervenir, alors même que l’État n’a pas réglé le sujet d’internalisation des compétences… Il y a un double risque d’ordre opérationnel et stratégique. Le gouvernement l’a bien vu et ne va pas laisser passer cette loi…
Le gouvernement vient d'annoncer un encadrement plus strict des prestations de conseil dès 2023.à lire aussi
Pourtant, vous travaillez depuis mai dernier à une charte des bonnes pratiques déontologiques. Un encadrement plus strict des activités de conseil dans la sphère publique vous semble donc bien nécessaire…
On a travaillé ensemble avec l’ensemble des dirigeants de la place qui représentent 90 % des dépenses de conseil dans le secteur public. La sortie de notre charte correspondait plutôt au calendrier de la DITP pour laquelle nous souhaitions apporter des réponses éthiques (ndlr : la DITP qui a retardé le lancement de sa nouvelle consultation, relire ici). Avec ce socle commun partagé par l’ensemble des entreprises adhérentes, Syntec Conseil entend ainsi consolider le lien de confiance avec les administrations de l’État et des collectivités territoriales, avec leurs agences et leurs opérateurs. Nous souhaitions montrer que nous étions capables de travailler à notre propre autorégulation. Cette charte est une sorte de label à destination du secteur public. Nous ne sommes pas prêts, en revanche, à accepter des audits effectués par des tiers non validés qui auront accès à nos documents. C’est même contraire au droit des affaires.
Dans la charte, les cabinets adhérents de Syntec Conseil actifs dans le secteur public s’engagent sur dix principes fondamentaux : de la probité à l’indépendance, en passant par la déontologie, la protection de la confidentialité des données ou la prévention des conflits d’intérêts. Quels sont, pour vous, les points clefs de cette charte ?
Cette charte s’inscrit dans le prolongement d’un code déjà existant depuis 1995 (actualisé en 2003, puis en 2009, NDLR) qui est notamment amendé de quelques dispositions nouvelles sur les conflits d’intérêts et la cybersécurité. La véritable novation, c’est que nous répondons à la problématique réelle du pro bono (en l’interdisant, NDLR) et du mécénat de compétences (en l’encadrant, NDLR). Pour le reste, les dispositions viennent plutôt entériner les bonnes pratiques déjà existantes. Nous matérialisons par exemple l’attestation sur l’honneur des consultants, intégrée au bon de commande, concernant la prévention des conflits d’intérêts. Nous sommes également clairs sur la propriété intellectuelle et les éléments de traçabilité des livrables : lorsque nous vendons une prestation, le client devient propriétaire du livrable, et nous ne pouvons pas être responsables de l’utilisation qu’il en fait.
L’ensemble des cabinets est-il aligné sur ce nouveau code des bonnes pratiques ?
Pas besoin de la signer, elle s’impose à tous les adhérents. Si certains ne la cautionnent pas, ils quitteront le syndicat. Mais cela m’étonnerait, car tous les cabinets importants ont participé à son élaboration. Et comme elle est imposée, en cas de remontée d’un problème – par des lanceurs d’alerte –, un comité examinera la situation et évaluera les conséquences en fonction d’une échelle de sanction que nous allons mettre en place, et ce jusqu’à une éventuelle exclusion de Syntec. Si un cabinet est exclu du syndicat, sa candidature à un appel d’offres posera de fait question, les acheteurs publics en tireront les conséquences.
Qui va composer ce comité déontologique ? Quels moyens aura-t-il ?
Ce groupe de sages de 3 ou 4 personnes, dotées d’un passé dans le conseil et d’une image irréprochable, de jeunes retraités du conseil par exemple, n’est pas encore établi. Cela va avancer en parallèle avec le travail sur le projet de loi. Il va intervenir sans moyen d’enquête, sans pouvoir réaliser d’audit, c’est irréalisable à notre échelle. Nous avons par ailleurs un autre point de réflexion dans les prochaines semaines pour équiper cette charte : proposer un module de formation dédié aux cabinets.
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