Coulisses – EY : comment le coup d’après se prépare
Après l’arrêt d’Everest, le colossal projet de scission du groupe de 350 000 personnes, l’hypothèse martelée en interne est qu’une séparation interviendra bel et bien sur un périmètre revu et sous 2 ans.
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Quinze jours après que les États-Unis (40 % de l’activité d’EY) ont mis un terme au plus important changement qu’aurait connu le secteur du consulting dans le monde depuis la séparation Andersen – Accenture voilà 20 ans, en France l’avenir s’écrit toujours au conditionnel.
Car comme disent plusieurs sources à Consultor, maintenant qu’une croix a été faite sur le projet de séparation des activités d’audit et de conseil d’EY, dans lequel des milliers de collaborateurs ont été impliqués et des centaines de millions de dollars engloutis, les informations sur le « what’s next ? » tardent à redescendre.
Chez EY, une future scission reste dans toutes les bouches
En France, parmi les 6 000 collaborateurs d’EY, tout particulièrement entre les 350 partners hexagonaux, les calls pullulent sur le sujet ces derniers jours. Un message y est régulièrement martelé : le projet de scission aura lieu sous une forme ou sous une autre, mais pas dans l’immédiat et pas dans la forme initialement envisagée.
Exit donc le trait de crayon qui avait été tracé entre les équipes audit et consulting, la répartition qui avait été faite des fonctions support central et la date de janvier 2024 qui était régulièrement avancée.
Place à la V2 de la scission. « C’est réaffirmé très fermement et à tous les niveaux. L’ordre de grandeur qui circule est plus 2 ans que 6 mois », glisse un partner qui, comme l’ensemble des partners que nous avons interrogés, a requis l’anonymat. « On veut mettre Everest derrière, mais on reste convaincu du rationnel stratégique de la séparation et on veut réavancer sur une scission d’ici 1 ou 2 ans », confirme un autre.
Pourtant, une bonne partie de l’organisation reste à ce jour dans l’expectative. « Ce n’est pas très étonnant. Nous sommes 15 jours après l’annonce, EY est un gros machin à faire bouger. Il faut le temps de se réorganiser », analyse encore un autre.
La ligne de com’ française était à peu près la même : nous subissons une décision qui n’est pas la nôtre, bien sûr il y a de la déception, le temps et l’argent investis ne l’ont pas été en vain et porteront leurs fruits.
L’arrêt du projet Everest, un moindre mal ?
Mais, en coulisses, tous s’en doutaient depuis un certain temps (dès début mars, la patronne US d’EY avait d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme). Et tous ne sont pas si déçus que cela.
Car se séparer allait aussi avec son lot d’aléas. Un ex-partner récemment parti refait gaiment le match : « Je ne crois pas que cela soit une si mauvaise solution qu’Everest ne se fasse pas. Il y avait tout pour que ça plante ! »
Qui disait séparation disait une cascade de baisse de salaires à encaisser pour les partners, managers et consultants qui auraient rejoint l’entité EY consulting. Les baisses auraient concerné les profils les plus seniors au premier chef, mais par extension les plus juniors également. Ce qui ne ravissait pas tout le monde.
Puis, « les marchés financiers n’aiment pas du tout les produits cycliques », pose l’une de nos sources. Pour qui l’introduction en bourse de la nouvelle entité EY Consulting aurait été synonyme d’un changement significatif de la nature des activités de conseil d’EY.
« À partir du moment où vous rentrez dans une classe d’actifs comparables, avec Capgemini ou Accenture, les marchés allaient mettre la pression pour que l’activité soit orientée vers des produits longs, sécurisés et sécurisants » anticipe cette source. Une stabilité qui n’est pas vraiment le fort des lignes de conseil fiscal, juridique, transactionnel ou en stratégie, qui peuvent connaître des fluctuations importantes en fonction des clients ou des conjonctures. Post-scission et post-cotation, la priorité aurait pu être donnée à de grands programmes d’ERP, façon IBM, qui auraient pu en rebuter plus d’un.
Puis, pour l’ensemble du partnership des lignes de conseil d’EY, se détacher de l’audit aurait voulu aussi dire un changement d’état d’esprit commercial. « Dans l’advisory, les gens vivent bien du fait de tout l’environnement, de toutes les connexions développées par l’audit, les CFO, les trésoriers qu’on connaît un peu partout, les entreprises dont le cabinet a été le commissaire aux comptes par le passé. Les auditeurs amènent du business en non-audit. Les Big Four reposent sur ces intersections, et c’est pour cela qu’ils fonctionnent. »
Pour cette source, l’argument de l’élargissement du terrain de jeu commercial mis en avant par les promoteurs d’Everest ne se serait pas matérialisé partout. « Dans certains pays, les partners des lignes de conseil arrivent de McKinsey, de Roland Berger ou équivalents, ils ont un réseau, une réelle agressivité commerciale et savent prospecter. Ils sont venus développer les activités de conseil, mais ils sont emmerdés par les restrictions liées aux métiers réglementés (voir notre article sur les départs de partners en série chez KPMG dernièrement). Dans ce cas, cela peut marcher. Mais pas partout, les proportions de vrais chasseurs ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre. »
Voilà pour le commentaire après-match. Et à présent ?
La fête aux chasseurs de têtes
À présent, un paquet de chasseurs de têtes de la place parient sur des vagues de départ après l’échec d’Everest. « On est appelés en permanence. Ils s’en donnent à cœur à joie », témoigne un partner qui se veut pourtant confiant. Tout en se voulant très rassurant à ce sujet : l’ambiance n’est pas du tout au sauve-qui-peut. « Le sujet fait plus de bruit chez certains partners que globalement. Ça ne nous fait pas vaciller, et l’atmosphère reste plutôt très bonne. La dominante est : “On est plutôt au bon endroit et à un moment donné la scission qui doit se faire va se faire” », veut croire un des partners que nous avons interrogés.
C’est une autre des lignes de com’ partagée par le management d’EY en France : l’échec d’Everest n’oriente pas l’activité du Big Four à la baisse et n’étiole pas l’attractivité de l’entreprise pour ses collaborateurs. « L’année va être bonne, voire très bonne », défend un partner, notamment pour le volant conseil en stratégie EY-Parthenon qui resterait staffé à 100 % (a contrario du marché qui montre des signes de décélération).
Éric Fourel, le patron d’EY France, disait la même chose aux Échos : « Nous n’allons rien perdre, c’est surtout un manque à gagner. Nous devrions clôturer nos comptes en juin avec une croissance qui pourrait atteindre 15 %, c’est probablement l’une des firmes qui offre les taux les plus attractifs. Mais nous aurions pu viser plus de 20 % de croissance dans le conseil grâce à la scission. »
En attendant, dans la foulée de l’annonce de l’arrêt du projet Everest, EY aux États-Unis a rendu public un plan d’économies de 500 millions de dollars. Mais l’un serait complètement décorrélé de l’autre.
La piste d’un spin-off européen ?
Pour l’avenir, le consensus est à ne rien dire sur le visage que pourrait avoir une future scission. « Des tas de discussions sont en cours » évacue une de nos sources. Un de nos interlocuteurs se risque à imaginer un spin-off à l’échelle européenne avec l’entrée d’un fonds de private equity, sans les lourdeurs et les contraintes d’un gros IPO ou d’une importante levée de dette sur les marchés.
Mais une autre source, interrogée sur cette option, la balaie sans ménagement : « Si une région sortait, elle perdrait tous ses accès au reste du réseau. Ce n’est pas viable. Ce sont de pures conjectures niveau café du commerce. Je n’ai pas entendu cette option évoquée une seule où que ce soit. »
Clairement, les violons restent à accorder. En France du moins, les partners cherchent le bon tempo. Dixit un autre : « Rappelons-nous quand le dossier aura bougé. »
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