Une lettre anonyme sème le trouble chez McKinsey
Nouveau rebondissement pour le géant mondial du conseil, en Europe cette fois. McKinsey est en effet déstabilisé par une lettre anonyme supposée émaner d’anciens associés. Le point sur les faits.
Selon un article du Sunday Times daté du 23 mars, une lettre appelant à la refonte de McKinsey et s’autoproclamant rédigée par « d’anciens partners mécontents » a été diffusée en ligne le week-end des 16 et 17 mars. Elle aurait largement circulé au sein du cabinet et suscité l’inquiétude de certains des principaux associés européens, qui y ont immédiatement réagi.
Dès le 18 mars au soir, il n’était plus possible d’accéder à ce texte.
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Dans la foulée de la fuite d’un plan de suppression de 2 000 salariés des fonctions support, deux senior partners de la firme battent la coulpe d’un modèle de conseil qu’ils jugent désuet et qu’ils appellent à refonder. Cette position crée des remous en interne.
Si la publication anonyme peut être l’œuvre de tiers extérieurs au géant américain, le vocabulaire employé comme le style mobilisé ressemblent à s’y méprendre à ceux de la firme — selon les sources ayant pu la consulter.
Autre élément pouvant orienter vers d’anciens « McKinsey » : le titre de la lettre, en référence à une célèbre formule de Marvin Bower, « the obligation to dissent ». Ce dernier est réputé avoir donné ses lettres de noblesse au conseil en stratégie au sein du cabinet qu’il a rejoint en 1933, James McKinsey l’ayant fondé en 1926.
Une « obligation » qui fait toujours partie des grands principes de McKinsey à destination des jeunes recrues et au fil du parcours professionnel des consultants.
Un « engagement qualitatif et quantitatif des partners » qui serait en déclin
Le principal reproche adressé à McKinsey et à ses dirigeants actuels est la recherche « agressive » de croissance depuis des années, avec des effectifs en hausse de 60 % au cours de la dernière décennie — ce qui représente 46 000 employés à l’échelle mondiale. Selon les auteurs de la lettre, le cabinet aurait étendu ses activités à des domaines qui vont au-delà de ses expertises reconnues. La qualité de ses conseils s’en trouverait affectée, ce qui nuirait gravement à l’image de marque de McKinsey alors que la firme a toujours été un symbole d’excellence.
L’engagement des associés est également pointé du doigt, sur le plan qualitatif et quantitatif. Le cabinet aurait par ailleurs choisi lui-même de fonctionner en « surcapacité ».
Une image moins flamboyante à divers égards
Le géant américain traverse en effet une période de turbulences dans le monde entier, entre une succession de scandales (celui des opioïdes notamment, aux États-Unis) et un leadership contesté. La réélection de Bob Sternfels à la tête du cabinet a d’ailleurs eu lieu sur le fil. Pour rappel, son prédécesseur, Kevin Sneader, n’avait effectué qu’un seul mandat, et il a désormais quitté la firme.
Le contexte économique se fait par ailleurs plus incertain. En février 2024, 3 000 consultants du cabinet ont ainsi été avertis de leur déficit de performances et appelés à y remédier sous trois mois. Bien que McKinsey y voie une situation “relativement habituelle”, cette mise sous revue traduit une plus grande vigilance de McKinsey quant à ses effectifs. Les fonctions support ont quant à elles fait l’objet du premier plan social de l’histoire du cabinet, début 2023.
Des reports de paie avaient également été demandés aux partners, la totalité de leur rémunération leur ayant été in fine distribuée en 2023.
Pour une refonte du système et un retour de l’esprit McKinsey
En était-ce trop pour les anciens associés supposés rédacteurs de la mystérieuse lettre ? En toute hypothèse, la missive semble vouloir réveiller les consciences pour que les « sorciers de l’entreprise », comme on qualifie les consultants de la firme, retrouvent leur pleine efficacité — et tout leur prestige.
Car il s’agit bien d’un appel, comme les phrases suivantes – retranscrites dans l’article du Sunday Times – en témoignent.
« Nous sommes tous bouleversés de voir ce que [McKinsey] est devenu en raison de préjudices autogénérés, d’un manque de focalisation stratégique et d’une obsession commerciale de court terme. Ne perdons pas notre firme. Reconstruisons-la. Soyons à nouveau distinctifs. »
La lettre exige le renouvellement de l’actuelle équipe dirigeante, qualifiée de « stagnante » et accusée de ne pas avoir su gérer les rivalités en son sein. Elle enjoint aussi la firme à faire preuve de davantage de « compassion » et de « respect » quand des réductions d’effectifs sont requises.
Un appel à la dissidence interne pris très au sérieux
Plusieurs patrons des bureaux européens de McKinsey y ont réagi immédiatement. Ainsi, Massimo Giordano, managing partner pour l’Europe, a cherché à rassurer le personnel par mail. Selon lui, si certains des éléments évoqués dans la lettre anonyme « résonnent [en lui], [d’autres] sont faux et [d’autres encore] ont été pris en compte ». Une hotline a été ouverte pour répondre aux préoccupations des employés concernant la direction, s’ils en ont.
La réaction du managing partner Royaume-Uni, Irlande et Israël, Tunde Olanrewaju, chez McKinsey depuis 22 ans, a été plus rugueuse. Dans un mail transmis aux employés, il a déclaré que cette lettre était « au mieux naïve, et au pire hypocrite ». Selon lui, elle comporte un potentiel de « division » et pourrait provoquer « des troubles internes » — toujours d’après l’article du Sunday Times.
Contacté par Consultor, le bureau parisien de McKinsey n’a pas fait de commentaires à ce stade.
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