Burn-out : le conseil ne fait pas exception à la loi du silence
Le burn-out aura bientôt un demi-siècle. Santé ! Quasi cinquante ans que le psychanalyste new-yorkais Freudenberger a observé, dès 1974, des corrélations étroites entre une surcharge de travail et des symptômes divers (fatigue, rhume, maux de tête, insomnie, colère, cynisme…).
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Pourtant, en France, la reconnaissance du burn-out par la loi est quasi inexistante. Tout juste 200 à 300 cas d’épuisement professionnel sont reconnus chaque année, selon une récente proposition de loi – retoquée – du député La France Insoumise de la Somme François Ruffin. Alors même que selon plusieurs sources et sondages récents (CFDT, cabinet Technologia…), un bon tiers des salariés français disent avoir déjà été dans une situation de burn-out.
Le conseil pourrait être l’un secteurs les plus risqués en termes de burn-out : « Il implique un certain nombre de contraintes physiques et psychologiques qui produisent stress, insécurité et surperformance », explique Sébastien Stenger, enseignant-chercheur à l’Institut supérieur de gestion et auteur de l’ouvrage Au cœur des cabinets de conseil et d’audit. De la distinction à la soumission.
Il est de notoriété publique que les journées de huit heures à minuit n’y ont rien d’extraordinaire. L’intensité des tâches demandées est aussi connue et la pression protéiforme. Elle provient du mode de management prédominant qui repose sur la concurrence entre individus. L’évaluation couperet dite « up or out » en est la meilleure illustration : soit les consultants performent mieux et plus, et ils restent. Soit ils stagnent, et ils partent.
« Consultant et burn-out ? C’est antinomique comme termes »
Dans ce contexte, c’est peu dire que les bobos à l’âme ne sont pas vraiment la priorité. « Consultant et burn-out ? C’est antinomique comme termes », s’exclame Thomas (le nom a été changé pour préserver l’anonymat de la personne, ndlr), un consultant qui, il y a deux ans, a senti les premiers signes d’un burn-out. « Dans le concept névrotique des cabinets de conseil, l’injonction est de tenir, coûte que coûte. C’est pernicieux car on aime ce que l’on fait. On travaille à l’excès. Je ne dormais plus, les idées fusaient sans arrêt. Je ne ressentais plus le besoin de manger et l’action devenait comme une drogue. »
Le contraste est frappant avec le discours dominant dans le secteur. En un mot : burn-out, connais pas. Pour une simple raison : le secteur est aussi un de ceux où le taux de roulement des équipes est le plus élevé (avec 25 à 30 % de changement des salariés par an), au même niveau que dans les centres d’appels par exemple. Ce qui veut dire que les candidats au burn-out – qui existent – prennent la poudre d’escampette avant de devoir faire reconnaître leur mal-être ou solliciter un arrêt maladie.
Un bon indicateur de ces départs hors du conseil en stratégie est à chercher dans les profils qui optent pour une porte de sortie en deçà même si leurs parcours universitaires et un début de carrière dans un secteur pluridisciplinaire très réputé auraient permis d’espérer mieux. Et ces « rebonds faciles » sont plutôt nombreux.
Des élites naturellement complices du surinvestissement
En plus, les profils des consultants en stratégie, issus des parcours élitistes à la française (CPGE, grandes écoles), ne sont pas les plus prompts à reconnaître leur propre mal-être. « Les consultants sont des personnes qui savent se faire mal. Formés dans des prépas, bien souvent, ils n’ont pas de limite dans le travail, constate maître Philippe Ravisy, avocat spécialiste du conseil et de la défense des dirigeants. Ils souffrent du syndrome du premier de la classe. » Ces fameux « insecure overachievers », ces surperformants angoissés. « Habitués à être les meilleurs, cela devient dramatique quand ils se retrouvent challengés par les autres premiers de la classe. » Complices de ce surinvestissement, ils n’hésitent pas à prolonger leurs journées de travail pour ne pas perdre le « lead », se prouvant « à eux-mêmes qu’ils appartiennent à un groupe d’élite », commente Sébastien Stenger.
Car « ne pas réussir est une sorte de déchéance du statut, de déclassement, de mort d’une norme sociale ». Contraste encore avec le discours et les politiques managériales affichés par les cabinets. La recherche de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée est devenue la norme. Encore récemment, Advancy a instauré un point hebdomadaire avec le staff pour passer en revue la semaine écoulée : ceux qui ont eu des pics de travail et ceux qui par conséquent devront voir leurs tâches allégées dans les jours à venir. Sans pouvoir encore en jauger les effets quantitatifs.
Avant lui, le BCG avait déployé une politique mondiale d’intégration des activités personnelles des consultants au sein même du planning des missions. L.E.K oblige les consultants à rentrer plus tôt chez eux un soir par semaine. Chez Roland Berger, des outils de suivi et de remontée sont à la disposition des consultants : baromètre sur les projets tous les quinze jours, baromètre par grade tous les trimestres pour le bureau, et des points de suivi individuel RH organisés chaque semestre.
Du bricolage, tancent les bons connaisseurs du sujet, vouant aussi aux gémonies les politiques prônant le bien-être et le bonheur au travail (afterwork, petits déjeuners d’entreprise…) qui, en définitive, ne font que rallonger le temps passé au travail. « Rien n’est fait dans les cabinets de conseil. Au contraire, il n’y a pas de pratique pour décompresser ou pour prévenir suffisamment tôt les burn-out. L’impératif est d’être performant, compétitif, rentable », tacle Daniel Cossard, consultant, psychologue du travail et fondateur du cabinet Relais Manager.
Un début de prise de conscience
Tout n’est pas statique quand même. Pour maître Philippe Ravisy, avocat spécialiste du conseil et de la défense des dirigeants, un début de prise de conscience intervient notamment du fait des obligations légales et des contentieux, qui ont forcé le législateur à intervenir. Ainsi l’article 27 de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi (dite « loi Rebsamen ») avait consacré au niveau de la loi, la reconnaissance des pathologies psychiques comme maladies professionnelles.
Et le sujet est aussi central pour les cabinets eux-mêmes qui ont tout intérêt à faire en sorte que leurs meilleurs éléments ne jettent pas l’éponge d’épuisement. Ce qu’ils échouent à faire jusqu’à aujourd’hui. « La recherche d’un meilleur équilibre entre vie pro et vie perso est la première cause de départ des consultants aujourd’hui », dit Alix Renard, DRH chez Roland Berger.
Mais la route sera longue dans le conseil en stratégie. Ainsi, ce patron d’un bureau parisien qui se réjouit que les locaux soient quasi systématiquement vides le vendredi à 19 heures. À l’exception de quelques « âmes en peine » : « Ils sont encore là parce qu’ils sont trop lents », nous dit-il, sans ciller. CQFD.
Audrey Fisné et Benjamin Polle pour Consultor.fr
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