Burn-out : le mythe du « super-héros no limit » vacille
C’est suite à un arrêt de plusieurs mois d’une consultante pour burn-out que le cabinet Vertone a décidé de prendre cette problématique à bras-le-corps. Avec la sensibilisation régulière de l’ensemble des Vertoniens sur le sujet. Prévenir pour mieux guérir.
- Le BCG choisi pour « sourcer » des candidats et écrire les offres d’emploi de 30 agences européennes
- Erreurs, confidentialité, formation : quels garde-fous à l’IA dans le conseil ?
- Recrutements dans le conseil en stratégie : atterrissage rapide après l’euphorie post-covid
- Entretiens de recrutement : les RH souvent hors-jeu
- Consulting : la grande décélération
- La vie de stratège en BD — Épisode 3 : Joyeux Noël !
- Le conseil et le couple font-ils bon ménage ?
- Le moins possible de télétravail, même en temps de grève !
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon les statistiques officielles, le burn-out (syndrome lié à un stress chronique au travail) toucherait entre 7 et 12 % des salariés. Un cadre sur deux ferait un burn-out au cours de sa vie professionnelle. Pourtant, il reste un sujet plus que tabou (relire notre article), et en particulier dans les cabinets de conseil en stratégie où le secteur rime avec stress et horaires à rallonge, et où le binôme excellence-performance est de rigueur. « Comme partout ailleurs, nous en parlions peu, nous connaissions très mal cette maladie et nous avions de nombreux a priori. Alors, lorsque nous étions confrontés à un long arrêt suite au burn-out de l’un de nos collaborateurs, nous étions assez démunis collectivement », reconnaît Benoît Tesson, fondateur de Vertone.
Un vécu qui sert d’expérimentation
Mais l’une des managers du cabinet, Florence Hirondel, elle-même touchée par ce syndrome il y a près de trois ans, a osé briser la loi du silence pour en parler ouvertement avec ses supérieurs. De retour à son poste plusieurs mois plus tard, la manager et les dirigeants de Vertone ont décidé de prendre le taureau par les cornes. Le burn-out est devenu un sujet de discussion au sein du cabinet. « Ce qu’a vécu Florence a été révélateur et déclencheur. J’ai été en première ligne avec elle, j’ai dû décider de l’arrêter. Elle avait manifesté de l’épuisement, mais m’avait dit qu’elle irait mieux… C’est sans nul doute arrivé à d’autres sans que cela n’ait été mis en mots et c’est susceptible d’arriver encore. Alors, nous avons fait le choix d’informer régulièrement l’ensemble de nos collaborateurs », précise le patron engagé Benoît Tesson.
Les consultants en première ligne
Burn-out par-ci, burn-out par-là. Tout le monde en parle, mais finalement cette maladie est extrêmement mal connue. Avec de nombreux préjugés. Premier exemple : les profils types. Le burn-out ne toucherait pas avant tout les plus stressés et les plus faibles psychologiquement. Bien au contraire. Florence Hirondel sait de quoi elle parle. « Ceux qui doivent s’arrêter de travailler ne le font généralement pas de leur plein gré. C’est souvent le corps qui craque. Ils ne peuvent tout simplement plus se lever pour aller au bureau, se concentrer sur leur livrable, ou se rendre à une réunion. Ils ont en commun une valeur travail très forte, une tendance à confondre performance et réalisation personnelle, une conscience professionnelle exacerbée, avec parfois même une tendance à être workaholic. Ils sont aussi très rigoureux, perfectionnistes, persévérants et résistants. Ils négligent souvent leurs ressentis et leurs émotions », détaille Florence Hirondel. Une description qui coche évidemment bon nombre de cases dans l’univers des cabinets de conseil en stratégie. « Nous avons des consultants sortis des meilleurs cursus académiques des meilleures écoles, dotés d’une forte culture de l’excellence et de la performance. Nous ne sommes jamais loin du complexe du super-héros no limit », complète Benoit Tesson.
Le burn-in, signe annonciateur
Alors Vertone se prête à un exercice d’un nouveau genre. Aider les consultants individuellement et collectivement à détecter les symptômes annonciateurs du burn-out, appelés phase de burn-in : fatigue physique chronique, troubles du sommeil, alimentaires et digestifs, mais aussi maux de tête, diminution des défenses immunitaires, problèmes musculaires… « Ce sont aussi des symptômes psychiques : boule au ventre, sentiment d’être débordé, désintérêt, irritabilité, manque d’estime et de confiance en soi, voire crises d’angoisse. Avant tout, les séances de sensibilisation auprès des Vertoniens ont pour vocation de leur partager les mécanismes afin qu’ils détectent au plus tôt chez eux et chez leurs collègues ces signes. En parler très tôt permet la plupart du temps de désamorcer le cercle vicieux », décrit Florence Hirondel.
à lire aussi
Le burn-out aura bientôt un demi-siècle. Santé ! Quasi cinquante ans que le psychanalyste new-yorkais Freudenberger a observé, dès 1974, des corrélations étroites entre une surcharge de travail et des symptômes divers (fatigue, rhume, maux de tête, insomnie, colère, cynisme…).
La mission dédiée de Vertone
Florence Hirondel, qui s’est largement documentée sur le sujet, a aussi souhaité mettre en place un outil collectif de prévention. « D’après une étude de juin 2019, 40 % des personnes touchées n’en n’ont pas parlé au travail, alors qu’en parler réduit de beaucoup les risques. Notre objectif premier était de briser cette omerta. De dire qu’il y a beaucoup d’incompréhension à ce sujet », confie la manager.
En interne comme en externe, notamment auprès du réseau Entreprendre il y a quelques semaines, la manager et le patron de Vertone interviennent ainsi régulièrement sur le sujet. Ils organisent des ateliers de sensibilisation sur ce qui est classé depuis 2019 par l'OMS comme un syndrome en lien avec le travail. Vertone a également mis en place un outil, Moodwork, pour améliorer l’accompagnement du bien-être au travail, une référente dédiée, la responsable RH Lise Condé, et propose si besoin un listing de contacts de psychologues. « Florence a proposé de formaliser ce qu’elle avait vécu et toutes ses connaissances acquises sur le sujet, identifier les signes avant-coureurs, les caractéristiques de celles et ceux particulièrement exposés, les moyens de prévenir pour soi et autour de soi », ajoute Benoît Tesson.
Le covid, terreau fertile au burn-out
Pour le dirigeant de Vertone, ces ateliers réguliers sont aussi un moyen de former les managers à une écoute spécifique. « Nous avons un énorme enjeu à détecter les signaux faibles de cette maladie, aider celles et ceux qui vivent une période difficile à exprimer les choses avant qu’il ne soit trop tard », souligne Benoît Tesson. Une problématique encore plus cruciale depuis deux ans et la crise sanitaire, durant laquelle les cabinets ont dû mettre leurs troupes en télétravail, avec tout ce que cela implique en termes de (non-)communication, et ce particulièrement pour les jeunes entrants.
« La perte de repères dans l’espace et dans le temps durant ce télétravail forcé, et sans temporisation entre le travail et le privé, a été un facteur de risque supplémentaire. À cela se sont ajoutées les incertitudes et le stress concernant la pérennité des entreprises et de l’avenir professionnel des collaborateurs. Je pense que le travail d’information réalisé autour du sujet a porté ses fruits, les collaborateurs sont plus au fait du phénomène et des risques. », dit encore le cofondateur du cabinet.
Ces ateliers dédiés permettent aussi aux autres Vertoniens d’apprendre comment se comporter face à ce type de malades. Des arrêts de longue durée, de quelques semaines à plusieurs mois dans la majorité des cas, du repos nécessaire pour reprendre pied. « Les premières semaines sont très difficiles pour le malade. Souvent, les collègues ne savent pas trop comment se comporter. On donne quelques clefs. On apprend aussi à accueillir l’autre lors de son retour, à l’accompagner de manière bienveillante dans un rythme adapté à sa situation, sans stigmatisation », confirme Florence Hirondel.
Vertone, très impliqué dans la démarche RSE, la responsabilité sociétale des entreprises, est plutôt avant-gardiste sur le sujet. Tout en restant humble face à cette pathologie de santé mentale des plus complexes. « Je pense que cela permet au moins d’en parler beaucoup et d’éviter quelques cas. Mais ce n’est pas une science exacte. Depuis, malgré tout, des cas se sont encore présentés », relativise le patron de Vertone qui compte bien continuer à contribuer à libérer la parole. Et l’actualité littéraire s’en empare aussi. Dans son dernier ouvrage, Connemara, Nicolas Mathieu, prix Goncourt 2018, raconte Hélène, 40 ans, une consultante en burn-out qui décide de retourner aux sources pour se reconstruire.
Un tuyau intéressant à partager ?
Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !
commentaires (1)
citer
signaler
Manuel de survie
- 18/11/24
Un nouveau barème de couleurs commence à fleurir sur les CV des consultants McKinsey. À quoi correspond ce système d’unification des « niveaux d’impact » individuels, précisément ?
- 28/10/24
La crise sanitaire l’a montré : c’est possible. Mais est-ce souhaitable ? Dans le conseil en stratégie, le télétravail suscite depuis 4 ans des annonces régulières d’un « retour au bureau », comme dans beaucoup de professions intellectuelles supérieures. La réalité est plus nuancée.
- 02/09/24
Première femme indienne à avoir été élue partner chez McKinsey en 1985, Chandrika Tandon fait résonner sa voix dans de multiples domaines.
- 29/08/24
A 37 ans, Paul Ricard, partner d’Oliver Wyman aux US, vient de se voir confier un challenge d’envergure : prendre la tête de la practice assurance et gestion d'actifs pour l’ensemble de la région Asie-Pacifique à Singapour. Particularité de ce Français né dans l’Aveyron, consultant de la firme depuis 2011 : il a, durant ces 14 années, évolué uniquement hors de France : aux US, dans les bureaux de New-York puis de San Francisco.
- 19/07/24
Plusieurs cabinets de conseil en stratégie accompagnent leurs consultants désireux de suivre des formations certifiantes. Dans quel contexte, et pour quels bénéfices ?
- 16/07/24
Selon les senior partners de Kéa, Arnaud Gangloff et Angelos Souriadakis, le métier de consultant en stratégie a profondément muté ces dernières années.
- 16/02/24
Les coûts et les gains de productivité induits par l’intelligence artificielle vont-ils conduire à une refonte des modèles de tarification des missions de conseil en stratégie et une évolution de la relation aux acheteurs ? Pour certains, que nenni. Pour d’autres, évidemment. Entre deux, plusieurs cabinets s’interrogent.
- 26/01/24
Chacun sa route, chacun son chemin, chacun la mission de conseil qui lui convient ? Si cette envie de satisfaire les consultants dans les attributions de clients et de sujets entre les consultants des cabinets de conseil en stratégie peut paraître tentante, sa mise en œuvre est beaucoup plus nuancée.
- 11/01/24
Pas un jour ne passe sans qu’un nouvel usage, un nouveau partenariat ou une nouvelle promesse n’émerge en ce qui concerne l’intelligence artificielle dans le conseil en stratégie. Comment prévenir les erreurs, garantir la confidentialité des données clients et former adéquatement sans mettre en péril les modèles des cabinets ? Consultor a interrogé différents consultants de la place à ce sujet.