Au creux de la vague, les berniques collent aux rochers
Le roulement des consultants dans les cabinets de conseil en stratégie, entre celles et ceux qui y entrent, et celles et ceux qui en sortent, traditionnellement plus élevé que dans la moyenne des entreprises, marque un net coup d’arrêt. Plusieurs raisons l’expliquent et diverses conséquences s’en suivent.
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Le turnover dans le conseil est une règle intrinsèque à la vie de ces cabinets où l’on rentre souvent en début de carrière et dont on ressort en règle générale après quelques années avec un sésame passe-partout. Or, récemment, cet indicateur que scrutent souvent les cabinets avec attention a été « divisé par deux ».
Telle est l’estimation faite par David Vidal, le managing partner de Simon-Kucher à Paris quant à l’évolution du roulement des équipes de consultants du cabinet sur les 6 à 12 derniers mois.
Chez Advancy, la tendance est la même : quand en temps normal le cabinet enregistre entre 35 et 40 départs par an dans les bureaux européens, ce chiffre a été « plutôt divisé par deux cette année », comme l’indique le fondateur et associé du cabinet Éric de Bettignies.
Chez Ares & Co, la tendance est encore peut-être plus marquée : l’équipe de 35 personnes n’a enregistré qu’un seul départ cette année. « C’est vraiment très faible pour ne pas dire anecdotique », souligne Florian Harrault, principal chez Ares & Co.
Ce constat a de quoi être souligné alors que le secteur du conseil est connu pour ses taux de rotation des effectifs plutôt supérieurs à la moyenne des entreprises. Il n’est pas rare qu’il soit de 20 % ou plus, avec mille variations d’un cabinet à l’autre. Ce ralentissement partagé par les professionnels du secteur est donc d’autant plus notable.
Tech, Big Four, MBB, conjoncture, culture interne : les raisons du ralentissement
Plusieurs raisons peuvent l’expliquer. « Il y a moins de portes de sortie vers la tech », énonce déjà David Vidal. Un point que partage Florian Harrault chez Ares & Co : « Les fonds sont à présent plus portés sur la rentabilité des techs dans lesquelles elles ont investi que la croissance coûte que coûte du chiffre d’affaires : cela se traduit mécaniquement par une diminution des opportunités de sortie pour les consultants en stratégie. La tech est, cette année, nettement moins l’aspirateur à consultants qu’elle a été en 2022. »
À cela s’ajoute que les gros acteurs du conseil recrutent moins, à l’instar de l’ensemble du marché du consulting au ralenti après deux années post-covid euphoriques, offrant moins de possibilités de sorties là aussi pour les consultants en poste dans des plus petits cabinets et désireux d’évoluer vers des entreprises de plus grande taille.
« Chez nous, les candidats nous exhibent des contrats chez les MBB (McKinsey, Boston Consulting Group et Bain) signés aujourd’hui, mais avec des dates de prise de fonction en janvier 2025. C’est très inhabituel dans le conseil. De fait, ils ne recrutent plus, les candidats, mais aussi les consultants en place savent que nous ne sommes pas nombreux à bien nous porter », avance Éric de Bettignies.
Autre élément explicatif poussé par Florian Harrault chez Ares & Co : « Comme 2022 a été un peu le Far West pour les recrutements dans le conseil avec un très fort renouvellement des équipes, il était logique que nous constations collectivement un moindre turnover en 2023 (et probablement en 2024), les consultants ayant vocation dans le secteur à rester au minimum 2 ou 3 ans en poste », analyse-t-il.
Enfin, au-delà de la conjoncture, Annabelle Dazy-Cannac, DRH monde pour Advancy entend que la qualité des missions et rapidement dans les carrières, les perspectives d’ouverture du capital jouent dans la décision de poursuivre leur voie dans le cabinet.
Les conditions sont donc réunies pour que le turnover recule. « Le marché des talents s’est métamorphosé en un an et demi. On est passé d’une bagarre financière des cabinets pour les talents à des candidats qui sont demandeurs d’opportunités », estime David Vidal. « Une vraie tendance de marché », selon le dirigeant.
Savoir raison garder
À quelques nuances près : « À mon avis, on commet tous une grave erreur à chercher à standardiser ce qu’il s’est passé sur la période post-covid. Il est sûr que si on cherche à se comparer à une période exceptionnelle, le turnover, tout comme la pression sur les équipes, la pression sur les freelances, tout recule. Si on comparait sur 10 ans, je ne sais pas s’il y a réellement une inflexion ou un retour à la normale » modère ainsi Matthias Bucher, partner chez Cepton.
Autre modulo apporté par l’associé : le turnover ne se pose pas à tous les cabinets de la même manière même s’il est présenté comme une dynamique intrinsèque à la vie de toutes les entreprises du secteur.
Chez Cepton, par exemple, « nous n’avons pas de départs vers de plus gros cabinets, sauf exception. Du fait de notre spécialisation, il y a moins d’acteurs chez lesquels il est facile de retrouver le même niveau de prestation et un environnement agréable et bienveillant. On peut chercher une marque plus connue et un bond de salaire, mais les moves restent risqués. Côté innovation, il y a moins de start-ups également, donc hormis des consultants qui partent chez Doctolib ou équivalent, là non plus nous ne connaissons pas des bataillons de départs à destination des start-ups », détaille Matthias Bucher.
Cela étant dit, ces turnovers à géométrie variable connaissent donc dernièrement une nette inflexion. « Une accalmie très marquée », comme le dit David Vidal chez Simon-Kucher, quoiqu’elle ne soit pas comparable aux coups d’arrêt qu’avait connus le secteur après l’éclatement de la bulle Internet en 2000 ou après la crise financière de 2008.
Rien de comparable à vrai dire, mais fini du moins les pics de 40 % de rotation des équipes qu’ont pu connaître certains cabinets au sommet de la vague post-covid. De pareils sommets rendent la conduite des missions de conseil très difficile.
Moins de turnovers, plus de facilité de gestion
Car qui dit turnover élevé, dit beaucoup de départs à gérer, des recrutements à faire, et potentiellement des consultants difficilement libres pour s’occuper des clients. Un turnover élevé équivaut à un climat RH instable.
Le ralentissement du turnover peut donc aussi être bénéfique du point de vue du staffing des missions, du niveau d’expérience moyen des équipes, de la stabilité des effectifs. « Courir après le staffing n’est jamais évident », glisse David Vidal qui voit également dans la baisse du turnover « une hausse positive de l’expérience moyenne des consultants ».
Florian Harrault, principal chez Ares & Co, y voit lui l’avantage de pouvoir rester parfaitement exigeant sur les profils recrutés, « d’autant plus que moins d’acteurs recrutent ». « Un effectif stable permet également de gérer un plan de recrutement plus simplement », abonde-t-il encore. Ou bien d’aller chercher des profils qui étaient durs, voire impossibles à avoir en 2022 à l’instar des profils plus seniors qu’Ares & Co a réussi à recruter à la fin de cette année.
Prudence pour 2024
Pour la suite, l’humeur est globalement à la prudence, et un certain nombre de responsables RH sont dans l’expectative. « C’est le temps qui dira. Chez nous, les bonus viennent d’être distribués. On verra en janvier dans quelles dispositions sont un certain nombre de consultants et s’ils sont dans la disposition de continuer à se développer et à grandir ? », interroge Ian Negus, le tout récent patron des ressources humaines de Corporate Value Associates, arrivé en octobre de Kantar. IL est basé à Londres pour prendre les rênes des RH pour toute la zone EMEA.
Advancy, de son côté, se réjouit de boucler une année décrite comme âpre avec un effectif global de 280 personnes, contre 230 en début d’année. Le cabinet annonce ne pas avoir un jour de consultant dispo avant la fin janvier. Avec 100 recrutements sur l’année, son patron taquine la concurrence avec le sourire : « On aurait pu même recruter un soupçon plus. »
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