Chine/USA : McKinsey menacé d’exclusion des contrats publics à 9 mois de l’élection présidentielle américaine
Aux États-Unis, McKinsey est une nouvelle fois sur la sellette. Les républicains demandent d’exclure la firme des contrats fédéraux, en raison de son rôle – supposé – dans un groupe de réflexion ayant œuvré auprès des autorités chinoises. McKinsey dément catégoriquement. Une affaire qui se déroule à 9 mois de l’élection présidentielle américaine.
Décidément, le Congrès américain laisse peu de répit à McKinsey*. Alors que la sous-commission permanente des enquêtes du Sénat, menée par le démocrate Richard Blumenthal, investigue sur le rôle de plusieurs grands cabinets de conseil américains – dont McKinsey – auprès du Fonds souverain saoudien (PIF), les républicains remettent en cause la loyauté de la firme à leur tour, dans le cadre de ses activités en Chine il y a plusieurs années.
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Le BCG et McKinsey font l’objet d’une enquête quant à leurs activités de conseil auprès du Fonds public d’investissement saoudien (PIF) dans l’univers du sport et dans d’autres secteurs d’activités aux États-Unis. Le Sénat les somme de partager des documents clés.
Un rôle actif dans l’élaboration du plan quinquennal 2016-2020 du gouvernement chinois ?
Concrètement, le vice-président de la commission sénatoriale du Renseignement, Marco Rubio, et le président de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants, Michael McCaul – tous deux républicains –, s’intéressent au rôle de McKinsey au sein de l’Urban China Initiative.
Selon un rapport publié par le Financial Times, l’Agence centrale de planification du gouvernement chinois avait chargé un groupe de réflexion, l’Urban China Initiative (UCI), piloté par McKinsey, de produire des recherches pour le 13e plan quinquennal de Pékin (2016-2020). Les travaux de l’UCI avaient abouti à la rédaction d’un livre de 310 pages en 2015 : une coopération renforcée entre l’armée et les entreprises chinoises y était préconisée, ainsi que l’éloignement des entreprises étrangères des secteurs considérés comme sensibles. Il comportait par ailleurs des recommandations relatives à 14 technologies pour aider la Chine à réaliser des « augmentations spectaculaires de productivité ».
Par ailleurs, l’avant-propos du livre était signé Lola Woetzel, une associée historique de McKinsey basée à Shanghai, qui a fondé l’Urban China Initiative en 2011 et l’a coprésidée. L’UCI a également été domiciliée à l’adresse de McKinsey à Pékin.
Dans un communiqué de presse daté du 23 février 2024, le géant du conseil américain a précisé que l’UCI était « une initiative à but non lucratif cofondée en 2011 avec l’Université de Columbia et l’Université Tsinghua ». Le cabinet de conseil souligne que « l’Urban China Initiative n’est pas McKinsey et [qu’elle] n’a pas effectué de travail au nom de McKinsey ». Selon le cabinet de conseil, « [McKinsey] n’a été rémunéré pour aucune recherche ou initiative liée à l’UCI ».
L’associé directeur monde de McKinsey, Bob Sternfels, avait précédemment déclaré devant le Congrès qu’à sa connaissance « l’entreprise n’avait jamais travaillé pour le gouvernement central chinois ». Une version mise à mal par le Financial Times le 28 février 2024, lequel a pu accéder à un ancien site de McKinsey Chine (fermé en 2019) où le cabinet indiquait… l’avoir fait. Sachant que McKinsey a seulement reconnu, jusqu’à présent, avoir parmi ses clients « des gouvernements locaux et des entreprises publiques ».
Dans un nouveau communiqué de presse, le géant du conseil américain évoque « des informations inexactes » issues d’un document marketing. Et il dément de nouveau avoir travaillé pour le gouvernement chinois.
La sécurité nationale américaine fragilisée selon les politiques
Dans les colonnes du Financial Times, en amont des informations exhumées via l’ancien site web, Michael McCaul avait déclaré trouver « choquant qu’une entreprise américaine ait – possiblement – soutenu les efforts du Parti communiste chinois pour développer des politiques et des plans qui violent les règles du commerce international et menacent la sécurité nationale et les intérêts économiques américains ». De ce fait, selon lui, McKinsey « ne devrait pas recevoir de contrats payés avec l’argent des contribuables américains ».
Quant au sénateur Marco Rubio, il avait estimé que « McKinsey semblait avoir menti à plusieurs reprises sur ses relations avec le Parti communiste chinois ». D’où la nécessité « d’en apprendre davantage sur le rôle de McKinsey dans l’élaboration des plans quinquennaux de la Chine ». Selon lui, à ce stade, il est impossible « de justifier un quelconque contrat McKinsey avec le gouvernement américain ».
Une affaire… à épisodes
Ce n’est pas la première fois que le rôle de McKinsey auprès de la Chine est questionné par les sénateurs, plus précisément par Marco Rubio. Ce dernier s’était appuyé sur une vaste enquête du New York Times consacrée au développement des activités du cabinet dans le secteur public.
L’épisode 1 date donc de 2018. Le sénateur pointe alors du doigt les relations du géant du conseil américain avec le Parti communiste chinois. En cause : un séminaire organisé dans la ville de Kashgar, non loin des camps d’internement ouïghours. Voilà pour la dimension « droits humains ». Quant à la dimension économique et géopolitique, elle concerne le rôle joué par McKinsey dans la Belt and Road Initiative (BRI), destinée à accroître l’influence chinoise et à réduire la présence des entreprises américaines au niveau international. La BRI est aussi perçue comme un instrument de la « diplomatie du piège de la dette » à l’égard des pays en développement.
Plus récemment, deux journalistes du New York Times, Walt Bogdanich (triple lauréat du prix Pulitzer) et Michael Forsythe (membre du pôle Investigations du NYT, basé à Hong Kong jusqu’en 2017) – à l’origine de l’enquête susmentionnée – ont publié un livre consacré à la firme : McKinsey, pour le meilleur et pour le pire (Buchet-Chastel, 2023).
On peut notamment y lire que le géant américain du conseil « travaille de plus en plus pour des gouvernements autoritaires partout dans le monde ou pour des entreprises publiques qui contribuent à consolider le pouvoir de ces derniers ».
Au vu du climat préélectoral américain et de l’importance de l’enjeu de sécurité nationale dans ce contexte – sans parler du niveau de tension toujours élevé entre la Chine et les États-Unis –, il y a fort à parier que le Congrès ne lâche rien quant aux affaires en cours impliquant McKinsey… ainsi que d’autres « grands » du conseil américain. Au-delà du monde du conseil, trois fabricants américains de semi-conducteurs – Intel, Nvidia et Micron – ont été appelés à témoigner devant le Congrès dans le cadre de leurs activités en Chine.
Pour la firme, si une exclusion des contrats publics devait se confirmer, la perte financière serait majeure : depuis 2008, selon la base de données USAsending.gov, ses contrats auprès du gouvernement fédéral lui ont rapporté 1Md $. Elle est aussi intervenue régulièrement comme sous-traitante de projets menés par d’autres structures.
* Le Congrès américain a d’autres dossiers en cours relatifs à McKinsey, comme le potentiel conflit d’intérêts lié à ses missions pour la FDA d’une part, et pour les Big Pharma de l’autre.
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