Confidentialité : que vaut la méthode Mars ?
Plusieurs mesures seraient la garantie d’une parfaite préservation des informations que les clients confient aux consultants : « war room », Chinese Wall... Mars & Co se veut au sommet de l'exemplarité puisque le cabinet revendique de ne servir qu'un client par secteur. En quoi cela consiste-t-il concrètement ? Et est-ce une réelle garantie de davantage de confidentialité ?
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Conflit d’intérêts ? Vous avez dit conflit d’intérêts ? No conozco. En théorie, les consultants sont des parangons de vertu. Quand bien même, surtout pour les plus internationaux d’entre eux, ils ont un accès privilégié aux données confidentielles de plusieurs entreprises avec lesquelles ils collaborent. Jamais, ô grand jamais, les habits de Jean ne serviraient à habiller Paul. Cachez ce conflit d’intérêts qu'on ne saurait voir !
Plusieurs mesures seraient la garantie d’une parfaite neutralité. Chez McKinsey, certains décrivent même la culture du silence entre collègues, de peur que des sujets touchy ne s’éventent. « Pour la simple raison que si ça se trouve l’un bosse pour la Sogé, l’autre pour BNP. Ce n’est pas une règle écrite, mais c’est un usage », dit un ancien.
Lorsqu’ils sont mandatés sur des due diligences – la revue des actifs comptables préalables à une vente –, tous les cabinets mettent en scène leur « war room ». Un nom un tantinet guerrier qui sert à désigner un niveau maximal de mise à l’écart d’une équipe ad hoc de consultants, regroupés dans une ou plusieurs salles accessibles à eux seuls.
Sauf que deux mains ne suffisent plus à compter les dossiers qui illustrent l’inanité de ces mesures préventives, du délit d’initié chez McKinsey jusqu’à Oliver Wyman conseillant la Banque centrale portugaise sur la liquidation d’une banque de détails après avoir œuvré à sa réorganisation. Sans parler des innombrables cas où le slide présenté le lundi se retrouve le vendredi sans que les noms aient été modifiés d’un jour à l’autre.
Candide au pays de Mars
Pour boucher les trous d’air, le Chinese Wall serait LA rustine universelle. La notion est bien établie dans les affaires. Elle désigne les barrières éthiques qu’une même organisation se donne pour éviter les conflits d’intérêts d’un département à l’autre, d’une filiale à l’autre, d’une BU à l’autre, etc.
Dans le conseil, Mars & Co a même fait de la confidentialité un acte initiatique et une marque de fabrique. Au BCG, dont il était un vice-président, le fondateur éponyme du cabinet, Dominique Mars, trouvait le cumul de plusieurs contrats dans un même secteur ingérable.
En règle générale, tout consultant au moment de commencer une mission peut accéder à de copieuses bases de données et de knowledges sur tout ce que des décennies de missions ont appris sur un secteur, sur ses entreprises, sur ses modèles de coûts, sur ses innovations…
Pas chez Mars, exclusivité oblige, défend-on dans les murs de l’ancien secrétaire d’État de l’avenue Victor Hugo. Pas d’autre choix que de commencer par exhumer toute l’information publique disponible. « Qui est beaucoup plus importante qu’on ne croit », dit Fabien Jacquot, l’un des vice-présidents de Mars & Co.
Puis multiplier les interviews auprès de tous les bons connaisseurs d’une activité : les fournisseurs du secteur, les anciens du secteur, les experts du secteur… Case suivante de la méthode de conduite des missions Mars : les directeurs de recherche et les managers sont identifiés par compétences et expertises. C’est le centre d’intelligence économique fait maison. Un mot un peu formel pour nommer la manière que Mars utilise pour faire bénéficier à l’ensemble de ses équipes des savoirs accumulés secteur par secteur. Ces experts maison donnent des billes aux équipes dédiées sans que le travail fourni par les uns puisse passer aux autres.
Serveur et ordinateurs sécurisés, hiérarchie dans l’accès à l’information, formation des consultants aux enjeux de la confidentialité seraient les gages ultimes d’une information exclusive et verrouillée.
Les arbitrages délicats
Candide au pays de la confidentialité. La réalité est toujours un soupçon plus complexe. Même pour Mars. D’abord parce que le cabinet doit faire des arbitrages délicats. Par exemple, dans le cas d’un groupe pharmaceutique qui aurait une petite filiale dans l’optique. Mais Mars a déjà lui-même un client historique dans l’optique.
« Dans ces cas-là, nous posons la question à nos clients les plus anciens. Sont-ils d’accord pour que nous travaillions avec tel autre client dont une petite partie de l’activité est concurrentielle avec la leur ? », temporise Fabien Jacquot. Dans ces arbitrages – qui reviennent encore directement à Dominique Mars – l’ancienneté des relations prime sur le chiffre d’affaires supplémentaire.
Copie de mails à l’appui où l’on voit Mars décliner une opportunité commerciale à plusieurs millions de dollars d’un géant des boissons sucrées. Parce que l’accepter aurait empiété sur un client préexistant. « La question de la diversification se pose depuis le début. Il y a une vingtaine d’années, avant d'avancer dans les discussions avec Nestlé [un des clients historiques de Mars, NDLR], nous avions demandé à PepsiCo, qui était déjà client, l'autorisation de poursuivre ces discussions, autorisation qui nous fut accordée. Dans le cas inverse, nous nous inclinons toujours devant la décision du client existant quand elle nous est contraire, tout en étant parfaitement conscients du montant des honoraires que nous abandonnons en nous conformant à sa décision ! Ce fut le cas aussi, il y a une dizaine d'années aux États-Unis lorsque nous avons interrompu des discussions pourtant très avancées avec Kellogg’s lorsque l'acquisition de Quaker est devenue d'actualité pour PepsiCo », détaille Dominique Mars.
Concilier exclusivité et croissance
Autre limite à l’exclusivité : comment la concilie-t-on avec a minima le maintien de l’activité ? Car en théorie, dans une définition rigoriste et de façon schématique, si l’économie se compose de X secteurs, qu’un consultant dit n’intervenir que pour un client par secteur, au tarif de Y, alors son chiffre d’affaires sera égal à Z jusqu’à ce que mort s’ensuive.
« Dans le secteur des mines, quels sont les points communs entre un extracteur et un transformateur de métaux ? La nécessité d’une définition fine des secteurs s’impose », tranche Fabien Jacquot. Et, selon ce principe, la liste des secteurs dans lesquels Mars & Co entend proposer ses services est longue, assure-t-il. Car exclusivité ne peut pas vouloir dire étanchéité des savoirs et des connaissances – dont la diffusion structurée est le fonds de commerce du conseil. Sinon autant tout de suite scier la branche sur laquelle sont assis les consultants.
Le conseil, un secteur peu réglementé contre les conflits d'intérêts
Et d’ailleurs le centre d’intelligence économique de Mars n’est qu’une autre forme de knowledge management. Alors en quoi Mars se différencie-t-il de ses concurrents ? Premier élément de réponse : le secteur du conseil est moins réglementé que l’industrie ou la banque d’affaires, où transiger avec les conflits d’intérêts peut conduire à la case prison.
Charge à chaque société de fixer indépendamment des limites, et de les enfreindre au besoin. Sur ce registre, Dominique Mars se présente en Père Fouettard. « Quand j’ai appris qu’un consultant de Mars aux États-Unis avait subtilisé lors d'une interview au siège d'une entreprise concurrente de l'un de nos clients leur répertoire téléphonique interne, je l’ai licencié sur le champ. Même si ce document n'avait en lui-même que relativement peu d'importance, il s'agissait d'une question de principe », se souvient-il.
Une approche client par client plus sûre que practice par practice ?
Deuxième élément de réponse : l’approche client par client est plus sûre que practice par practice. Le knowledge y est mieux cloisonné. « Dans la concurrence, il est de notoriété publique que les slides de l’ensemble des missions sont centralisés sur des serveurs communs très régulièrement », dit Dominique Mars. Avec un responsable par client, les secrets seraient mieux gardés. Ce qui reste déclaratif et propre à chaque cabinet : jusqu’à preuve écrite du contraire rien ne dit en effet que la concurrence en question fait moins bien que Mars & Co.
Sauf que – plaident en chœur Fabien Jacquot et Dominique Mars – le vrai curseur ce sont les clients et les raisons pour lesquelles ils sollicitent un MBB ou une family office tel que Mars. Lorsqu’ils toquent chez McKinsey ou Boston Consulting Group, ils savent qu’ils bénéficieront d’une large transversalité. Exactement là où Mars sera plus lent que ses concurrents pour sortir au pied levé des ratios sectoriels exhaustifs…
En revanche, chez Mars, ils s’offrent le secret et la garantie qu’une réflexion stratégique en cours ne fuitera pas. Dixit les clients. Dans une vidéo de 1999 – de la première fraîcheur donc – que le cabinet avait réalisée pour ses 20 ans, on voit défiler devant la caméra Roger Enrico (CEO de Pepsi jusqu’en 2012, décédé en 2016), Carl Sassano (président de Bausch & Lomb jusqu’en 2000), Gérard Mestrallet (PDG d’Engie, ex-Suez, jusqu’en 2016), Michael Garrett (ancien vice-président de Nestlé), Frank Herringer (ancien président de Transamerica), Stephen Hemsley (ancien United Healthgroup), tous clients et tissant les lauriers de Mars et de sa méthode, insistant évidemment sur la très haute confidentialité et confiance qu’ils vouent au cabinet.
Un portefeuille client restreint : la meilleure garantie contre les leaks
Tous ne sont plus aux affaires mais les groupes demeurent clients. L’essentiel en matière de préservation de la confidentialité est peut-être là : Mars compte un nombre restreint de grands comptes – une vingtaine aux dires de Dominique Mars – quand ses concurrents en gèrent plusieurs milliers. Plus simple dans ces conditions de faire en sorte que les fichiers des uns et des autres restent tous dans les bons classeurs. Et de garder les mêmes clients longtemps.
Benjamin Polle pour Consultor.fr
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