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Pharma, conseil, BD : les trois vies de Guillaume Mazurage

 

Il était consultant chez Mars & Co US entre 2012 et 2015. Depuis, Guillaume Mazurage a fait une reconversion des plus insolites en devenant illustrateur et dessinateur de BD. Un défi qu’il s’est lancé il y a deux ans.

Cette nouvelle destinée l’a fait naviguer au bout du monde lors d’une campagne de Sea Shepherd aux côtés de son emblématique capitaine, Paul Watson. Avec une BD, qui en est inspirée, à la clef. Le parcours de l’ex-consultant s’est, depuis le départ, échafaudé au fil de rencontres humaines aussi insolites qu’exceptionnelles, notamment celle avec l’iconique consultant Dominique Mars.

Barbara Merle
27 Jul. 2020 à 06:00
Pharma, conseil, BD : les trois vies de Guillaume Mazurage

 

Guillaume Mazurage, 35 ans, fait partie de celles et ceux qui n’hésitent pas à casser les codes pour trouver leur voie. Après un doctorat de pharmacie à l’université Pierre et Marie Curie de Paris en 2012, il effectue un master à l’ESCP pour aller vers le conseil. Trois ans plus tard, il quitte le cabinet Mars & Co pour se destiner au dessin, une passion d’enfance. En 2018, après un séjour à bord du navire de l’ONG Sea Shepherd lors de la campagne Milagro V au Mexique, l’ex-consultant a dessiné et réalisé le scénario de sa première aventure BD, Milagro, qui vient d’être publiée (éditions Robinson-Hachette).

« Rencontrer Paul Watson et embarquer sur cette campagne étaient un rêve d’enfant devenu réalité. En menant à bout ce projet que j’ai porté de A à Z, j’ai pu associer deux passions, le monde de la mer et le dessin. » Un parcours ponctué de rencontres pour le moins inspirantes, de Dominique Mars à Paul Watson donc, en passant par Francis Huster ou encore les deux auteurs de la série de science-fiction Valérian et Laureline, Pierre Christin (scénariste), et Jean-Claude Mézières (dessinateur).

Une double formation recherchée dans le conseil

Guillaume Mazurage était pourtant prédestiné au secteur médical en général, et à la pharma en particulier. Avec un père gynécologue, une mère surveillante de blocs opératoires, un beau-père orthopédiste, la voie était toute tracée. L’étudiant rate médecine « de peu », opte pour pharma, y passe sept années plutôt heureuses, mais n’arrive pourtant pas à s’y projeter.

C’est une première rencontre qui lui souffle la voie d’un chemin potentiel : Dominique Mars. « Je le connaissais depuis mon adolescence, ses enfants et moi étions amis. Ce profil de pharmacien qui se cherchait un peu l’amusait. Il m’a donné des conseils judicieux en me disant, par exemple, que les doubles formations étaient recherchées dans l’industrie, tout comme dans le conseil, et que ce serait intéressant pour moi de faire une école de commerce. »

Pour en apprendre un peu plus sur ce secteur, le futur pharmacien effectue ainsi l’un de ses stages de 6e année au service documentation et recherches du bureau US de Mars & Co à Greenwich (État de New York). « Dominique m’avait annoncé que si je voulais découvrir le conseil, il fallait que je commence par la base, à savoir la recherche, un service qui travaille avec l’ensemble de la hiérarchie. Je me suis retrouvé dans un petit bureau de deux à trois personnes avec la responsable Suzanne, réputée ‘’plus rapide que Google’’. J’étais un ovni dans cette boîte, mais j’y ai appris tous les trucs de la recherche. Je me suis familiarisé avec la constitution des dossiers en réalisant les fiches et les mémos pour les consultants, un peu comme dans un ministère. Comme j’étais l’un des seuls à avoir une étiquette pharma, on m’a parfois confié des dossiers importants proches du sujet, que ce soit dans les cosmétiques ou l’industrie agroalimentaire qui semblait s’intéresser à l’époque à certaines techniques utilisées dans le médical, ou encore, une mission prototype de fusac où il fallait construire un modèle de projection sur plusieurs années. Ça a démarré comme ça et je suis devenu stagiaire consultant. »

Cette expérience de six mois lui confirme qu’il a envie du conseil. Pour répondre aux exigences de recrutement de ce secteur, il choisit donc l’ESCP Europe, dont il sort diplômé en 2013, avant de postuler chez Mars & Co. Celui qui se définit comme « un ancien timide aimant l’interaction humaine » y effectue plusieurs interviews, dont un entretien avec son iconique patron, Dominique Mars. « Ce cabinet fonctionne un peu à l’américaine, c’est une méritocratie où l’on vous accorde votre chance. J’ai rencontré plusieurs anciens de Mars pour m’y préparer. Certains m’avaient prévenu que passer un entretien avec Dominique Mars, c’était comme être une boule dans un jeu de billard, vif, rapide et intense ! Je n’ai pas été déçu ! »

La créativité, qualité clé du consultant

Guillaume Mazurage devient ainsi consultant pour Mars & Co, toujours au bureau de Greenwich, généraliste sur les dossiers. Sa première mission pour un client du secteur des sodas, il s’en souvient très précisément, bien sûr. « C’était un gros projet, nous avions beaucoup de pression, et moi en particulier, car j’étais à l’essai, mais ça s’est finalement bien passé et le feed-back a été très positif. Ensuite, j’ai été intégré. »

On n’en saura pas plus sur le fond… Celui qui a effectué une prépa en médecine était bien préparé à bûcher quatorze heures par jour. Travail, organisation, bon sens, déduction, imagination, le jeune consultant développe ses qualités pour répondre aux exigences du métier. « Dans le conseil, l’organisation et la capacité de travail sont un pli à prendre, une fois que vous l’avez, on s’adapte en fonction des besoins requis pour la mission et des compétences propres à chacun. Mon project manager me disait que j’avais une vision un peu outsider avec un sens créatif très particulier. On me demandait donc régulièrement de développer ce côté-là sur certains projets pour avoir une approche originale. Même Dominique me disait souvent : ‘’Tu dois utiliser au mieux ton côté créa et ton sens du relationnel. De toute façon, je ne pense pas que tu feras toute ta carrière dans le conseil !’’ » Un job très prenant donc, mais qui ne se révèle pas pour autant comme une vocation. « Lorsqu’on me demandait où je me voyais dans dix ans, je répondais que le job me plaisait, mais que je n’arrivais pas à m’y projeter dans l’avenir. Donc, soit je restais dans un certain confort, soit je devais prendre une décision et opter pour quelque chose qui me tienne vraiment à cœur. »

De consultant à artiste

Au bout de trois ans, le consultant décide de rentrer en France pour des raisons avant tout personnelles, la maladie de son beau-père. À son retour, Guillaume Mazurage postule et rentre dans un cabinet de conseil, en stratégie d’innovation, D&Consultants, mais n’y reste que quinze jours… « Quand vous n’avez plus le feu qui vous anime… Et comme je vivais mal la maladie de mon beau-père, j’ai voulu m’accorder un break en m’inscrivant en même temps au Cours Florent tout en me remettant au dessin plus sérieusement. Une façon de me retrouver un peu. Dès l’enfance, je dessinais tout le temps, des héros fantaisistes, de la science-fiction, mais aussi mes profs de fac... Mais je n’ai jamais eu l’idée d’en faire mon métier. »

Une autre rencontre de choix, Francis Huster, grâce à un ami de la famille, va, là encore, le guider en l’encourageant à faire le grand saut. « Quand on est attiré par les arts et le créatif, c’est comme une musique qui ronronne en continu, c’est toujours là et cela te suit toute ta vie. Puisque tu as 30 ans, tente l’aventure, et tu sauras si tu es vraiment fait pour ça… » le prévient le comédien et metteur en scène. Et finalement, ce sera la voie du dessin. D’un premier faire-part de mariage pour un copain à des commandes d’agences de communication et de marketing, puis pour Picsou magazine, le dessin et l’illustration s’installent dans la nouvelle vie de l’ex-consultant qui crée sa petite entreprise dédiée à cet univers.

Une BD montée en mode projet

C’est grâce au propriétaire de son imprimerie de quartier à Paris qu’il est mis en contact avec celui qui est aujourd’hui l’un de ses mentors, Pierre Christin. « Je lui ai montré ce que je faisais. Il m’a encouragé tout en me reprenant toujours avec honnêteté quand je partais sur une mauvaise voie. J’avais commencé quelques croquis et planches centrées sur l’univers de Moby Dick, pour lui, c’était éculé. Il fallait que je voie plus grand en collant à l’actualité… par exemple, une histoire de chasseurs. » C’est alors qu’il ressort un vieux rêve d’enfant, sa passion des océans et de l’association Sea Shepherd, dirigée par l’activiste Paul Watson. Il veut suivre une campagne en mer de Sea Shepherd pour la mettre en bulles… Une idée que l’ex-consultant soumet à Christin, et à son acolyte, Mézières, avant de préparer son dossier en mode projet. « Il a fallu de l’énergie et de l’huile de coude… Comme dans le conseil, on ne va pas voir le client simplement avec quelques benchmarks, une étude ou des moyennes… Il faut quelque chose de solide avec une direction et un cap bien défini. J’ai utilisé la méthode Mars dans mes recherches. J’ai fouillé Internet pour trouver des contacts aux États-Unis et lorsque j’ai eu une vingtaine d’adresses, j’ai envoyé un mail à chacun pour expliquer ma démarche. Je voulais montrer comment se passait une campagne objectivement en faisant plonger en immersion totale un citadin dans cet univers qui est à des années-lumière de son quotidien. Et j’ai reçu une réponse en moins de vingt-quatre heures pour me proposer un rendez-vous deux mois plus tard à Los Angeles avec Paul Watson. »

Il part donc pour les States à la rencontre du tumultueux militant et embarque deux jours plus tard à bord du John Paul DeJoria, alors en pleine campagne Milagro V contre la pêche illégale et la protection des marsouins du golfe de Californie. « J’étais comme un fou, je suis arrivé sur un petit zodiac exactement comme dans le livre, j’ai pu faire un journal de bord, des interviews et réaliser le travail scénaristique de base pour mettre en place l’intrigue. » Quinze jours plus tard, il rentre avec toute sa doc et des images plein la tête, prend contact avec un éditeur et se met au travail. Après quelques mois de travail, Milagro est finalisée. Sa BD a été publiée il y a quelques semaines chez l’un des éditeurs de référence, Hachette, le premier à lui avoir répondu positivement.

L’ancien timide réalise ainsi un rêve dans ce nouveau métier qui le « fait vraiment vibrer ». Le conseil, qui a forgé sa personnalité d’aujourd’hui selon ses propres mots, a été plus que formateur pour le créatif. « Prendre confiance en soi à travers son boulot, en tirer une colonne vertébrale qui permet d’aller à la rencontre des gens sans avoir peur d’exposer ses idées est quelque chose de merveilleux et de très gratifiant. Mon manager de l’époque, Kalin, nous disait sans cesse : ‘’On nous paie pour apporter des infos, des idées, alors il faut y aller !” Ce sont des enseignements qui m’ont toujours suivi. Je suis un besogneux et un gros bosseur, je le dois aux études de pharma, mais cet acharnement qui consiste à ne rien lâcher, je le dois beaucoup au conseil ! »

Barbara Merle pour Consultor

Dominique MarsTrois questions à Dominique Mars, président-fondateur de Mars & Co

Consultor.fr : Guillaume Mazurage ne se prédestinait pas au conseil. Qu’avez-vous vu en lui pour le pousser dans ce secteur, puis plus tard, l'embaucher dans votre cabinet ?

Guillaume étant un ami très proche de nos enfants, c'est tout naturellement qu'il nous a consulté sur ses évolutions de carrière possibles. À l'occasion d'une de ces discussions est venue l'idée : pourquoi pas Mars ? Nous savions en effet que sa formation scientifique le mettait à l'aise dans un environnement quanti, compétence absolument incontournable chez nous. Ce qui n'est pas forcément le cas chez tous nos concurrents directs... Au-delà de cette obligation d'aisance avec le quanti — des faits, des chiffres, pas d’opinions ! —, faut-il encore posséder d'autres qualités permettant de s'adapter à Mars où le recrutement s'effectue plutôt à l'image du fondateur, c'est-à-dire de la façon la moins classique possible. Nous ne perdons en effet pas de temps à tester le QI d'un candidat, le haut de son CV nous le donne ! Ce qui nous intéresse vraiment, c’est le bas de son CV, à savoir ce qu’il est, et fait, à l’extérieur de sa vie académique et professionnelle : musicien, sportif, chanteur, artiste, baroudeur, numismate, réparateur de vieilles voitures, peintre, curieux d’histoire, fou de littérature, animateur d'associations … Bref, ce qui dessine la personnalité profonde du candidat au-delà de l'incontournable aisance dans le quanti. Avoir démontré être curieux de tout et posséder un minimum de créativité s'avèrent des critères déterminants dans nos choix. Connaissant Guillaume depuis longtemps, nous savions qu'il cochait toutes les cases, qu'il n'aurait pas de problème d'intégration dans le court terme et l'avons assez rapidement envoyé à notre bureau de New York.

Son choix de reconversion comme artiste vous a-t-il surpris ?

Pas du tout.  Nous échangions régulièrement et quand il est apparu que son passage dans le conseil lui avait apporté le maximum de ce qui lui serait utile dans son développement personnel, Je l’ai encouragé à suivre cette voie dans laquelle il pourrait se réaliser pleinement. Comme ce fut pareillement le cas quand deux vice-présidents de notre bureau de Paris ont choisi des carrières autres que le conseil (psychothérapeute pour le premier, artiste-peintre pour le deuxième, ndlr). Je ne vous cache pas que nous sommes particulièrement fiers de compter de telles personnalités dans la famille Mars (relire notre article sur Olivier Favre, parti en 2018 après 25 années chez Mars & Co pour s’installer comme psychothérapeute- hypnothérapeute) !     

Les mondes du conseil et et des arts semblent à des années lumières l’un de l’autre.  Quelles qualités communes y a-t-il entre un consultant et un artiste ?

Une seule, mais elle est déterminante : la curiosité. Quand un comédien prend un texte en mains, il doit se l’approprier et, au premier chef, avoir donc la curiosité de tout connaître sur l’auteur et son œuvre ainsi que sur les comédiens dont l'interprétation aurait pu marquer le rôle. Quand un guitariste saisit sa Gibson avant d'interpréter un morceau de BB King ou de John Lee Hooker, il lui serait sans doute utile d'avoir compris en quoi leurs riffs peuvent être différents de ceux d'Éric Clapton, John Mayall, Otis Redding ainsi que la façon dont ils ont pu évoluer au fil de leurs carrières. Idem pour le batteur qui, avant de s'asseoir serait avisé d'avoir saisi les subtiles différences du rythme et de la gestuelle de Charlie Watts quand il devait suivre les évolutions de Keith Richards et Mick Jagger. Je ne prends d'ailleurs pas ces deux exemples musicaux tout à fait au hasard, les instruments en question étant les spécialités de deux vice-présidents du bureau de Paris… C’est la même curiosité extrême qui doit habiter en permanence et sans jamais se relâcher le consultant de Mars qui va au bout de son sujet sans la moindre omission ou erreur. 

Selon vous, quelles qualités l’ex-consultant Guillaume Mazurage peut-il développer en tant que dessinateur ?

Deux choses essentielles. La rigueur et la curiosité, encore et toujours ! Le dessin nécessite une très grande rigueur et tous les grands dessinateurs ont été ou sont extrêmement rigoureux : Hergé, Hubinon, Franquin, Uderzo, Greg, Hugo Pratt, Cabu bien sûr... Je trouve que Guillaume affiche une très belle rigueur dans son dessin et je sais que sa curiosité lui permettra de garder cette rigueur en faisant évoluer ses personnages. Le challenge auquel il me semble confronté à l'heure actuelle après cette BD qui retrace une aventure qu’il a vécue est de développer ses personnages et histoires propres. Je n'ai aucun doute qu'il y parviendrait et je resterai son fan le plus fidèle !

Propos recueilli par B.M.

Mars & Co
Barbara Merle
27 Jul. 2020 à 06:00
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