Digital : « Beaucoup de suiveurs, peu de kamikazes »
MFG, Bears with Benefits, Interflora : telles sont quelques-unes des entreprises récemment rachetées par des investisseurs accompagnés par Singulier. Les méthodos de la boutique au croisement du conseil en stratégie et de la tech font des adeptes. Son co-fondateur et CEO Rémi Pesseguier répond aux questions de Consultor.
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Singulier a été fondé en 2017 par Rémi Pesseguier et Mathieu Ferel, associant leur expérience chez McKinsey et leurs aventures entrepreneuriales. Le cabinet est présent à Paris et Londres. Il compte à ce jour 80 collaborateurs, des consultants en stratégie assez classiques, mais également des développeurs, des data architectes ou encore des product owners. Un modèle hybride taillé pour les due diligences digitales dont le cabinet est le spécialiste, tout particulièrement auprès des fonds private equity. Ses clients incluent aussi des éditeurs de logiciel, des acteurs de la santé, des prestataires de services BtoB ou des acteurs de la logistique. Le cabinet vise à rapide échéance un effectif de 120 personnes et l’ouverture d’un nouveau bureau en Allemagne.
Consultor : Digital, numérique… ce sont des buzzwords par excellence. Comment les définissez-vous chez Singulier ?
Rémi Pesseguier : Le numérique, ce sont plein de dimensions différentes dans la manière d’interagir avec les clients ou de délivrer un service. Si vous êtes le client d’une assurance et que vous crevez un pneu, faut-il que vous parliez tout de suite à une personne ? Ou ne serait-il pas plus pertinent que vous identifiez d’abord la nature de votre sinistre dans un chatbot intégré à une app pour être dépanné plus rapidement et plus efficacement ? Le digital peut être cela. Mais ce peut être aussi la manière qu’une entreprise a d’opérer, ses technologies, son niveau de robotisation. C’est vrai, le digital recouvre autant de réalités que de personnes ou d’entreprises.
Comment avez-vous l’habitude de dégrossir le sujet lorsqu’on vous mandate ?
Avec un principe déjà : rien ne sert de vouloir se lancer dans des choses très sophistiquées, dans l’intelligence artificielle par exemple, si les basiques ne sont pas maîtrisés. Distribution en ligne, référencement, CRM avec les clients, génération de leads commerciaux : ce sont les points de départ. Deuxième principe : nous décomposons les processus métiers de nos clients, pour déterminer à chaque étape le niveau de digitalisation, et s’il est pertinent ou non de le faire évoluer. Exemple concret et simple d’une amélioration à laquelle est notamment parvenue une récente mission que nous avons conduite pour la chaîne de généalogistes successoraux Coutot-Roehrig. Nous leur avons permis de mettre en œuvre un système digitalisé d’envoi automatique de courriers au format PDF – sachant que les envois de courriers comptent pour une part très importante de leur temps ! Avec la possibilité pour les clients qui le requerraient de continuer à leur faire parvenir des courriers papier, dont l’envoi a également été automatisé.
Six ans après la fondation du cabinet, les clients abordent-ils le sujet de la transformation digitale différemment ?
Les clients restent globalement attentistes sur le sujet, même si de plus en plus d'acteurs s'en emparent. Il y a plus de suiveurs que de kamikazes. Ils accélèrent quand les autres y vont.
Le digital peut aussi être réduit à des logiciels dont on peut regarder la facilité de mise à l’échelle, la conformité RGPD, les risques en termes de cybersécurité… Vous en occupez-vous et que regardez-vous ?
Les missions de conseil impliquant des activités de SAS (software as a service, ndlr) sont monnaie courante, en effet. Le b.a.ba à ce sujet est de regarder quel est le marché du logiciel, qui sont les clients et les concurrents. Nous ne nous arrêtons pas là. Nous intégrons à nos réflexions une évaluation du niveau de maturité du logiciel. Le logiciel permet-il de délivrer de nouvelles fonctionnalités ? Si oui, en quelques heures ou en plusieurs mois ? Le logiciel répond-il aux besoins de ses usagers ? Les développeurs ou les UX designers ont-ils des retours d’expérience pertinents pour faire intelligemment évoluer le logiciel ? Le code peut-il muter aisément pour encaisser des bonds en termes de volume d’usagers ?
La transformation digitale, ce sont également beaucoup d’entreprises qui changent de main, parce que porteuses de technos vues comme disruptives. Dans quelle mesure ces due diligences digitales vous obligent-elles à faire différemment ?
Pour schématiser, une due diligence classique repose sur un lot de rendez-vous avec des sources qualifiées, des clients, des industriels, la consultation de rapports spécialisés, les données mises à disposition par l’entreprise achetée ou vendue. Nous agrégeons tout ceci, mais nous devons aller plus loin. Notre différence réside d’abord dans la pluralité des profils que nous avons en interne : si le SEO (search engine optimization, référencement, ndlr) d’une entreprise est nul, nos experts SEO à bord pourront le signaler d’emblée sans que nous ayons à le recouper à l’externe. Notre différence réside également sur les outils auxquels nous recourrons : data.ai (données d’usagers issues de quelque 8 millions d’apps et sites Internet, ndlr), Ahrefs (pour l’optimisation du référencement, ndlr) et bien d’autres !
Parmi les due diligences sur lesquelles vous avez été mandatés figure Interflora au moment où la chaîne de fleuristes a été revendue. Votre mission a alors consisté à évaluer la solidité du positionnement digital et ses outils de génération de trafic. Concrètement, en quoi votre mission a-t-elle changé la donne ?
Concrètement, nous avons aidé l’entreprise à se projeter dans l’expérience type d’un client et d’un fleuriste de demain : le parcours d’achat, les fleurs les plus fréquemment achetées, à quelles occasions, pour décorer les tables d’invités, pour la Saint-Valentin et ainsi de suite, le tout en nous assurant d’avoir les bonnes données. Il a fallu aussi identifier les leviers qui permettraient d’augmenter le trafic du site, et comment nous pourrions fidéliser les clients. Le site a été repensé à partir de là et son aspect d’aujourd’hui reflète en bonne partie nos préconisations d’hier, jusque sur des aspects aussi concrets que le check out ou les fiches produits.
Les « données non conventionnelles » sont un autre de vos crédos. Qu’il s’agisse de données de téléchargement, de requêtes de moteurs de recherche ou d’analyses sur les réseaux sociaux. Concrètement, qu’allez-vous chercher, comment l’utilisez-vous et en quoi cela aide-t-il à valoriser des actifs digitaux ?
Singulier comptait parmi les conseils d'un des acteurs ayant travaillé sur le rachat du spécialiste des huiles essentielles Aroma-Zone en 2021 (Eurazeo et plusieurs investisseurs avaient investi 414 millions d’euros, ndlr). Cette mission illustre bien notre manière de faire. Nous nous sommes appuyés sur les données d’e-commerce de Fox Intelligence (plateforme agrégeant les données d’un nombre très important de transactions en ligne commercialisée par Nielsen, ndlr) pour déterminer le trafic du site d’Aroma-Zone, la composition et la taille de sa clientèle, sa part de marché, les sites avec lesquels il est en concurrence. C’est-à-dire que nous pouvons établir vers quels sites se tournent les consommateurs quand ils arrêtent d’acheter chez Aroma-Zone, et inversement d’où ils viennent quand ils arrivent. Nous pouvons aussi analyser assez finement ce qui se dit de l’entreprise sur les réseaux sociaux, ce qui plaît et ce qui ne plaît pas. Côté référencement, nous pouvons identifier les mots et les groupes de mots qui sont les mieux pris en compte par les moteurs de recherche dans ce domaine et voir dans quelle mesure l’entreprise est bien positionnée, ou non, dans ces champs lexicaux. Cette approche du conseil en stratégie est différenciante.
En parlant de Fox Intelligence, vous avez lancé la plateforme Holis qui s’appuie sur de nombreuses données dont celles de Nielsen. Vous comptez sur cette base pour automatiser une partie des prestations de due diligence. Vous l’avez testé dans une trentaine de missions dans l’industrie. Quel est le retour d’expérience ?
Holis est une activité SaaS hors conseil qui vise à « produitiser » une partie de nos analyses. Elle permet aux clients d’avoir des données assez fines sur un marché ou un segment de marché en quelques clics. Elle représente à date environ 10 % de notre chiffre d’affaires.
Singulier se dirige doucement vers sa première décennie. De quoi sera faite la suivante ?
Je vais vous surprendre : nous ne voulons pas être un cabinet de conseil ! Nous voulons être une plateforme d’appui, notamment aux fonds d’investissement, pour créer de la valeur stratégique de la manière la plus véloce qui soit. Cela passera dans le court terme par le lancement d’un nouveau service, appelé Graphite. Il permettra de mettre à la disposition de nos clients des actifs technologiques sur mesure et implémentable tout de suite : un algorithme de géolocalisation ou de prédiction de chiffre d’affaires en deux jours, un data lake en trois semaines. De la transformation stratégique et digitale pour de vrai. Pas un vain mot.
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