Enquête – Mars & Co, le cygne chante encore
Mars & Co fait sa mue. Son fondateur Dominique Mars, qui nous a longuement reçus, voit dans le développement de ces quarante dernières années la marque d’un « cygne noir », du nom de ces événements statistiquement improbables.
Soulignant à l’envi la réussite atypique de ses activités de conseil en stratégie lancées à Paris en 1979, fréquemment encensées par les connaisseurs. La société est courtisée par des acheteurs, mais son avenir lui appartient, défend-on à tous les étages. Mars & Co se veut désormais plus ouvert sur l’extérieur après des décennies d’un silence quasi monacal. Sans toutefois dire ouvertement que ses fondamentaux changeront.
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Une interview de Dominique Mars sera publiée en exclusivité par Consultor dans les semaines qui viennent.
Le conseil en stratégie, activité cartésienne s’il en est, ne compte pas beaucoup de légendes. Dominique Mars en est peut-être une. Ou, comme dit un ancien, un « what the fuck total sur le marché du conseil ».
Dans les grandes lignes, l’histoire du cabinet et de son fondateur éponyme est connue. Self-made-man né de parents modestes du Bordelais, il fait ses débuts dans le conseil au BCG aux États-Unis, après une scolarité exemplaire en classe préparatoire au lycée Montaigne de Bordeaux puis à Centrale Paris et à Harvard. Pourquoi outre-Atlantique ? Il avait obtenu au culot – une de ses marques de fabrique – un stage de fin d’études à Centrale chez Schlumberger au Texas. Contre l’avis de la direction de l’école qui privilégiait alors « les stages en métropole ».
Désormais âgé de 71 ans, après un AVC en 2003, le papy-boomer ne raccroche pas les gants. Tout du moins, le cabinet ne s’éteindra pas avec lui. « Mars & Co ne sera pas vendu. Le management vire progressivement vers les vice-présidents », dit Danièle Lienhart, la DRH de Mars & Co, et l’épouse de Dominique Mars.
Aujourd’hui au nombre de vingt-quatre, dont dix aux États-Unis – la principale zone d’opération – et sept en France, les vice-présidents sont les chevilles ouvrières de l’activité du cabinet. Tous comptent plus de dix ans d’ancienneté, quand bien même ils ne sont pas associés. Ils auraient quitté le navire beaucoup plus fréquemment, défend le fondateur qui reste propriétaire à 100 %.
Une de ses convictions qu’il défend bec et ongles, jusqu’à répéter à son interlocuteur une dizaine de fois le même mot pour être sûr qu’il s’en souviendra bien. Ce n’est pas non plus très étonnant de la part d’un sportif touche-à-tout qui dit n’avoir jamais eu peur, jamais douté et très peu pleuré.
« Je me suis intéressé à trois choses : notre produit, nos clients et mes compagnons », pose Dominique Mars lorsqu’il reçoit Consultor dans l’ancien secrétariat d’État avenue Raymond Poincaré où est logé le cabinet depuis 1995, après une première domiciliation avenue Exelmans. Sans oublier l’équitation, un dada personnel de celui qui a racheté le mensuel l’Éperon et possède un haras dans l’Orne. Il se souvient encore avec des trémolos dans la voix du bronze d’Alexandra Ledermann aux Jeux olympiques de 1996 sur un de ses chevaux.
Les rumeurs d’arrêt de l’activité ? Mars & Co a régulièrement été courtisé par des acheteurs ces dernières années. Tous ont été écartés. « On a toujours entendu les mêmes choses : “ça décline”, “Dominique est un tyran que tout le monde va quitter”, “aller aux États-Unis est une folie, Dominique est devenu mégalo”. Lors de l’accident qui m'a valu l’extrême-onction et plongé dans un coma de plus d’un mois, mes compagnons n’ont pas trahi. L’esprit de compagnonnage est suffisamment ancré pour que Mars perdure, même en mon absence », explique-t-il.
Il y a aussi ses enfants : Alexandre Mars, actif dans le capital-investissement aux États-Unis, ou Axel Mars qui est consultant chez Mars & Co. Mais là non plus peu de détails filtrent sur le rôle qui pourrait être le leur dans l’avenir de la société familiale.
Tout le paradoxe du coming out de Mars & Co est là. Côté pile, l’après-Dominique Mars est un non-sujet. « Tout est calé », comme dit Fabien Jacquot, l’un des vice-présidents, entré en 1996. Côté face, « le monde change, nous aussi, mais il n’y aura pas de révolution. Nous maintiendrons un très haut niveau de confidentialité ». Dixit Al Carmona, un des vice-présidents situés à Greenwich dans le Connecticut, fort de trente et un ans de maison.
Ce fut la caractéristique première de cet OVNI du conseil en stratégie : il ne se montre pas. La presse, il la fuit. Un portrait du Point en 2008 au moment de concevoir la méthode d’évaluation des ministres du gouvernement de François Fillon – de loin sa principale exposition médiatique à ce jour – et une interview au Wall Street Journal dans les années quatre-vingt. Point à la ligne. La discrétion était un argument commercial et le gage d’attirer des candidats un peu plus curieux que la moyenne.
Pas beaucoup plus d’apparitions en interne. Il est décrit par des anciens en super apporteur d’affaires, s’en remettant pour tout le reste (gestion des grands comptes, vérification des présentations…) aux vice-présidents, mis à part quelques notes sur les conjonctures de l’économie qu’il distille ici et là. « Notre politique a été de ne pas communiquer. Nous ne nous en accordions pas le droit par souci de confidentialité envers nos clients », dit Danielle Lienhart.
Sauf que se faire appeler le Bocuse de la strat’ dans les colonnes de Consultor a fini par piquer au vif quelques collaborateurs et, surtout, alimenter toutes les rumeurs. « C’est flatteur, Bocuse a été sacré cuisinier du siècle… mais tel que vous l’écrivez, on dirait que vous considérez que nous sommes passés de mode », argumente Danielle Lienhart.
D’où la décision du moment : faire davantage de pédagogie vers l’extérieur. Le boulot – l’un des traits caractéristiques de la machine Mars & Co – ne se suffit plus à lui-même. Ce que ne concède que du bout des lèvres Dominique Mars, le « bourrin analytique » tel qu’il se surnommait devant les étudiants de Centrale Paris de la promo 2010 dont il était le parrain.
« Le marketing est un des piliers du conseil en stratégie, et nécessite des citations régulières dans des titres de presse internationaux comme le Financial Times, Mars & Co s’est construit différemment », détaille Al Carmona.
Le modèle Mars & Co n’est en définitive pas si compliqué. On y cultive la fidélité des consultants et des collaborateurs. Une salariée, restée une grande partie de sa carrière chez Mars & Co, s’est vue offrir un appartement à l’heure du départ. C’est l’exception, mais elle confirme la règle : les consultants, dont le taux de turnover est revendiqué à 10 %, bien plus bas que celui des concurrents, creusent des expertises sectorielles très poussées selon le sacro-saint principe du « un client par secteur » dont Mars & Co a fait une devise.
Elle demeure effective. Par exemple chez Engie où Mars & Co demeure le « family office » de référence trente ans après que Dominique Mars a commencé à collaborer avec Gérard Worms (président de Suez à compter de 1990). Un de ses vice-présidents, Jacques Popper, reste l'interlocuteur de référence de la direction stratégie du groupe. « Mars & Co n’a pas la taille de ses trois plus prestigieux concurrents auxquels nous recourrons aussi. Mais pour les conseils aux CEO top niveau confrontés à des situations d’options décisives, leurs recommandations sont au moins égales à celles des plus grands, avec plus d’exclusivité. Nous avons tendance à nous dévoiler à Mars & Co plus franchement qu’ailleurs, puisque nous avons totalement confiance sur le fait que nos données resteront confidentielles », explique à Consultor Gérard Mestrallet, l’ancien PDG de Suez, aujourd’hui président du conseil d’administration d’Engie.
Idem pour Al Carmona qui dit avoir assisté plusieurs CEO successifs d’une multinationale du Fortune 100 depuis 1986. Au total, ce sont une cinquantaine de grands comptes – avec peu de perte en ligne – qui sont servis par plus de 200 consultants. Quatre décennies durant, les contrats de la société ont été signés en direct avec les dirigeants des plus grands groupes. Gérard Mestrallet, Indra Nooyi, la PDG de Pepsi, tout comme ce fut le cas pour son prédécesseur Roger Enrico, décédé en 2016, ou Peter Brabeck-Lemathe, le PDG de Nestlé, restent encore aujourd’hui des interlocuteurs réguliers de Dominique Mars. Là aussi, il défend l’unique valeur de ses services et dit ne pas réseauter pour un sou.
« Aujourd’hui, les cabinets de conseil sont beaucoup plus systématiquement confrontés aux directions achat, là où précédemment seuls les dirigeants étaient prescripteurs », nuance Danièle Lienhart. Ce qui n’empêche pas une autre particularité maison de toujours avoir cours : le « retainer ». Mars & Co le signe avec certains de ses clients, exclusivement sur le marché français. Concrètement, le cabinet et l’entreprise se mettent d’accord sur un montant global d’honoraires d’année en année, au lieu d’un règlement à la mission. Ce qui a l’avantage, pour les entreprises clientes qui font ce choix, de préempter les équipes Mars & Co sur une période donnée et de déterminer les sujets sur lesquels elles interviendront. Au point parfois de se transformer en prestataire de services tout terrain ? La rumeur est écartée en bloc par les intéressés. Pour preuve, défend Danièlle Lienhart, « quand on travaille plus que ce qui a été prévu, on ne surfacture pas ».
Et quand l’extraordinaire bagou de Dominique Mars ne sera plus de la partie ? « Les vice-présidents commencent à s’investir davantage dans le commercial », anticipe Gérard Mestrallet.
Ce qui paraît improbable tant le succès de Mars & Co s’est bâti sur la personnalité de son fondateur. Le premier de la classe dès l’enfance, qui donnait douze heures de cours de maths par jour pour financer ses études, et bourreau de travail une fois entré dans la vie professionnelle.
Au point de se tuer à la tâche ? En 2003, un AVC le laisse dans le coma puis en rééducation aux Invalides. Les médecins lui promettent qu’il ne marchera plus. Six mois plus tard, il est reparti aux affaires. « Il a la compétition chevillée au corps », glisse Danièle Lienhart.
Le culot et la provoc’ aussi ! En 1971, encore étudiant à la Harvard Business School et plâtré à une jambe, il offre à un associé du BCG de passer chez lui sur le chemin du retour à Boston pour lui faire passer un entretien d’embauche... Peu ont sans doute osé, mais ça marche. Deux heures et demie plus tard, raconte-t-il encore aujourd’hui, il obtient un premier job de consultant après avoir remercié McKinsey qui lui offrait un stage d’été à Paris.
Au début de Mars & Co et de son développement outre-Atlantique, il parvient à débaucher John L. Lesher, le président très senior de Booz, Allen & Hamilton. Encore aujourd’hui, les États-Unis pèsent plus lourd que l’Europe pour Mars & Co.
Plusieurs dizaines d’années plus tard, au Siècle, il propose à une éminence de l’Église catholique assise à sa table de faire une étude sur les raisons de son recul vis-à-vis de l’Islam. « À conditions que, comme Mazarin, je sois promu cardinal sans passer par la case prêtre », s’amuse-t-il. La proposition d’étude est restée lettre morte, mais gêne assurée des convives autour de la table.
Quand le cabinet de Nicolas Sarkozy décroche son téléphone en juillet 2007 pour lui proposer de concevoir les évaluations des ministres du nouveau Président de la République, il rétorque oui, mais à son retour de vacances et il ne se déplace pas. À l’accueil de l’équipe de la présidence dans l’hôtel particulier de l’avenue Raymond Poincaré, un seul slide PowerPoint avec cet unique message : « Mars & Co n’est pas un cache-sexe ». Une demande délicate de confidentialité qui ne sera pas tenue. Ce sera la seule incursion de Mars & Co dans le secteur public.
Et les réseaux politiques des Mars s’arrêtent là, à leurs dires. Si ce n’est une proximité avec l’ancien ministre du Budget Alain Lambert, aujourd’hui conseiller départemental de l’Orne. « Non, nos enfants ne sont pas montés à cheval avec ceux des Fillon comme l’a écrit à tort Le Canard Enchaîné lors de la mission sur les réalisations ministérielles en 2007 », tacle Danièle Lienhart.
Le caractère enfin : Dominique Mars peut mettre quelques soufflantes. En 1984, plusieurs des « compagnons » de la première heure en font les frais et plient bagage, après avoir manifesté le souhait de prendre plus de place dans la direction du jeune cabinet. Paul André Rabatte et Didier Pain, plus tard fondateurs de CVA, Laurent Noual, qui fera sa carrière chez Michelin, Joël Lacourte, managing partner d’Astorg qui venait tout comme Dominique Mars du BCG, et l’industriel Alain Meulnart.
« Le pouvoir ça ne se demande pas, ça se prend. » Dixit Dominique Mars devant la promo 2010 de Centrale Paris. Dedans ou dehors, on ne trouve rien à redire. « Un mec incroyable. » « Une réussite que personne ne lui présidait. » Les qualificatifs les plus fleuris pleuvent. « Un vrai visionnaire ! », vante même Al Carmona.
Ce dernier estime que le « un client par secteur » fixe un plafond infranchissable à la taille que Mars & Co pourra atteindre. Sauf à remettre sur la table l’idée d’un mariage, tel que celui que Roland Berger aurait proposé à Dominique Mars dans les années quatre-vingt. « Nous ne serons jamais une compagnie de 5 000 personnes. Mais nous pensons que nous pouvons doubler notre taille. » Objectif donc : 500 consultants à terme dans le monde.
Benjamin Polle pour Consultor.fr
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commentaires (3)
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France
- 30/10/24
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- 29/10/24
Julia Amsellem, qui a rejoint l’entité de conseil en stratégie d’EY en 2017, et Étienne Costes, engagé depuis 2013, font partie des 17 membres du nouveau comex d’EY dans l’Hexagone.
- 23/10/24
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Depuis avril 2024, les arrivées se succèdent : après Jean-Charles Ferreri (senior partner) et Sébastien d’Arco (partner), Thierry Quesnel vient en effet renforcer les forces vives, « pure strat » et expérimentées, d’eleven.
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Retour sur la dynamique de croissance externe de Kéa via l’intégration capitalistique de Veltys – et le regard du PDG et senior partner de Kéa, Arnaud Gangloff.
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Astrid Panosyan-Bouvet, une ancienne de Kearney, et Guillaume Kasbarian, un ex de Monitor et de PMP Strategy, entrent dans le copieux gouvernement de Michel Barnier, fort de 39 ministres et secrétaires d’État. Bien loin des 22 membres du premier gouvernement Philippe ; ils étaient 35 sous le gouvernement Attal.