IA dans le conseil : demandes en hausse dans un paysage flou
Fin avril, le BCG annonce qu’en France le quart de ses revenus 2023 proviennent du conseil en IA ou IA générative. La tendance est-elle équivalente au sein des autres cabinets ?
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Courant 2023, le lancement de ChatGPT par OpenAI a mis la thématique IA sous le feu des projecteurs en raison du degré de perfectionnement de cette « nouvelle » forme d’intelligence artificielle, générative en l’occurrence, et des usages démultipliés qui en découlent. Depuis, la Gen AI semble courir toujours plus vite ! Et le conseil en strat’ ne compte pas se laisser distancer si l’on en croit le CEO du BCG Christoph Schweizer : dès 2026 en effet, le « conseil en IA et IA générative » devrait représenter 40 % des revenus du cabinet !
Côté français, dans les entreprises en général comme au sein des entités de conseil, après 2023 « année des tests », 2024 devrait être celle de la mise en production. Jusqu’à quel point ? Réponses et mises en perspective avec Eleven, Kea/Veltys, PMP Strategy et Oliver Wyman.
L’IA et la Gen AI, des sujets priorisés par les directions générales ?
Pour les partners interrogés, le « dossier » — qui n’est sans doute pas encore en haut de la pile — est néanmoins très présent dans les esprits. Le patron du datalab de PMP Strategy, Olivier Leroy, l’exprime ainsi : « Cette technologie est tellement impactante à tous niveaux qu’elle devient, nécessairement, un sujet DG. » L’IA, générative particulièrement, permet en effet de « faire la jointure entre toutes les autres technologies de digitalisation des activités ». Et d’obtenir des gains de temps majeurs, d’où des gains de performance significatifs. Un sujet de direction générale donc, et des projets liés à l’IA correspondant à quoi, précisément ?
Pour le bureau parisien d’Oliver Wyman, Xavier Boileau, partner en charge de la practice Digital et Technology, rappelle l’existence de deux types d’intelligence artificielle : « l’IA prédictive, schématiquement celle qui aide à prendre des décisions, et l’IA générative, développée plus récemment et qui analyse et/ou génère du contenu. » Concrètement, Oliver Wyman mixe les catégories d’IA selon les types de besoins — « la Gen AI pour affiner la compréhension d’un sujet et la predictive AI pour calculer un prix ou déterminer quelle serait la meilleure décision dans un contexte donné. Elles peuvent être mobilisées comme dans un sandwich, une tranche après l’autre ! ».
Du côté d’Eleven, qui se concentre sur la stratégie appliquée aux transformations par l’IA et la data science, Simon Georges-Kot, principal et data scientist, explique que le conseil en IA tel que le pratique son cabinet « intervient tout au long d’une chaine de valeur qui va des questions d’impact sur le business sans dimension de déploiement jusqu’à la mise en œuvre — quels algorithmes choisir, comment les coder, comment les déployer sur des infrastructures IT ».
Quant à Yves Pizay, partner spécialiste de l’assurance chez Kea passionné de data, il fait observer que « tout ce que l’on peut entendre ou lire sur l’intelligence artificielle pouvait l’être sur le digital il y a une dizaine d’années. Le terme lui-même est devenu un mot-valise. Il est donc difficile de savoir ce que fait tel ou tel cabinet par le biais de sa seule communication ». En revanche, il confirme qu’il va bien y avoir « un déplacement des budgets de conseil vers des thématiques qualifiées d’IA ».
Pour Veltys, un cabinet travaillant en étroite collaboration avec Kea sur les sujets data/IA (Kea figurant au capital de Veltys), Romain Aeberhardt, partner et CSO, renchérit : « Actuellement, tout ce que l’on mettait auparavant dans les paquets “data”, “machine learning” ou “statistiques” est qualifié “d’IA”. Dans les cabinets de conseil, l’IA correspond donc à la data, aux algorithmes et à l’optimisation » — sur les deux grands axes déjà évoqués de l’aide à la décision et de la génération de contenus. Selon le partner de Veltys, la répartition entre IA décisionnelle (ou prédictive) et IA générative serait largement favorable à la première dans les budgets de conseil en général, « bien que la Gen AI occupe de plus en plus de place ».
Les practices les plus concernées et l’élaboration d’éventuelles offres spécifiques
Comme le confiait récemment le DG Europe d’Oliver Wyman, Gilles Roucolle, à Consultor, l’IA/IA générative est « particulièrement mobilisée » dans le cadre de la practice Finance et Risques, mais aussi « dans la supply chain, l’industrie (4.0) ou le pricing ». Pour les banques, Xavier Boileau mentionne l’élaboration de modèles ou simulateurs afin « de calculer leurs réserves financières, évaluer les risques en cas de choc obligataire ou si les taux remontent ou baissent ».
Concrètement, chez PMP Strategy, seule la relation client dispose d’une offre marketée autour de l’intelligence artificielle. Sur toutes les autres expertises du cabinet, l’implication de l’IA est plus « diffuse » (project stream) ou « opportuniste » (étude ponctuelle) selon Olivier Leroy. Et donc, la part d’activités du cabinet liées à l’IA/IA générative se situe « quelque part entre 10 et 20 % ».
Le contexte est différent pour Eleven, exclusivement positionné sur ces sujets et qui dispose donc d’offres dédiées que le cabinet élabore notamment grâce aux cas d’usage sur lesquels il travaille. « Depuis 5 ans, nous avons incubé une centaine de cas d’usage en IA chez nos clients", indique ainsi Simon Georges-Kot. Cela nous a permis, en matière de design par exemple, de créer une solution où il suffit d’appuyer sur un bouton pour concevoir des réseaux de climatisation de façon automatique. »
Il confirme par ailleurs la nette augmentation des demandes relatives à la Gen AI, bien que le travail entamé par Eleven sur d’autres catégories d’IA, ainsi que de nouvelles sollicitations, s’expriment aussi. « Ces demandes émanent d’entreprises de toutes tailles et de participations de fonds », ajoute-t-il. Le signal qu’on assiste à une rupture technologique majeure selon lui.
Des exemples de missions portant sur l’IA/IA générative ou la mobilisant
Les entreprises interrogent beaucoup les entités de conseil quant à l’impact de l’intelligence artificielle sur les métiers ou certaines activités spécifiques.
Pour Oliver Wyman, Xavier Boileau indique qu’il s’agit alors « de lister, par rapport à une chaine de valeur et à l’activité de l’entreprise qui émet la demande, les “endroits” où l’IA générative est susceptible d’apporter des bénéfices importants. Les impacts sur l’organisation du travail notamment, et sur l’organisation plus largement, doivent aussi être évalués ». Le client souhaite souvent disposer « d’une feuille de route d’implémentation et d’utilisation de ces technologies ».
Au nom de Kea, Yves Pizay mentionne des demandes d’accompagnement « pour se forger un point de vue, et construire une stratégie » en matière d’IA générative. Des cas d’usage sont sollicités, dans une perspective d’exploration essentiellement selon le partner de Kea. « On n’est pas encore dans une situation de balisage ni d’industrialisation. » Romain Aeberhardt de Veltys estime que la plupart des grands groupes « ont lancé des revues de cas d’usage et des tests ».
De son côté, Olivier Leroy évoque « des études quantitatives, prospectives, en lien avec l’impact de l’IA générative pour un marché donné, ce qui correspond à l’ADN d’un cabinet de conseil en stratégie. Chez PMP Strategy, c’est grâce au datalab ainsi qu’à notre branche de Seattle, très proche de Microsoft notamment, que nous disposons d’insights aiguisés et assimilons les mécaniques d’évolution des marchés ».
Pour Eleven, Simon Georges-Kot confirme des demandes d’accompagnement « dans la façon d’appréhender ces nouvelles technologies du point de vue stratégique, mais également dans la mise en œuvre de solutions Gen AI — par exemple pour l’efficacité des centres d’appels ou des équipes commerciales ».
Les sollicitations peuvent aussi porter sur l’intégration de l’IA générative dans des processus donnés ou encore, sur des problématiques d’organisation dans une perspective de Market Intelligence.
D’autres missions concernent le long terme et les équilibres au sein des organisations une fois ces technologies largement déployées, selon Xavier Boileau. « Si telle unité comportait x collaborateurs et qu’elle n’en compte plus que la moitié, comment redistribuer le temps et les tâches ? C’est le début de la détaylorisation, grâce au copilote qu’est l’IA ».
Un « angle IA » qui peut permettre de livrer de nouveaux produits ?
Dans les cabinets ayant développé des compétences tech aiguisées, il est désormais possible de proposer aux entreprises, au-delà des traditionnelles recommandations, des licences — pour des produits développés en interne. Dans le domaine des transactions par exemple, la mobilisation « de données très fines, d’algorithmes et de machine learning permet de gérer du post-deal en aidant les entreprises à vérifier la matérialisation des recos des consultants via des cycles de révision », témoigne Olivier Leroy pour PMP Strategy.
Autre perspective chez les MBB et Big Four qui jouent le rôle d’intégrateurs de solutions IA grâce à des partenariats. C’est le cas de Bain avec OpenAI, le stratège mettant à la disposition de ses clients des outils tels que ChatGPT (texte), DALL-E (images) et Codex (code informatique), pour des usages en marketing, commerce et CRM notamment.
Travail en mode partenariat également - et revente - avec OpenAI toujours, pour PwC et son entité de stratégie Strategy&. L’accord a été conclu par les branches britannique et américaine du Big Four.
De son côté, le BCG a communiqué sur un partenariat avec Anthropic en septembre 2023 : ses clients peuvent ainsi avoir un accès direct aux différents modèles (dont Claude nouvelle génération) développés par l’expert de la Gen AI. Le cabinet, qui a aussi noué un partenariat avec OpenAI en 2023, communique par ailleurs sur le lancement d’un « code de conduite pour une IA responsable ».
Quant à McKinsey, il a créé un écosystème ouvert d’IA génératives d’entreprise via son entité dédiée, QuantumBlack. Anthropic, Nvidia, Cohere et Mistral AI en font partie — 19 sociétés en tout — et c’est dans ce cadre que le cabinet a annoncé un partenariat avec Microsoft et son Copilot Studio, fin mai 2024.
Pour boucler la boucle du questionnement de départ — les projets liés à l’IA représentent-ils le quart de l’activité globale des cabinets de conseil en France ? —, Yves Pizay fait une confidence : « Les pourcentages de missions IA affichés sont probablement surévalués ; au-delà de la dimension marketing, l’activité IA va continuer d’augmenter ! »
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