Dans les coulisses du cabinet de conseil de l’État
Au 20 de l'avenue Ségur dans le 7e arrondissement de Paris, là où tous les services du Premier ministre ont été réunis au début du quinquennat d’Emmanuel Macron, la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) n’est pas encore clairement signalée.
Et pour cause, la nouvelle direction interministérielle que dirige Thomas Cazenave a été créée il y a moins d’un an, en remplacement du Secrétariat général à la modernisation de l’État (SGMAP).
DITP, SGMAP et avant Direction générale de la modernisation de l’État (DGME)... les étiquettes changent mais une réalité demeure : les cabinets de conseil en stratégie privés continuent de jouer un rôle décisif dans nombre de chantiers publics – comme récemment encore en collaboration avec Roland Berger pour réfléchir, dans le cadre du plan Pauvreté rendu public en septembre, aux moyens d’un retour rapide à l’emploi des personnes bénéficiaires du RSA.
Et les opportunités se multiplient dans tous les ministères. Toutes passent par le marché interministériel mis sur pied par le service « accélération des transformations » de la DITP, dont les résultats ont été rendus publics en juin. L'unité composée de vingt-cinq personnes, dont deux tiers de contractuels qui sont souvent recrutés dans des cabinets de conseil en stratégie ou en management, joue le rôle de cabinet de conseil interne à l’État et intervient pour le top 500 de l’administration : les directeurs généraux au sein des ministères, les directeurs de cabinets ou les directeurs généraux d’opérateurs (486 organisations publiques ou privées).
François Gobillard, directeur de projet à la DITP (HEC, 1999) et ancien senior manager chez Roland Berger, chapeaute quelques-uns des trente à trente-cinq missions par an que la DITP confiera au cours du quinquennat à des cabinets de conseil en stratégie. Celui qui est passé du conseil en stratégie à la DGME en 2008 répond aux questions de Consultor.
Consultor : En juin, treize cabinets de conseil privés principaux et quarante-cinq sous-traitants spécialistes ont été choisis par les services de l’État pour accompagner la transformation publique d’ici 2022. Pourquoi avoir choisi cette méthode et un nombre aussi important d’entreprises ?
François Gobillard (F. G.) : Le marché compte trois lots (stratégie des politiques publiques, mise en œuvre des transformations, performance et réingénierie des processus) attribués à trois ou quatre binômes de cabinets de conseil, soit treize mandataires et cotraitants. Nous leur avons demandé de constituer des consortiums (des binômes de cabinets en stratégie et en management, ndlr) pour des raisons de compétences et de coûts. Si une mission nécessite la présence d’une douzaine de consultants externes dans plusieurs préfectures, nous ne pouvons pas nous permettre que l’ensemble de l’équipe soit composé de consultants de McKinsey, du Boston Consulting Group ou de Roland Berger. Nous avons aussi demandé aux sociétés de conseil d'être capables d’intervenir sur un très large spectre de compétences. C’est la raison pour laquelle une quarantaine de cabinets sous-traitants ont été sélectionnés.
Chaque consortium a-t-il pris l’initiative de sélectionner un groupement de sociétés de conseil spécialistes pour compléter son périmètre de compétences ?
(F. G.) : Nous leur avons fortement suggéré de le faire afin de proposer un grand choix de compétences dont nous avons besoin pour la conception et la conduite de transformations complexes. Nous souhaitons offrir aux administrations bénéficiaires l’état de l’art en matière d’accompagnement de la transformation.
Pourquoi l’État français s’est-il mis à recourir à des cabinets de conseil pour l’accompagner ? Ne peut-il pas le faire lui-même ?
(F. G.) : Le début de la révision générale des politiques publiques (RGPP) en 2008 marque le commencement d’une relation suivie entre les services de l’État et les cabinets de conseil en stratégie. La conjonction de plusieurs facteurs l’explique. Au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy, le modèle britannique, dont le recours à ces cabinets était plus ancien, a pu inspirer. Éric Woerth, un ancien consultant lui-même (chez Andersen Consulting et Bossard) était alors le ministre en charge de la Réforme de l’État. L'hypothèse était alors qu’une cellule de conseil interne faciliterait la transformation effective de l’administration, en transposant dans le secteur public un certain nombre de pratiques du secteur privé. Il y avait aussi une intuition que l’État ne pourrait pas se réformer seul. Cette intuition s’est confirmée dans le temps puisque notre service a perduré et s’est adapté avec le SGMAP pour la conduite de la modernisation de l’action publique (MAP, sous François Hollande, ndlr) et désormais avec la DITP pour la conduite du programme de transformation de l’administration d’Emmanuel Macron.
Les consultants qui travaillent dans les services de l’État sont-ils les mêmes que ceux qui travaillent dans la grande distribution et la banque ?
(F. G.) : En dix ans de prestations de conseil, les directions des practices secteur public avec lesquelles nous travaillons ont peu changé. La plupart savent très bien comment travailler avec les particularités du secteur public, et savent qu’on ne se comporte pas exactement de la même façon au siège d’une banque que dans un tribunal de grande instance ou une sous-préfecture. On ne revoit d’ailleurs pas ceux qui ne font pas la différence. Inversement, du côté de l'administration, le choc des cultures est passé. Aujourd’hui, travailler avec des consultants est devenu une pratique courante et acceptée.
Concrètement, quelles sont les différentes étapes d’attribution d’un projet à un cabinet de conseil en stratégie ?
(F. G.) : Le marché est interministériel. Tous les ministères peuvent y recourir hormis le ministère des Armées qui a ses propres marchés de conseil. Une administration nous fait part d’un besoin de transformation. Si ce besoin entre dans la ligne du gouvernement et qu’il est approuvé par le comité de direction de la DITP, nous le rattachons à l’un des trois lots et sollicitons ensuite à tour de rôle les cabinets mandataires du lot pour des missions qui durent de trois semaines pour les plus courtes à quatre mois en moyenne.
Et si la DITP refuse une demande d’accompagnement d’un ministère ?
(F. G.) : Libre au ministère de recourir à un cabinet sur un sujet de transformation : le ministère devra financer la mission seul alors que les frais sont partagés avec la DITP quand nous coréalisons une prestation.
Donc la DITP ne capte qu’une petite partie du total des missions de conseil faites pour le compte des différentes administrations de l’État ?
(F. G.) : Nous sommes le principal interlocuteur pour les questions de transformation publique ; il est obligatoire de passer par le cadre du marché public interministériel que nous avons mis sur pied. Pour d’autres types de prestations, en revanche, libre à chaque administration de passer d’autres marchés et de recourir à d’autres cabinets de conseil si elles le souhaitent.
De quels crédits la DITP dispose-t-elle pour les missions de conseil du quinquennat ?
(F. G.) : Ce n’est pas un montant public. Cependant notre enveloppe budgétaire nous permet de réaliser trente à trente-cinq missions par an au sein du service « accélération des transformations » de la DITP.
Quels ministères concentrent les plus grosses dépenses de conseil ?
(F. G.) : Nous avons vocation à travailler avec tous les ministères. Dans les faits, les ministères sociaux (travail, santé, ndlr) concentrent plus de missions parce que les sujets de transformation y sont actuellement plus nombreux.
La Cour des comptes a pu se montrer critique par le passé sur l'efficacité de certaines missions de conseil dans le secteur public. À juste titre ?
(F. G.) : Nous sommes très vigilants en ce qui concerne l’investissement du denier public dans les projets de transformation. L’impact attendu est systématiquement évalué avant de décider du lancement d’une mission. Par ailleurs, notre modèle opérationnel, qui repose sur des équipes intégrées entre agents de la DTIP et consultants, a été salué par différents rapports d’inspection de l’État.
Propos recueillis par Benjamin Polle pour Consultor.fr
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