Roland Berger à la rescousse d’Ascoval : les secrets d’une mission coup-de-poing
Six jours. C’est en tout et pour tout le temps accordé à Roland Berger sur le dossier de l’aciérie Ascoval de Saint-Saulve (Nord). Le site est en redressement depuis la liquidation judiciaire en février de son principal actionnaire, Asco Industries, et le refus de son racheteur, l’aciériste suisse Schmolz+Bickenbach, de prendre possession de l’usine des Hauts-de-France.
Le spécialiste français des tubes sans soudure Vallourec – copropriétaire à 40 % d’Ascoval – finit de compliquer la donne quand il annonce qu’il ne soutiendra pas financièrement le plan d’Altifort. Cette PME de la Somme se propose de reprendre l’aciérie de Saint-Saulve avec investissements et embauches à la clé.
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Jeudi 25 octobre dans la soirée, l’État étant actionnaire de Vallourec, la secrétaire d’État à l'Économie Agnès Pannier-Runacher fait une annonce prudente sur ce dossier explosif : elle indique avoir mandaté Roland Berger pour jauger la crédibilité du plan d’Altifort. S’ouvre alors une séquence sportive pour le cabinet de conseil en stratégie. C'est en fait la veille que la direction générale des entreprises de Bercy − avec laquelle Roland Berger a déjà travaillé sur d'autres sujets − a appelé le copatron du bureau de Paris, Olivier de Panafieu.
Après quelques tergiversations quant au niveau de facturation du projet — relativement bas comparativement à ce que le cabinet pourrait facturer dans le secteur privé — la forte exposition médiatique de la mission et son impact potentiellement négatif pour la marque, la société de conseil donne son accord.
Une semaine sportive
Le vendredi 26 octobre, la secrétaire d’État reçoit l’ensemble des parties prenantes à Bercy. Ambroise Lecat, partner industrie de Roland Berger Paris nommé il y a moins d’un an au partnership du cabinet, compte déjà parmi le tour de table. C’est lui le chef du projet Ascoval. Son profil plutôt politique — normalien, diplômé de Sciences Po en 2003 et de HEC en 2004 — convient sans doute bien pour une mission de ce type, aux forts enjeux sociaux (281 emplois sont concernés).
« Le dimanche, nous avons travaillé de 8 heures à 19 heures dans les locaux de Roland Berger. Puis par calls, échanges de documents et de mails jusqu’au mardi matin [30 octobre 2018] », témoigne Cédric Orban, le PDG d’Ascoval, lui-même ancien engagement manager chez McKinsey. Les « journée de 18 à 20 heures » s'enchaînent, aux dires de Bart Gruyaert, PDG d'Altifort.
Cinq des collaborateurs d'Altifort sont en lien constant avec une équipe resserrée de deux consultants autour d'Ambroise Lecat, appuyés par plusieurs autres consultants du cabinet chargés de vérifier toutes les hypothèses d'Altifort. « Chaque ligne et chaque mot ont été vérifiés. Ils ont bien grillé, je vous assure », témoigne Bart Gruyaert. Roland Berger multiplie les rencontres tous azimuts et fait des points plusieurs fois par jour avec les services commanditaires de Bercy.
Le dossier est politique et médiatique. Deux autres consultants ont déjà été mandatés, Secafi du côté du comité d'entreprise d'Ascoval, et Accuracy par Vallourec. Et le temps presse. La chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg a donné deux semaines, le mercredi 24 octobre, pour que l’offre de reprise d’Altifort aboutisse. Ce même jour, les représentants des salariés se souviennent encore du document qui leur est remis, à Bercy, par Roland Berger : un courrier des plus sommaires. « Le document disait seulement que le business plan d’Altifort tenait la route », dit Olivier Burgnies, délégué CFDT d’Ascoval.
Autour de la table, à la droite de la secrétaire d'État Agnès Pannier-Runacher et du ministre Bruno Lemaire, Ambroise Lecat est à nouveau présent, cette fois-ci flanqué de Olivier de Panafieu. C'est d'ailleurs lui qui présentera les conclusions de Roland Berger juste après le propos introductif de Bruno Lemaire.
Roland Berger à bord, un argument convaincant auprès des banques pour Ascoval
La suite est connue : sur la base des conclusions de Roland Berger, l’État juge l’offre de reprise d’Altifort définitivement crédible, s’engage à abonder les investissements dont le repreneur a besoin, compris entre 150 à 180 millions d’euros, et renvoie à décembre la définition exacte de la part que chacun – repreneur, collectivités locales et État – est prêt à assumer.
Mais le sprint de Roland Berger ne s’arrête pas là. « Ils ont travaillé sous pression. Dans les deux ou trois jours qui ont suivi la réunion du 31 octobre à Bercy, ils ont finalisé un document pour le ministère de l’Économie », indique Cédric Orban. Au final, Roland Berger aura livré trois supports : une synthèse pour la presse, un document plus fouillé pour le tour de table du 31 octobre au ministère de l'Économie et un dossier qu'Altifort peut présenter aux investisseurs qu'elle doit à présent convaincre.
Car reste à transformer l’essai pour qu’Altifort soit définitivement accepté comme acquéreur. « Sur le dossier, il reste 15 à 20 % de travail à faire pour assurer un bon niveau de clientèle, et 75 à 80 % sur le plan de financement. Roland Berger, dont les conclusions ont été approuvées par l’État, représente une caution solide auprès des banques », dit-il.
Mardi 6 novembre, en route pour la chambre commerciale du TGI de Strasbourg qui devait définitivement se prononcer sur la liquidation d’Ascoval [elle a finalement renvoyé sa décision au 12 décembre], certains représentants des salariés ont reçu un document plus détaillé de la part de Roland Berger – dont le contenu reste confidentiel.
Procédure de sélection « légère » au cabinet d'Agnès Pannier-Runacher
Mais dans quelles conditions le cabinet de conseil a-t-il été choisi pour ce dossier ? La question se pose d’autant plus que l'attribution de ce mandat n'est pas lié au résultat de l’appel d’offres de la toute nouvelle Direction interministérielle de la transformation publique (DITP). Celle-ci, avant l’été, a choisi les cabinets dont Roland Berger qui interviendront jusqu’en 2022 auprès des ministères sur les sujets de transformation de l’action publique. « Cela ne vient pas de chez nous », confirme un membre de la DITP à Consultor.
L’interprétation officieuse côté Roland Berger est qu’il a été choisi sur le dossier Ascoval pour au moins trois raisons : son expérience, sa réputation sur les sujets industriels et sa neutralité. D’autres observateurs, un peu railleurs, y voient « une signature politique à moindres frais ».
« Roland Berger a été choisi car il s’agissait d’un cabinet disposant de bonnes références dans les industries lourdes, notamment sidérurgiques, et qu’il était exempt de tout conflit d’intérêts. Nous avons consulté quatre cabinets de la place et sommes passés par une procédure très légère, le marché étant en dessous des seuils nécessitant une procédure formalisée », explique le cabinet d'Agnès Pannier-Runacher à Consultor. Et les trois autres candidats envisagés — dont les noms ne sont pas connus — ont été retoqués du fait de leurs relations commerciales passées avec Vallourec.
À Bercy, c'est habituellement le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) − indisponible pour répondre à nos questions − qui coordonne les services de l’État dans les cas d’entreprises industrielles en difficulté. Le CIRI a ainsi traité quarante-trois dossiers en 2017 et recourt au cas par cas aux services de consultants externes, pour un diagnostic par exemple.
Roland Berger parti pour durer auprès d′Ascoval - Altifort ?
En 2012, sur le dossier Neo Sécurité, la société de surveillance alors au bord du redressement judiciaire, Bercy avait opté pour McKinsey. Pour la vente du pôle énergie d’Alstom à GE, Roland Berger (déjà) et A.T. Kearney avaient été missionnés. Pour Boris Walbaum, un ancien engagement manager de McKinsey, et fondateur de Dual Conseil, une société qui se spécialise dans le conseil en stratégie pour le secteur public, « ce type de missions dans le cas de sauvetages industriels est minoritaire dans un secteur public qui ne pèse déjà pas lourd dans l'activité du conseil en stratégie ».
Des missions à forts enjeux et grosse médiatisation qui sont donc ultra-ponctuelles. Sur le dossier Ascoval, Roland Berger est en tout cas parti pour durer : il pourrait en effet continuer à accompagner Altifort, si la liquidation est évitée et le rachat définitivement validé.
Benjamin Polle pour Consultor.fr
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