La cure d’austérité de la 3e mutuelle de France passe mal
Le cabinet Oliver Wyman a planché sur l’avenir d’Aésio mutuelle. Cet audit (diag/recos) accablant, selon L'Argus de l'assurance qui a eu accès au rapport remis fin 2021, fait sortir de leurs gonds salariés et représentants du personnel.
À la clef de la synthèse du travail d’Oliver Wyman (qui ne souhaite pas commenter cette mission), une réduction massive des effectifs, qui passeraient de 3 600 collaborateurs actuellement à 2 500 sous trois ans.
Un choc pour les organisations syndicales qui refusent en bloc ce couperet social, à l’instar de Dominique Ayroulet. Ce représentant de la CGT Aésio affirme – mécontent – à Consultor avoir appris l’existence même du rapport le 6 septembre dernier, à l’occasion d’une réunion entre syndicats, top management et direction. « On nous a parlé du sujet de la rentabilité des contrats mais pas du volet social. Nous l’avons appris par la presse (NDLR, L’Argus du lendemain) », déplore le délégué CGT auprès de Consultor.
La gouvernance avait pourtant déjà mis en place un plan stratégique Ensemble Aésio 2023 pour (re)trouver la rentabilité d’ici à 2024. Mais ce plan est devenu difficilement applicable dans un contexte de conjoncture médiocre pour l’ensemble du secteur (un recul de 1 % de l’activité en 2020) et un déficit croissant pour le groupe Aésio.
« L’an dernier, Aésio avait en effet enregistré un résultat technique déficitaire de 98 M€ et creusé sa perte nette à 44 M€, contre 15 M€ en 2020 », chiffre Sébastien Acedo, rédacteur en chef délégué de L’Argus de l’assurance. À l’automne dernier, la DG d’Aésio, Sophie Elkrief, évoquait en interne des problèmes de rentabilité et un plan de redressement.
La concentration comme stratégie initiale
Le secteur mutualiste, historiquement assez intangible avec quelques acteurs qui tenaient le haut du panier (Harmonie Mutuelle, MGEN, La Mutuelle Générale), a notablement évolué ces dernières années.
La donne a, en effet, changé avec une nouvelle tendance à la concentration, à l’instar de la naissance d’Aésio mutuelle en 2016, première union mutualiste de groupe créée par Adréa, Apréva, et Eovi-MCD, qui ont fusionné le 1er janvier 2021 ou en 2020 avec la création d’Apivia (issu de la fusion d’Apivia et de Macif Mutualité).
Début 2021, les deux assureurs mutualistes Aésio et la Macif se sont aussi rapprochés, créant le groupe Aéma, fort d’un réseau de 800 agences et de 14 000 salariés. En octobre 2021, le groupe finalise l’acquisition d’Aviva France. En mai dernier, nouveau rapprochement stratégique entre Aésio et la Mutuelle des métiers de la justice et de la sécurité (MMJ), 110 000 personnes, agents du ministère, professionnels de justice et agents au service de la sécurité, qui devait permettre de « co-construire une réponse au service de la protection sociale des agents publics », d’après le communiqué officiel.
Grâce à ces briques, Aésio mutuelle entrait ainsi en 2021 dans le Top 3 des mutuelles en termes de cotisations (1,9 milliard d’euros) derrière MGEN et la première, Harmonie Mutuelle (2,6 milliards d’euros). Une troisième place qui cache la forêt de la perte de vitesse puisque Aésio a connu une baisse de près de 8 % de ses cotisations entrantes l’année dernière, lorsque la MGEN a connu une croissance de 4,2 % et Harmonie de 0,8 % (selon L’Argus de l’assurance).
Nouvelle trajectoire de rentabilité
C’est dans le cadre d’une réorientation du plan initial jugé insuffisamment efficient que cet audit a été commandé par Aésio au cabinet Oliver Wyman. Avec un objectif de très court terme annoncé en mai 2022 par la DG d’Aésio : un retour à la rentabilité d’ici à 2025, avec notamment une réduction des frais de gestion de 23 % à 19 %. « Au-delà du 100 % Santé et de la hausse des prestations, Aésio fait surtout les frais d’une intégration trop rapide dans Aéma Groupe alors qu’elle n’avait pas digéré la fusion de ses trois mutuelles. Aésio a aussi un peu oublié que dans “économie sociale et solidaire”, il y avait “économie”. La mutuelle est au pied du mur, elle a trois ans pour se redresser, sinon ce sera grave », partage le journaliste de L’Argus via une source interne.
Au programme du nouveau plan strat’, issu de l’audit d’Oliver Wyman, l’arrêt d’activités (produits de prévoyance lourde, petit collectif) et le renoncement à certaines branches pros jugées non rentables, mais aussi le recentrage autour de son cœur de métier, l’assurance santé.
« On nous a parlé du problème de rentabilité des contrats lors de la réunion du 6 septembre. Il est vrai que dans la majorité de nos activités commerciales, nous n’avons aucune rentabilité. Il faudrait effectivement arrêter certaines activités, mais aussi augmenter le taux directeur des contrats pour la retrouver. Mais le problème est que nous allons aussi perdre en compétitivité prestations/prix », se désole Dominique Ayroulet de la CGT Aésio.
Rentabilité, compétitivité… des sujets, semble-t-il, trop sensibles : la gouvernance d’Aésio n’a pas répondu aux sollicitations de Consultor.
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Absence de mise en concurrence, absence de négociation tarifaire, absence de contrats signés… Les conditions des onze missions menées par McKinsey entre 2016 et 2018 pour le compte de la mutuelle des agents publics, Intériale, sont vivement critiquées par son audit interne.
Un plan social qui ne passe pas
Mais le nœud du problème (issu du rapport d’Oliver Wyman) qui fait bondir les syndicats, c’est bien le volet social : le départ recommandé de quelque 1 000 salariés sur les 3 600 actuellement en poste (soit quasi un tiers des collaborateurs).
« La direction veut faire des économies et nous dit que la situation est compliquée. Mais pourquoi alors y a-t-il eu de lourds investissements comme le rachat d’Abeille par le groupe Aéma qui a coûté plus de 430 millions d’euros d’investissements ou la création en cours d’une société de gestion d’actifs pour 50-60 millions d’euros ? Depuis un an déjà, on assiste au non-remplacement des départs en retraite. Et je ne crois pas aux 1 000 départs volontaires. Il y aura obligatoirement des licenciements. Nous recevons l’info, mais rien n’est démenti », anticipe Dominique Ayroulet.
Selon une source interne de L’Argus, même les chiffres de départs recommandés par Oliver Wyman ne pourront cependant pas être tenus par la direction. Ils seraient plus de l’ordre de 300…
D’après la CGT, un CSE devrait se tenir en date du 22 septembre. « Nous allons demander un droit d’alerte (NDLR, d’une situation de danger grave et imminent). Deux dates de CSE extraordinaires seront alors proposées, mais nous entrons ainsi dans une longue procédure », se désole Dominique Ayroulet. D’après l’enquêteur de L’Argus, le plan de réorganisation sera présenté d’ici à fin septembre au conseil d’administration d’Aésio.
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