Le moins possible de télétravail, même en temps de grève !
Comment s’organise-t-on dans les cabinets de conseil en stratégie pendant les conflits sociaux ? Quelles pratiques sont mises en place pour assurer la continuité des activités ?
Aides à l'acquisition de vélos, financement de VTC ou de taxis... tout ce qui peut éviter une généralisation du travail à distance. Parce que le présentiel fait partie de la culture et de la valeur du service rendu, nous assurent nos interlocuteurs.
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L’actualité sociale complique les déplacements, mais ne favorise pas forcément le télétravail, encore moins sa généralisation. C’est ce qui ressort des échanges que nous avons eu avec les cabinets qui ont bien voulu nous répondre en pleine grève des transports.
Bon sens et entraide
Éric de Bettignies, fondateur et associé du cabinet Advancy, par exemple, n’en fait pas un drame, mais reconnaît que cette période est pénible pour tout le monde : « Les temps de trajet explosent, surtout pour le personnel administratif qui habite souvent un peu plus loin que la plupart des consultants. Certains viennent en courant et utilisent les douches à l’arrivée. On se prête aussi des vélos… Si ça peut être utile à quelques-uns, c’est déjà bien. » Le cabinet s’adapte ainsi avec un peu de bon sens et d’entraide. « Nous allons donner une petite prime au personnel administratif pour supporter les frais de taxis », nous confie même en avant-première le senior partner. Et le télétravail ? « Quand c’est justifié », dit-il sans plus de détails.
Chez Eleven, on s’est organisé en deux temps. Au début de la grève, le cabinet a pris la décision en comité de direction de laisser les chefs de projet s’organiser comme ils le souhaitaient. « Sur cinquante consultants, tous ont des contraintes différentes, selon la distance qui les sépare d’ici (le cabinet est domicilié dans le 16e arrondissement à Paris, ndlr), leurs modes de transport, les dossiers qu’ils traitent, s’ils ont des rendez-vous clients ou non… On paie un Uber, au besoin », précise Bertrand Semaille, son fondateur et CEO. Le télétravail ? « On a été très souple au début. Il faut dire que les trois premiers jours, même chez nos clients il n’y avait pas grand monde ! Et puis on utilise des outils performants comme Teams ou Sharepoint, qui permettent de travailler à distance », explique Bertrand Semaille.
Aide à l'acquisition de vélos électriques
Mais dès lors que la grève s’est installée, le cabinet a pris de nouvelles résolutions : « On a décidé d’appliquer la loi d’orientation des mobilités (« Lom », définitivement adoptée par l’Assemblée nationale le 19 novembre dernier, ndlr) pour permettre aux consultants qui le souhaitent de s’acheter un vélo ou un vélo électrique. »
Le cabinet a choisi un modèle qui responsabilise les salariés : « Le consultant est propriétaire du vélo, et en échange – selon le prix d’acquisition – on lui reverse 500 euros par an (via le dispositif de la région Île-de-France) auxquels s’ajoutent 400 euros annuels (prévus dans la Lom). Cette aide peut monter jusqu’à 2 000 euros au total, ce qui avoisine le coût d’achat d’un vélo électrique haut de gamme. »
L’initiative a plusieurs avantages, selon le patron d’Eleven : contribuer à réduire l’empreinte carbone, et créer une offre susceptible d’attirer et de garder les jeunes talents au sein du cabinet. Sans compter que c’est un bon moyen de s’affranchir des contraintes en cas de grève, en évitant de généraliser le télétravail.
Éviter la généralisation du télétravail
« Le métier du conseil requiert de la diligence, des études sur le terrain, de grandes interactions entre consultants. C’est indispensable d’être présents, d'être ensemble. Et même si on possède les meilleurs outils, ils ne sont pas encore suffisamment confortables dans leur utilisation pour être imposés systématiquement aux clients », rappelle Bertrand Semaille. Sauf exception, comme l’assistante du cabinet qui habite très loin et travaille principalement de chez elle depuis deux semaines, le cabinet ne favorise donc pas particulièrement le télétravail…
Julien Berger, associé fondateur d’Indefi, semble sur la même ligne. Comme les autres cabinets parisiens, il est relativement peu exposé aux problèmes de transport, et s’adapte. « On est assez flexible. Et la mobilité urbaine facilite pas mal les choses, par rapport aux grèves de 1995 ! » Pour le managing partner, cette grève-ci n’a pas généré de ralentissement de l’activité du cabinet : « On constate juste une densité moins importante de rendez-vous. Ce qu’il y a de plus problématique, c’est l’annulation des déplacements. Mais l’utilisation de la visioconférence a permis de limiter l’impact. »
Aussi, sur la question du télétravail, Julien Berger dit « n’avoir aucun problème sur le principe » : « On est très à l’écoute des nouveaux modes de travail notamment à la demande des jeunes collaborateurs. Pour les métiers du tertiaire, c’est une question qui se pose. » Pour l’instant, aucune décision n’a été prise. Le télétravail est « facilité » quand il est « utilisé à bon escient ».
Le bon modèle, selon Indefi, c’est l’agilité et la responsabilisation : « La présence physique tout le temps n’est pas indispensable. Mais notre métier relève de la prestation intellectuelle, d’une culture du “team play”, du partage de l'information et du “s’enrichir ensemble” pour apporter de la valeur ajoutée à nos clients… Rien ne remplace l’interaction humaine, surtout pour établir une relation de confiance. » Ainsi, on ne systématise pas le télétravail chez Indefi : « On aime bien être dans le “test & learn”. Et on ne ressent pas le besoin d’en faire un élément central et figé. »
Instituer des règles de télétravail
On a toutefois le témoignage d’un cabinet qui a pris une réelle décision sur le sujet : Cepton Stratégies encadre le télétravail depuis juin dernier. « Avant, ça se faisait de manière un peu non officielle. Alors, à la demande générale, on a décidé de l’instituer », raconte Jean Reboullet, fondateur du cabinet de conseil.
Il existe désormais des règles en vigueur, en dehors des grèves. Le travail à distance fait partie de l’organisation, est cadré, structuré. Tous les consultants ont accès à un jour de télétravail par semaine. Il doit être posé au minimum vingt-quatre heures avant, et validé par le partner et le project manager. Les demandes ne sont pas systématiquement acceptées. Elles dépendent du projet sur lequel travaille le consultant et de son degré d’autonomie. Évidemment, quand il télétravaille, le consultant doit être disponible et joignable aux horaires habituels du cabinet.
Pendant les grèves, le télétravail fait encore plus partie des options : « Notre philosophie ce n’est pas d’être dans l’effort, mais dans le résultat. Je ne demande pas aux collaborateurs de faire des heures, mais de produire des choses. Quand on est purement orienté vers les résultats, comme nous, peu importe les horaires. Si pendant les mouvements sociaux, certains veulent arriver plus tôt ou partir plus tard, ou travailler de chez eux, dans ce cas qu’ils s’organisent au mieux. » Jean Reboullet n’en oublie pas moins l’importance de se voir : « Si les gens restent tous chez eux, ça ne marche pas. C’est très important le contact humain. »
Grèves ou pas grèves, le travail à distance reste plus l’exception que la norme. En cela, le taux de télétravail dans les cabinets de conseil en stratégie reste minoritaire comme dans le reste des entreprises françaises : d’après les derniers chiffres du service d’études et de statistiques du ministère du Travail, en France, en 2017, seuls 3 % des salariés pratiquaient le télétravail régulièrement, c’est-à-dire au moins un jour par semaine.
Delphine Sabattier pour Consultor.fr
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commentaires (1)
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France
- 18/11/24
L’un des ténors du BCG en France, Guillaume Charlin, 54 ans, patron du bureau de Paris entre 2018 et 2022, serait en passe de quitter le cabinet.
- 15/11/24
Toutes les entités de conseil en stratégie ne subissent pas d’incendies simultanés, comme McKinsey, mais chacune peut y être exposée. La communication de crise dispose-t-elle d’antidotes ? Éléments de réponse avec Gantzer Agency, Image 7, Nitidis, Publicis Consultants - et des experts souhaitant rester discrets.
- 15/11/24
Le partner Retail/Consumer Goods d’Oliver Wyman, Julien Hereng, 49 ans, a quitté tout récemment la firme pour créer son propre cabinet de conseil en stratégie et transformation, spécialisé dans les secteurs Consumer Goods, Luxe et Retail, comme il le confirme à Consultor.
- 13/11/24
À l’heure où les premiers engagements d’entreprises en termes d’ESG pointent leur bout du nez (en 2025), comment les missions de conseil en stratégie dédiées ont-elles évolué ? Toute mission n’est-elle pas devenue à connotation responsable et durable ? Y a-t-il encore des sujets zéro RSE ? Le point avec Luc Anfray de Simon-Kucher, Aymeline Staigre d’Avencore, Vladislava Iovkova et Tony Tanios de Strategy&, et David-Emmanuel Vivot de Kéa.
- 11/11/24
Si Arnaud Bassoulet, Florent Berthod, Sophie Gebel et Marion Graizon ont toutes et tous rejoint le BCG il y a plus de six ans… parfois plus de dix, Lionel Corre est un nouveau venu ou presque (bientôt trois ans), ancien fonctionnaire venu de la Direction du Trésor.
- 08/11/24
Trois des heureux élus sont en effet issus des effectifs hexagonaux de la Firme : Jean-Marie Becquaert sur les services financiers, Antonin Conrath pour le Consumer, et Stéphane Bouvet, pilote d’Orphoz. Quant à Cassandre Danoux, déjà partner Stratégie & Corporate Finance, elle arrive du bureau de Londres.
- 30/10/24
L’automne fait son œuvre au sein de la Firme, les feuilles tombent… et les partners aussi. Les nouveaux départs sont ceux de Flavie Nguyen et Thomas London.
- 29/10/24
Julia Amsellem, qui a rejoint l’entité de conseil en stratégie d’EY en 2017, et Étienne Costes, engagé depuis 2013, font partie des 17 membres du nouveau comex d’EY dans l’Hexagone.
- 23/10/24
C’est une étude coup de poing que le cabinet Oliver Wyman a réalisée à titre pro bono pour le collectif ALERTE (fort de 35 associations, dont Action contre la Faim, Médecins du Monde et ATD Quart Monde) dédié à la pauvreté et à l’exclusion. Elle est intitulée « Lutter contre la pauvreté : un investissement social payant. » L’une des conclusions plutôt contre-intuitive : combattre la pauvreté par des financements serait un investissement gagnant-gagnant, pour les personnes concernées comme pour l’économie nationale. Les analyses du président d’ALERTE, Noam Leandri, et de Jean-Patrick Yanitch, partner à la tête de la practice Service public et Politiques publiques en France.