Horaires de chien dans le conseil : mythe ou réalité ?
Les gros horaires feraient partie intégrante du modèle économique du conseil de direction générale, une part même de la valeur achetée par les clients.
Cette culture des trois-huit a le cuir dur, notamment chez quelques jeunes consultants qui y voient un must comportemental, mais plusieurs indices montrent des changements.
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Un lundi 8 heures. « Attendez, j’arrive chez un client, rappelez-moi ce soir. » Un mercredi 21 heures. « Rappelez-moi, je suis encore au bureau. » Un managing partner qui vous demande de l'appeler avant 7 heures puis finalement annule parce qu'avant 7 heures, il devra préparer une réunion.
Chercher à joindre au téléphone des professionnels du secteur, c’est déjà avoir un indice de leur charge horaire moyenne, quel que soit leur niveau de séniorité. Comme le dit un consultant chez Roland Berger, sous couvert d’anonymat, « les pics font partie de ce métier, sur certains projets, quel que soit le cabinet pour lequel vous collaborez ».
Marner, une marque de fabrique du secteur
Marner est même une marque de fabrique, une culture à laquelle il faut coller lorsqu’on entre dans le secteur. Ainsi chez McKinsey en Belgique, comme le racontait un ancien en novembre, il fut longtemps de coutume au bureau de Bruxelles de laisser les lumières des locaux allumés le soir « pour montrer aux clients que les consultants travaillaient d'arrache-pied sur leur dossier ».
Une culture de bosseurs que décrivait aussi un chercheur américain en 2015 lorsqu’il publiait les résultats de ses recherches auprès d’une centaine de collaborateurs d’une prestigieuse firme de conseil en stratégie dont le nom n’était pas révélé.
Ces derniers estimaient leur temps de travail entre soixante et quatre-vingts heures hebdomadaires. Sans parler des voyages en avion de nuit, des permanences obligatoires la nuit et les week-ends et des appels des clients qu’on ne peut en aucun cas décliner.
Une culture de l'engagement à 500 % qui peut aller loin
Chez Bain, en Allemagne, dans les services financiers, une semaine typique commence par un vol vers Francfort le dimanche soir. Puis, du lundi au jeudi, les journées moyennes vont de 8 heures à plus de minuit, avec un vol de retour le vendredi après-midi.
Cette culture de l’engagement à 500 % peut aller loin. Dans les travaux de ce même chercheur, certains codes tacites montrent jusqu’où peut aller la pression sur les horaires. Un junior raconte que le serveur mail interne est doté d’un module qui indique qui est connecté ou non à l’instant T.
« Il y a une culture implicite qui veut que lorsqu’on ne voit pas quelqu’un travailler comme soi à la même heure de la nuit, on se demande ce que, bon sang, la personne peut bien faire d’autre », témoignait ce consultant. Dormir n’ayant pas l’air d’être une option crédible ou acceptable !
Voilà pour le tableau noir qui fait du conseil de direction générale l’un des secteurs où l’on y bosse jour ou nuit. Comme dans ce cabinet parisien où un partner n’hésitait pas à fixer des calls dès 6 heures !
Équilibre entre vie professionnelle et vie privée : des programmes internes à tire-larigot
Mais, paradoxalement, rares sont les cabinets à ne pas afficher urbi et orbi une attention grandissante à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, sur fond de concurrence d'autres carrières attractives, de possibles burn-out de leurs collaborateurs et de volonté d’avoir des staffs plus paritaires.
Aussi parce que les diplômés ciblés sont davantage attirés par des aventures entrepreneuriales ou sociales et que l’idéal d’un début de carrière dans le conseil de direction générale n’est plus nécessairement la timbale à décrocher.
Exemple : A.T. Kearney et son global flex program qui laisse la possibilité à un consultant de télétravailler à condition que son supérieur hiérarchique soit d’accord. Les autres exemples abondent : temps partiels et congés sans solde chez Kea & Partners ; intégration dans la road map de chaque projet de plages libérées et droit à la déconnexion au BCG.
« C’est un sujet pris très au sérieux. Nous faisons nos meilleurs efforts pour limiter les excès et de l’avis interne nous y arrivons assez bien », avance Annabelle Dazy-Cannac, la responsable des ressources humaines chez Advancy.
Le cabinet annonce, lui aussi, s’être doté d’un programme – Quality Time – censé limiter les horaires excessifs.
Une question d'organisation, plaident les cabinets
« Les cabinets sont de plus en plus vigilants aux horaires de travail pour plusieurs raisons. D'abord, parce qu’il y a un enjeu de réputation, mais aussi par envie d’attirer les talents et de faire évoluer les consultants sur le long cours », dit Olivier Salomon, partner chez AlixPartners à Paris.
Quoiqu’il avoue que « l’important est d’avoir de la latitude sur la façon de s’organiser » et « ne pas être dérangé par le travail le soir et le week-end ». À l’entendre, les impondérables du secteur n’en sont pas vraiment.
Les consultants surchargés ? « C’est souvent un problème de pilotage de la mission ou d’organisation du consultant lui-même. Dans tous les cas, il faut remettre les choses à plat tout de suite. » A minima deux fois par an comme le prévoit la convention Syntec, qui est censée régir les conditions de travail dans le secteur du conseil.
Les appels des clients ? « C’est une question de jugement et de situation. Si c’est une urgence, on répond ou on rappelle dans les quinze minutes. Mais certains appels ne justifient pas de recontacter absolument le client immédiatement. »
Fini les trois-huit made in 8e arrondissement de Paris ?
A fortiori, une « transition générationnelle » serait à l’œuvre, selon notre source chez Roland Berger. « Les nouvelles générations de consultants ont tendance à moins se donner corps et âme à leur métier que par le passé. Les managers sont de plus en plus dans une logique de 80/20 (loi de Pareto qui veut que 80 % des résultats positifs ou négatifs soient produits par 20 % du travail, ndlr), priorisant les chantiers les plus importants pour le client et exposant moins leurs équipes à des horaires très lourds. Lorsqu’il m’arrive encore de quitter le cabinet tard, je constate que les bureaux sont nettement moins remplis que par le passé. Les consultants qui, dans le rendu des missions, veulent couvrir tous les sujets de manière exhaustive, même ceux qui n’ont pas nécessairement de sens pour les clients, sont aussi de moins en moins nombreux. »
Fini les trois-huit made in 8e arrondissement de Paris ? Tout du moins, c'est ce que les cabinets veulent tous afficher à l'unisson, rarement en fournissant des données quantitatives qui montreraient que la baisse est réelle. Les mentalités bougent en tout cas chez certains des jeunes consultants. On voit moins « les consultants qui se mettent dans le rouge par défaut parce qu’ils pensent que c’est ce qu’il faut faire », comme le dit Olivier Salomon, chez AlixPartners.
Petit signe qui ne trompe pas : à Bruxelles, chez McKinsey, on fait désormais bien attention à éteindre la lumière le soir. De peur de décourager de potentielles recrues que les quatre-vingts heures par semaine ne font plus rêver. Même rémunérées à plusieurs milliers d'euros par mois.
Benjamin Polle pour Consultor.fr
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