Le rôle des consultants dans le « big bang » de la fonction publique
Plan de départs volontaires de fonctionnaires, recours accru aux contractuels, rémunération au mérite… Le « big bang de la fonction publique » voulu par le pouvoir exécutif rentre dans le dur après que Gérald Darmanin et Édouard Philippe ont présenté début février leur feuille de route de « la transformation de l’action publique 2022 ». Objectif : réduction de quelques points de la dépense publique et départ de 120 000 fonctionnaires au terme du quinquennat d’Emmanuel Macron, comme il s’y était engagé pendant sa campagne. L’un des volets de cette transformation passe par la case conseil.
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Ce qui n’est pas neuf. Régulièrement, les pouvoirs publics, État, collectivités ou hôpitaux, en appellent à des consultants privés. Optimisation du recouvrement des factures à l’hôpital, évaluation du décrochage scolaire pour le ministère de l’Éducation nationale… Les consultants ont régulièrement été sollicités par les pouvoirs publics ces dernières années, selon des cycles fluctuants et corrélés aux programmes de transformation portés par le bord politique alors aux manettes.
"Leurs rapports sont souvent extrêmement techniques, peu adaptés en termes de résultats et drôlement chers"
« Ces cabinets de conseil en stratégie, dont on voit souvent passer les rapports, sont un peu paradoxaux quand il s’agit du secteur public : bizarrement, ils ne font plus du tout de stratégie sur la manière dont les pouvoirs publics devraient faire évoluer leur action, mais prodiguent des recommandations qui vont toujours dans le même sens et dont les préconisations doivent ensuite être appliquées dans la douleur. Malheureusement, leurs rapports sont souvent extrêmement techniques, peu adaptés en termes de résultats et drôlement chers », regrette Philippe Laurent. Le maire UDI de Sceaux, secrétaire général de l’Association des maires de France, très impliqué dans diverses instances de gouvernance des collectivités territoriales, est aussi membre de la commission consultative « Action publique 2022 », mise sur pied par Emmanuel Macron.
Une analyse qui n’est pas très éloignée de ce que disait la Cour des comptes dans un rapport dédié aux dépenses de conseil émanant du secteur public établi à la demande de la commission des Finances du Sénat. La Cour des comptes recensait 150 millions d’euros d’achat de conseil par an de l’État entre 2011 et 2013, principalement à Matignon et à Bercy, et jugeait que nombre de ces dépenses auraient pu être assumées par des administrations mieux organisées.
Alors, pourquoi continuer à faire appel aux consultants si l’État peut s’en passer ? « L’État cherche des boucs émissaires et des porte-parole pour faire passer des messages à sa place. En réalité dans la fonction publique, les gens ne sont pas plus idiots qu’ailleurs. Et bien accompagnés, ils pourraient changer de métier. Mais pour cela, il faudrait qu’il y ait une reprise en main des ressources humaines de la fonction publique. Le sujet est sur la table depuis plusieurs décennies et n’avance pas », argumente Philippe Laurent.
Des avis de marchés taillés pour toucher toutes les catégories de consultants
Les administrations passent et les consultants suivent. Rebelote en octobre. Ainsi que l’apprenaient Les Échos en fin d’année, les cabinets de conseil sont nombreux – quatorze sur l’un des marchés en cours d’attribution– à s’être positionnés sur les derniers appels d’offres aux périmètres plutôt abscons à ce jour : « stratégie et politique publique », « mise en œuvre des transformations », « performance et ingénierie des processus ».
Des appellations vagues qui sont volontaires de la part de l’État, selon les informations de Consultor, et visent à toucher le spectre le plus large possible de consultants : les cabinets aux taux journaliers moyens (TJM) les plus élevés concernent le premier lot qui sera décerné à trois prestataires ; le deuxième lot s’adresse aux gros acteurs de la transformation numérique, à commencer par Cap Gemini et Accenture, et sera attribué à quatre prestataires ; le dernier cible des prestations de lean management et d’optimisation et ira à quatre cabinets également.
Tous devaient avoir déposé leurs offres début novembre et devaient connaître les attributions de marchés début janvier. Mais à cette date, silence radio dans les services de l’État et a fortiori dans les cabinets qui ont candidaté à ces marchés. Sur la dizaine de cabinets que Consultor a sollicités, pas un n’ose piper mot tant que les résultats ne sont pas publiés. Et ils tardent. « On sera informé en avril », nous dit-on tout juste.
La réorganisation des services de l'État retarde les attributions de marchés
Les notifications tant attendues ne sont pas arrivées. En cause : la recomposition des services de l’administration en matière de transformation de l’action publique. Par décret du 20 novembre 2017, le SGMAP (Secrétariat général de modernisation de l’action publique), qui avait émis les avis de marché, a été remplacé.
L’un des principaux donneurs d’ordre des achats de conseil de l’État, comme le notait déjà la Cour des comptes en 2015, a été remplacé par la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et la direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État (DINSIC).
« Les gens qui ont publié les marchés ne sont pas ceux qui vont les exécuter », persifle un des candidats à ces marchés. « Le SGMAP relevait du Premier ministre alors que la DITP dépend à présent de Bercy. Cette bascule a des conséquences sur les dates auxquelles ces marchés seront notifiés. Cela prendra entre un mois et six semaines supplémentaires [fin février ou mi-mars, NDLR] », font savoir de leur côté à Consultor les collaborateurs de Thomas Cazenave, le délégué interministériel à la transformation publique.
C’est cet énarque, codirecteur de l’ouvrage L’État en mode start-up, qui retiendra les offres des cabinets les plus pertinentes. Charge ensuite à la direction des services administratifs de Matignon d’en informer les heureux bénéficiaires.
Quant à savoir quelles missions auront lieu concrètement, de quelle nature et dans quelles administrations, bon courage ! Le principe général est le suivant : les cabinets présélectionnés à l'issue des attributions de marchés pourront être sollicités à tour de rôle par X et Y ministère de façon aléatoire.
Les premières prestations au deuxième semestre 2018
« C’est une logique de tourniquet et l’administration s’assure que les crédits alloués aux consultants sont équitablement dépensés entre les cabinets sélectionnés. Le marché est un vecteur juridique qui permet ensuite de travailler avec n’importe quel ministère et sur n’importe quel sujet », dit un candidat à ces marchés.
Aux dires de nos sources, les dépenses des consultants seront logées dans le fonds de 700 millions d’euros sur cinq ans annoncé par Matignon en faveur de la transformation publique. Sans que la quote-part qui leur sera réservée ne soit encore définie. Les premières prestations sont espérées au deuxième semestre 2018.
Benjamin Polle pour Consultor.fr
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