Consultants : la Cour des comptes met la pression sur l’Assemblée
La Cour des comptes a rendu public lundi 10 juillet un rapport sur le recours par l’État aux prestations intellectuelles des cabinets de conseil. Il entérine un triplement des achats de conseil hors informatique entre 2017 et 2021, et appelle à mettre un terme à plusieurs « anomalies ». Parallèlement, mercredi, l’Assemblée nationale présentera en commission des lois le fruit de la brève mission qu’elle a également consacrée au sujet et devrait acter le report aux Calendes grecques d’une éventuelle loi sur le sujet.
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Le suivi des dépenses de conseil de l’État et de ses établissements publics par la Cour des comptes n’est pas neuf.
Tout récemment, la Cour appelait l’État à aller plus vite et plus fort dans la réinternalisation de compétences, à même de freiner le recours à des consultants externes.
Fin 2022 avait fuité une note dans laquelle la rue Cambon alertait sur la dérive des achats de conseil au ministère de la Santé pendant la gestion de la pandémie de Covid.
En 2018, c’est dans la santé que la Cour des comptes tançait le nombre croissant de missions et leurs piètres résultats.
Un peu plus loin en arrière, en 2015, la Cour des comptes, longtemps avant le focus médiatique et politique des 3 dernières années en France à ce sujet, appelait déjà à mieux encadrer ces achats.
Un triplement des dépenses de conseil
Rebelote donc le 10 juillet 2023. La Cour s’est à nouveau attelée au sujet des consultants intervenant auprès des ministères et des opérateurs de l’État, après que le sujet avait été plébiscité voilà 1 an par une consultation publique ouverte auprès du public quant aux sujets sur lesquels la cour devrait travailler en priorité.
Un trimestre d’enquête sénatoriale sur l’influence des cabinets de conseil sur les politiques publiques et des présomptions de conflits d’intérêts entre McKinsey et Emmanuel Macron étaient passés par là : le sujet était ressorti tout en haut des votes, devant la fraude fiscale des particuliers ou le soutien public aux fédérations de chasseurs.
D’où le nouveau rapport présenté lundi – fruit de la revue d’une centaine de missions. Ses conclusions sont assez similaires à celles établies par le Sénat ou encore tout récemment par l’Inspection générale des finances.
D’une part, les dépenses de conseil des administrations centrales ont significativement augmenté (de 158 millions d’euros en 2020 pour les seules prestations intellectuelles hors conseil en informatique à 232 millions d’euros en 2021).
« Les dépenses de conseil constituent une part minime des dépenses de l’État (0,04 % en 2022) et même de ses dépenses de fonctionnement (0,25 %). Elles ont néanmoins triplé entre 2017 et 2021 », note le rapport rendu public lundi.
« Ce rapport vise à objectiver un débat sur un sujet qui est souvent passionné, et à ce que les consultants restent à leur juste place », a-t-il également indiqué, regrettant que l’ensemble des rapports établis par son institution à ce sujet de longue date aient peu été suivis d’effet. Il s’est, ceci dit, félicité que la circulaire de l’ancien Premier ministre Jean Castex publiée en janvier 2022 ait marqué un net infléchissement dans le volume achats de missions de conseil et dans la coordination des administrations – dont faisait état récemment l’inspection générale des finances.
Mais de nettes marges de progrès sont encore possibles, a plaidé Pierre Moscovici qui a notamment regretté des « flottements et des chevauchements » dans les achats de missions de conseil, et des « inefficiences » dans le pilotage de certains marchés publics.
Pierre Moscovici a ainsi regretté une certaine « méconnaissance des dépenses de conseil » par l’État, et appelle à ce qu’un travail soit conduit sur le sujet pour que ces dépenses soient mieux suivies à l’avenir.
« Je le dis avec netteté, il n’est pas normal que ce genre de missions revienne à des consultants externes »
Avant de tacler, parfois sévèrement, des missions qui témoignent d’un mauvais encadrement des achats de missions de conseil par l’État. « La cour n’a aucune objection de principe quant au recours de l’État à des cabinets de conseil », a-t-il rappelé, listant les conditions qui selon lui justifient que les services ministériels se fassent assister par l’extérieur (besoin non prévisible, besoin de compétence rare…).
Mais des missions sortent clairement de ce cadre, a-t-il indiqué. « La mission pour laquelle le ministère de l’Éducation nationale a passé commande, en 2018, à deux cabinets de conseil (EY, en association avec le BCG), à l’occasion de la réorganisation de la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO), a concerné des tâches ou réflexions qui auraient plus naturellement vocation à être remplies au moyen de compétences internes, par exemple l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) », note ainsi le rapport.
« Je le dis avec netteté, il n’est pas normal que ce genre de missions revienne à ces consultants externes. Ce n’est pas leur rôle. Cela conduit à des doublons et à des pertes de compétences », a insisté Pierre Moscovici.
Même réserve quant à la mission de Roland Berger auprès de l’État sur l’avenir de l’Europe : « La mission commandée par ce ministère (des affaires étrangères, ndlr) en 2021 à un cabinet de conseil (Roland Berger) ne manque pas d’interroger au regard, d’une part, de la nature des prestations à réaliser (réservation d’hébergements et de salles ; tirage au sort et recrutement des citoyens participants ; préparation, animation et synthèse des conférences régionales, puis de la conférence nationale, avec restitution et rédaction du rapport final) et, d’autre part, de leur coût (1,72 M€) », cingle également le rapport.
Autre mission qualifiée d’« anormale » par la Cour des comptes, et dont Libération fait le récit : lorsque, en 2020, le Service d’information du gouvernement (SIG), chargé sous l’autorité du Premier ministre de promouvoir les actions de l’exécutif, fait appel au Boston Consulting Group pour travailler sur un projet qu’il a dans les tiroirs : la constitution d’un « design system », répertoire de composants numériques réutilisables permettant de répliquer des sites Internet officiels. Mission principale du prestataire : aider son client à remplir un dossier de demande de financement auprès du Fonds de transformation de l’action publique, un outil budgétaire créé… par le gouvernement. Pour la mise en relation interne à l’administration, le BCG empoche 70 380 euros.
Des missions jugées illégitimes au sujet desquelles Pierre Moscovici s’est félicité que la circulaire Castex de janvier 2022 ait voulu apporter davantage de cohérence – tout en appelant à ce que cette circulaire soit complétée, au moins à deux égards : distinguer les missions régaliennes et stratégiques, qui ne peuvent pas faire l’objet de missions de conseil ; établir un guide pratique à destination de l’ensemble des administrations pour préciser les conditions et les modalités d’achat de mission. Le rapport appelle ainsi à « compléter la doctrine d’emploi du recours par les services de l’État à des cabinets de conseil ». Demande à laquelle l’exécutif ne semble pas prêt à accéder. Dans sa réponse annexée au rapport, la Première ministre Élisabeth Borne ne juge « pas opportun de définir une doctrine plus fine d’emploi des prestations intellectuelles à un niveau interministériel », la décision devant, selon le gouvernement, plutôt revenir à chaque ministère, note l’AFP.
« Pertes de temps, surcoûts, écarts importants avec les attentes. »
Autre grief que la Cour appelle à corriger : le support juridique privilégié par l’État pour ces achats de conseil, à savoir les accords-cadres à bons de commande plutôt que les accords-cadres à marchés subséquents.
Les bons de commande sont des documents écrits adressés au(x) cabinet(s) titulaire(s) qui précisent celles des prestations, décrites dans l’accord-cadre, dont l’exécution est demandée et en déterminent la quantité. C’est le mode de contractualisation préféré par la Direction interministérielle à la transformation publique (DITP), principal coordinateur des achats de conseil de l’État, notamment pour la rapidité qu’il permet, quand les marchés subséquents obligent à une remise en concurrence des cabinets sélectionnés dans l’accord-cadre.
« L’argument de la rapidité ne saurait être invoqué sans discernement, critique à ce sujet la Cour. La Cour a pu en effet constater que le souci d’aller vite conduit, dans de nombreux cas, à passer commande de manière précipitée, au prix de pertes de temps ultérieures, de surcoûts et surtout d’écarts importants entre les attentes des ministères ou établissements publics commanditaires et les prestations livrées. »
Une scorie juridique parmi d’autres, mineures, que la Cour appelle également à corriger tels que les missions qui démarrent avant la signature en bonne et due forme d’un contrat, ou a contrario de missions qui se prolongent passé le délai initialement prévu.
C’est le cas, a indiqué Pierre Moscovici ce matin – de la mission conduite par Accenture et McKinsey pour aider l’État à couper dans les dépenses de ses opérateurs (mission dont l’attribution avait été contestée en justice).
Cette nouvelle publication de la Cour des comptes n’est pas passée inaperçue au Sénat qui trépigne, plus d’un an après l’achèvement de sa commission d’enquête, de ne pas voir la proposition de loi qu’il a adoptée le 18 octobre 2022 également votée à l’Assemblée nationale.
En ce sens, une nouvelle mission d’information avait été lancée à la chambre basse du parlement début mai. Ses conclusions seront présentées mercredi et, selon les informations de Consultor, devraient acter le début d’un travail plus large sur les achats de conseil des collectivités territoriales.
Pour un des membres de la mission interrogée par Consultor, qui n’a pas souhaité être nommé sur le sujet, « c’est une manière de renvoyer une éventuelle loi sur le sujet aux Calendes grecques ».
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