Les success fees n’ont pas la cote
Le paiement d’une part des honoraires en success fees, autrement dit commissions de succès, est loin d’avoir été généralisé dans le secteur du conseil en stratégie – même si certains cabinets en font leur cheval de bataille. Pour d’autres, son application nuirait à l’objectivité des recos, ou est tout simplement inapplicable quand les conséquences des missions s’étalent sur des années.
On le sait. La mesure de l’efficacité des missions reste un dossier plutôt embarrassant dans le secteur du conseil en stratégie. Un art complexe et sensible auquel les cabinets rechignent à se livrer (relire notre article ici). Alors sur la question de la rémunération en fonction de la réussite des missions, il va sans dire que les cabinets font l’autruche.
Une philosophie pas successful
Bon nombre de cabinets n’ont tout simplement pas répondu à notre sollicitation. Un état de fait que reconnait le syndicat professionnel, Syntec Conseil, par l’intermédiaire de l’un de ses administrateurs, Jean-Marie Hennes (par ailleurs VP de Mars & Co), qui reconnait d’emblée ne pas être un grand défenseur de ces success fees dans le domaine du conseil en stratégie, n’y voyant que peu d’intérêt aussi bien pour les cabinets que pour les clients.
« Cela fait appel à une philosophie particulière. Et c’est effectivement un sujet sensible d’une certaine manière. Une part de success fee est possible lorsque des résultats matériels sont mesurables, comme des économies sur un programme de réduction des coûts, mais c’est beaucoup plus compliqué pour des missions de conseil en stratégie classiques. Par ailleurs, cette notion peut même être contre-productive dans certains cas. Par exemple, lorsque les cabinets aident à évaluer une acquisition en termes stratégiques, nous devons rester libres de dire à notre client si cette acquisition est bonne ou pas sous certaines conditions. Être rémunérés en success fees basés sur la réalisation de l’opération présenterait un fort risque de biaiser le type de recos faites à nos clients », justifie Jean-Marie Hennes. Pour l’organisation professionnelle du secteur, cette problématique n’est tout simplement pas un sujet. Pas d’étude, aucun chiffre, pas de commission de réflexion, pas de définition du taux d’assiette de commission.
Le pari raté de McKinsey
Pourtant, depuis un certain nombre d’années, certains cabinets tels que McKinsey en ont fait leur arme fatale pour gagner des parts de marché, particulièrement dans le secteur public, autorisant officiellement ce type de contrats.
Et un jackpot pour les associés qui peuvent définir les taux de commissions, voire les objectifs à atteindre. La part de ces contrats aurait doublé en 10 ans et représenterait 15 % de l’activité (relire ici).
Mais patatra ! La sulfureuse mission sud-africaine de McKinsey en 2016 pour l’entreprise Eskom en grandes difficultés financières est passée par là. Une mission pour laquelle McKinsey avait signé un contrat public 100 % success fees, d’ailleurs très controversé en interne (selon le New York Times), et des honoraires prévisibles pouvant grimper jusqu’à 700 millions de dollars, et ce, sans appel d’offres. Un pari qui a valu au cabinet un scandale international à rebonds depuis 2017, teinté de corruption et de faramineux montants d’honoraires que le cabinet s’était en partie engagé à rembourser pour éteindre le feu de la polémique.
Le contrepoint 180° de Circle
En France, en tout cas, le success fee reste plutôt marginal dans le conseil en stratégie et connait, selon Syntec Conseil, une très faible évolution. Un courant très général où les voix discordantes sont rares. « Le success fee est souvent vu de façon négative par les cabinets, comme un système de sanction. Les clients commencent à le demander et le voient parfois comme une arme qui permet de taper les mauvais élèves. Mais c’est tout le contraire, le principe du success fee est tout sauf une arme, c’est une alliance. Lorsqu’il y aura problème, on fait plus facilement face et on se parle de façon plus saine, plus franche. Cela génère également quelque chose de plus serein avec les partners qui ont des objectifs précis », défend l’inclassable fondateur de Circle, Augustin van Rijckevorsel (qui préfère se faire appeler Gus).
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Cabinets et clients : même réticence
Peu aimé par les cabinets, ce serait avant tout la faute, d’après les associés des cabinets interviewés, à la spécificité des missions « pure strat », de long terme, pour lesquelles il est quasiment impossible de quantifier le succès.
« Sur le sujet, nous avons une politique très limitée. Un tel plan s’élabore sur trois ans et nos clients commencent à avoir du succès sur deux, trois, quatre ans, et sont très contents sur cinq ans. Il est impossible d’être rémunéré en pourcentage sur le long terme. Et s’il s’agit d’une mission très court terme de réduction des coûts, ce n’est pas très joli d’être rémunéré en success fees », lance Éric de Bettignies, le président fondateur d’Advancy.
Chez Cylad Consulting, également très peu de projets rémunérés en commissions de succès. Plutôt étonnant pour un cabinet positionné avant tout sur des missions de transformation et d’amélioration de la performance de clients issus du secteur industriel. Du quantitatif donc. Et à priori une possibilité intéressante pour les clients de payer en fonction du résultat. Pourtant, dixit les cabinets, les clients ne sont pas pour les success fees.
« Même si nous offrons cette possibilité à nos clients, il s’avère qu’ils choisissent rarement d’en faire usage. La plupart nous connaissent et savent que nous n’avons pas besoin de cette part variable pour mobiliser nos efforts et livrer en extra mile au-delà du livrable », soutient Laurence Massat, directrice associée du cabinet.
Du côté de Mars & Co, peu missionné sur de l’optimisation opérationnelle, cette question se pose non moins rarement. Et lorsque c’est le cas, la réponse est peu ou prou la même. « Certains clients le demandent, des nouveaux clients dans de nouveaux secteurs, mais nous n’y répondons pas favorablement, car nous ne disposons pas d’éléments de mesure objectifs assez performants. Notre véritable success fee, c’est le renouvellement régulier de la confiance de nos clients avec qui nous travaillons de manière continue depuis des années ; le plus ancien d’entre eux date de 1984. Avec eux, il n’y a pas de discussion », pointe Jean-Marie Hennes, vice-président exécutif de Mars & Co.
Savoir prendre des risques
Pour les associés de Circle, en revanche, il serait temps que les cabinets prennent conscience de la nécessité de mettre en place ce type de rémunération en fonction de la réussite de la mission. « Dans les métiers des services, c’est le cas presque partout, à l’instar des avocats, des agents [d’artistes ou de sportifs par exemple – NDLR]. Le problème de notre secteur, c’est que nous avons un métier avec un vernis où le client n’osait pas le demander. C’est assez neuf. Les MBB ont commencé à se faire tacler par des plus petits et ont trouvé des moyens de se différencier. Ce n’est pas un moyen de faire du pas cher, mais de prendre des risques que les autres ne veulent pas prendre », lance Augustin van Rijckevorsel de Circle, qui avec à peine trois années d’existence, propose une part de commission de succès dans quelque 10 % de ses missions. Un système de rémunération en success fee pourtant pas formalisé dans ce cabinet. Du cas par cas, discuté avec le client.
Une question de volonté
C’est même devenu un enjeu d’évolution auprès de nouveaux clients/secteurs qui font appel au secteur du conseil en stratégie. Car ce sont bien les clients qui osent le demander aujourd’hui. Et selon l’associé de Circle, toutes les missions pourraient intégrer ce type de rémunération au succès. Seulement une question de volonté et d’imagination.
« Le success fee, par définition, c’est l’opérationnel qui va le donner en fonction de la validation et de l’application du plan. Sur les missions de strat pure, il y a de nombreux business cases qui permettent de dire si le plan est bon ou pas. Cela force le conseil à être plus humble face aux opérationnels qui sont les mieux placés pour le faire », estime Augustin van Rijckevorsel.
Circle a pour exemple récemment réalisé ce type de mission en rémunération variable dans le cadre d’un plan stratégique de revue complète de l’organisation de son client du secteur des FMCG.
« Notre succes fee était proportionnel à l’intégration de recommandations par les patrons dans leur P&L [compte de résultat – NDLR] qui lui-même influence leur bonus », précise Gus qui a intégré (et touché) 20 % de rémunération en success fees sur ce dossier.
En revanche, toutes les missions ne nécessiteraient pas ce type de rémunération, comme les missions courtes ou celles qui ont des livrables très précis. « La notion de succès est déterminée par un atterrissage sur de grosses et longues missions, ou l’opérationnalité de sujets très importants », estime, à contre-courant, le patron de Circle.
Il faut cependant à ses yeux être en mesure de construire une véritable relation de confiance avec les clients, ce qui n’est pas possible dans 100 % des cas, et de définir en amont des KPI, des indicateurs de performance pertinents en fonction des clients ou des missions.
Des alternatives préférées aux commissions de succès
Avec la confiance comme marqueur chez Advancy, le cabinet a mis au point un autre deal jugé plus performant que les commissions de succès, à la discrétion des clients. « Pour donner confiance aux clients, nous leur proposons de nous donner 20 % de plus à la fin de la mission s’ils sont très contents de notre travail. Et ça marche ! », atteste Éric de Bettignies, dont le cabinet effectue environ 15 % de ses missions avec ce bonus de satisfecit.
Un autre cabinet de la place (qui préfère ne pas être cité) préfère lui le satisfaction fee au success fee. « Il est basé uniquement sur l’avis du donneur d’ordre et de la qualité du rendu de la mission. Ce satisfaction fee, décidé dans le cadre de la discussion du contrat initial à hauteur de 10 % de la rémunération globale, reste à son entière appréciation », détaille l’associé interrogé.
Le boss de Circle assure que le success fee a un bel avenir. Il avance, dans un moyen terme, un ratio de 40 % des revenus d’un cabinet payés à la réussite. Une rémunération plus saine à ses yeux, et qui pousse les cabinets à des recommandations plus justes. « On ne promet plus monts et merveilles. Cela nous oblige à revoir les objectifs et les moyens. Les objectifs sans moyens, c’est comme une caravane sans voiture. Il faut ramener de la responsabilité des cabinets face aux objectifs qu’ils visent », avance Gus.
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