Bob Sternfels, nouveau patron d’un McKinsey à la croisée des chemins
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Dans le round final qui l’opposait à Sven Smit, l’associé hollandais, le quinquagénaire de San Francisco a été préféré par les 650 seniors partners qui votent tous les trois ans pour se choisir un patron mondial. Il prendra ses fonctions le 1er juillet 2021.
Consécration pour Bob Sternfels qui avait été finaliste lors de la dernière élection contre Kevin Sneader, auquel il succède donc. Il est vu comme le directeur des opérations de la firme et considéré comme la personne qui a le plus œuvré à la démultiplication du périmètre d’activité de la firme au côté de Dominic Barton, le prédécesseur de Kevin Sneader.
Bob Sternfels, qui est diplômé de Stanford et d’Oxford, a rejoint McKinsey en 1994. Il a conduit la practice opérations aux États-Unis et les activités de conseil en private equity globalement. Il a également passé six ans à Johannesburg. Il siège au conseil d’administration de QuestBridge, une ONG qui favorise l’accès des personnes modestes aux meilleures institutions d’éducation supérieure, ainsi que dans les instances d’USA Water Polo, l’organisation qui chapeaute les compétitions de water-polo aux États-Unis et est pilote d’avion à titre privé.
Il est préféré à Sven Smit qui, selon le Wall Street Journal, n’aurait pu réaliser qu’un seul mandat du fait d’une règle interne qui prévoit que le managing partner monde doit achever son mandat avant ses 60 ans.
Un nouveau patron dans un cabinet sens dessus dessous
Bob Sternfels prend les rênes d’un cabinet en profond chamboulement qui vient d’infliger un cinglant désaveu à son prédécesseur Kevin Sneader – le premier depuis un demi-siècle à ne pas être reconduit pour un second mandat (Ron Daniel 1976-1988, Fred Gluck 1988-1994, Rajat Gupta 1994-2003, Ian Davis 2003-2009, Dominic Barton 2009-2018 et Kevin Sneader 2018-2021).
Pourtant, Kevin Sneader, le Canadien qui aimait à raconter comment il était rentré chez McKinsey un peu par hasard à la sortie de l’université à Glasgow, avait fait feu de tout bois sur le nécessaire aggiornamento auquel le cabinet devait impérativement se livrer depuis sa prise de fonction en juillet 2018.
Après à peine quelques jours en poste, il se rendait en personne en Afrique du Sud pour présenter des excuses publiques – le cabinet a bénéficié dans le pays de contrats publics via des intermédiaires locaux soupçonnés de corruption.
Dans les mois suivants, alors que les révélations très embarrassantes se multipliaient – une annexe « appelant au paiement de pots-de-vin » dans une présentation remise à Boeing, des missions auprès de régimes politiques autoritaires, des défauts de déclarations de potentiels conflits d’intérêts dans des missions de retournement d’entreprises en difficulté, la participation indirecte du cabinet à l’incarcération d’opposants en Arabie Saoudite, ses préconisations dans le domaine de l’immigration illégale aux États-Unis –, il promettait une grande opération de transparence et s’exposait médiatiquement tous azimuts.
« Pendant des décennies, nous avons entretenu une culture du mystère. Cette mystique n’est plus adaptée aujourd’hui et n’est pas appréciée dans l’opinion. Je peux comprendre ce besoin de changement et je crois que notre firme le sent aussi », avançait-il le 1er mars 2019 sur CNBC.
Plus de transparence et plus de sélectivité dans sa clientèle aussi : désormais tout nouvel encours devrait réussir un front page test, promettrait-il encore au printemps 2019 dans une interview à l'Australian Financial Review. Grosso modo : de quoi toute mission de conseil conduite par McKinsey aurait-elle l’air si elle faisait l’objet de la une d’un journal.
Démultiplication des règles de sélection des clients
Depuis, les règles de vérification de l’acceptabilité de nouvelles missions ont en effet été considérablement étoffées – avec force process. Depuis décembre 2019, les risques associés à toute nouvelle mission, où qu’elle soit conduite, sur quelque sujet que ce soit, qu’elle soit payée ou pro bono, sont passés au tamis d’un outil maison : le CITIO.
En bon français : Country, Institution, Topic, Individual et Operational, autant de dimensions que chaque partner est censé passer en revue avant de dire OK à un nouveau job de conseil. Avec revue de plusieurs centaines d’engagements par le comité risques maison (Client Service Risk Committee, dont l’ancien chef du bureau de Paris est le patron, relire notre article).
Le cabinet a également fait savoir qu’il n’adresserait plus des institutions de défense, de renseignement, de justice ou de police dans des pays antidémocratiques (cf. le rôle joué par McKinsey en Angola, relire notre article). De même que des missions pour des partis politiques, des groupes de plaidoyer politique ou des élus.
Kevin Sneader, un réformateur pris en grippe
Ces nouvelles règles ont eu un triple inconvénient : elles n’ont pas permis de tarir la parution de nouvelles polémiques sur la nature des missions effectuées par le cabinet (son rôle dans une mission-fleuve au sein de la prison new-yorkaise géante de Rikers Island ou dans l’accord migratoire entre l’Union européenne et la Turquie).
Elles ont eu le don d’agacer nombre des 2 600 associés mondiaux de la firme qui sont attachés bec et ongles à leur périmètre de business (chacun génère en moyenne 4 millions de dollars du total de 10,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires estimé par Forbes en 2019). « Tout le monde n’aime pas les réformateurs et tout le monde n’aime pas quand de nouvelles règles sont instaurées », a par exemple indiqué anonymement un senior partner au Wall Street Journal.
Dernier inconvénient et pas des moindres : ces nouvelles règles n’ont pas permis d’éviter non plus le paiement d’une retentissante indemnité en réparation d’une décennie de conseils aux fabricants d’opioïdes (relire notre article).
Ce deal avec la justice américaine a été mal vécu en interne, d’autant plus qu’il a été finalisé et officialisé simultanément à l’élection chez McKinsey. Comme si un homme politique poussait un texte de loi très impopulaire seulement quelques jours avant une élection, indique-t-on en interne dans les colonnes du Wall Street Journal.
Selon le quotidien économique, plusieurs associés, surtout en dehors des États-Unis, se sont opposés à l’accord, s’interrogeant pour quelles raisons l’entreprise ne se défendait pas davantage et pourquoi elle acceptait de payer autant alors qu’elle ne reconnaissait aucune faute. D’autant plus accablant pour Kevin Sneader qu’il était cloué au sol par la crise du covid et qu’il ne pouvait pas voler aux quatre coins du globe pour en expliquer de visu les tenants et les aboutissants de l’accord.
Les douze travaux de Bob Sternfels
C’est donc peu dire que Bob Sternfels a du pain sur la planche.
Les défis devant lui sont immenses.
Bob Sternfels a pour défaut d’avoir été associé de près à la gestion d’un certain nombre des dossiers chauds que Kevin Sneader a eu à solder. Il a notamment témoigné en justice dans le contentieux qui oppose McKinsey à Jay Alix, le fondateur éponyme d’AlixPartners qui reproche à McKinsey de ne pas se conformer aux règles déclaratives prescrites par la législation américaine sur les faillites.
Il aura fort à faire en matière de transparence, tant vantée par Kevin Sneader mais peu réalisée effectivement. À commencer par la composition de ses instances de direction (Bob Sternfels est membre du shareholder council, le conseil d’administration mondial) ou de la communication d’un niveau d’activité annuelle, deux indicateurs basiques que le cabinet ne publie pas.
C’est peut-être le plus gros chantier : expurger l’entreprise de tous les éventuels cadavres qui y traîneraient encore. Il passerait aussi par le départ d’une partie de ses associés, les plus anciens. Ils sont les moins enclins à un exercice de transparence de grande ampleur, quand les plus jeunes considèrent majoritairement que les efforts d’ouverture ne sont pas allés assez loin.
Certains proposent de mettre un terme au modèle du partnership pour ouvrir le capital à de nouveaux investisseurs qui seraient autant de vigies, voire de faire entrer McKinsey en Bourse, avec toutes les obligations de publication qui vont avec.
Il y a aussi le défi de la croissance : les revenus de la firme ont doublé en dix ans et sont passés par une foultitude d’acquisitions. Ian Davis, le MD entre 2003 et 2009, estime a posteriori qu’il a probablement été le dernier à connaître personnellement l’ensemble des associés. Un contexte de forte croissance dans lequel l’effort de centralité auquel Kevin Sneader s’est livré n’est pas une mince affaire, surtout avec, encore une fois, une forte culture d’indépendance des associés.
Le défi des honoraires octroyés à la performance (15 % du total selon The Economist) se pose aussi. Leur part a doublé en dix ans (selon le Financial Times). Ils ont pour conséquence que les partners McKinsey d’aujourd’hui sont nettement plus riches que leurs prédécesseurs. Ils augmentent les tentations de rogner sur les valeurs.
Enfin, le défi de l’impact des scandales à répétition auprès des recrues et des clients. Kevin Sneader se voulait rassurant en indiquant au Financial Times que le cabinet venait de « réaliser sa meilleure année de recrutement » et « a perdu très très très peu de clients ».
Mais prudence : quand l’implication du cabinet dans le scandale des opioïdes a fait jour, un CEO américain avait demandé un entretien en tête-à-tête avec Kevin Sneader pour lui faire savoir qu’il considérait que le cabinet était en deçà des standards qu’il mettait en avant et souhaitait mettre en pause la collaboration de son entreprise avec la firme.
Sans actions résolues de Bob Sternfels sur ces points, il n’est pas à exclure que ce genre d’épisodes se reproduisent à l’avenir.
Benjamin Polle pour Consultor.fr
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