IA, digital : le début de la fin des jours-hommes dans le conseil ?

Les coûts et les gains de productivité induits par l’intelligence artificielle vont-ils conduire à une refonte des modèles de tarification des missions de conseil en stratégie et une évolution de la relation aux acheteurs ? Pour certains, que nenni. Pour d’autres, évidemment. Entre deux, plusieurs cabinets s’interrogent.

Benjamin Polle
16 Fév. 2024 à 12:00
IA, digital : le début de la fin des jours-hommes dans le conseil ?
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La sonnette d’alarme a été tirée par Marie Guillemot, la présidente du directoire de KPMG, dans les colonnes des Échos le 16 janvier dernier. Au moment de rendre publics les résultats de l’exercice 2022-2023 bouclé en septembre, celle qui est aux manettes du Big Four depuis avril 2021 avertit : « Nos facturations n’intègrent pas les énormes investissements informatiques que nous sommes en train de faire sur le big data et l’IA et qui sont comptabilisés en charges. En 5 ans, on a consacré 5 milliards au niveau mondial dans le développement des outils, mais aussi beaucoup en formation », affirme-t-elle.

Facturer le recours à de la technologie, et plus seulement des jours-hommes

Ces investissements de KMPG ne sont pas sans conséquence sur sa rentabilité qui a fondu d’un point en quelques années. La dirigeante explique que les prestations ne sont plus aujourd’hui uniquement des interventions humaines, mais de plus en plus des résultats d’analyses de données, des simulations. Et Marie Guillemot de prévenir : le cabinet cherche maintenant sur certaines missions de conseil très technologiques à ne plus négocier un taux horaire, mais un forfait global.

Chez KPMG, personne ne précise les contours possibles de cette nouvelle tarification, le nombre de missions qui pourraient être concernées et sa faisabilité réelle vis-à-vis des clients. Tout juste chez KPMG, un partner glisse-t-il à Consultor que, en effet, un groupe de travail interne au cabinet est en cours sur le sujet.

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À la concurrence, tous ne voient pas les choses de la même manière.

Pour certains, une refonte de la facturation avec un volant techno est encore lointaine. « J’ai suivi de près ce qu’a déclaré Marie Guillemot. Pour le moment, nos clients nous achètent exclusivement des jours/hommes et challengent nos devis sur cette base. Mais, peut-être que demain, avec d’autres outils embarqués dans les missions, cette tarification pourra évoluer », se projette Matthieu Maudelonde, directeur chez Avencore, en charge de l’IA et du digital au sein du cabinet.

C’est déjà en partie le cas pour certaines missions et avec certains outils d’intelligence artificielle. Le cabinet embarque en effet dans la réalisation de certaines prestations des outils conçus par Dassault Systèmes qui permettent d’automatiser les processus achats des clients d’Avencore.

Ce fut le cas encore tout récemment pour une mission de réduction des coûts d’achat conduite par le cabinet en Allemagne : « L’outil permet d’analyser l’ensemble des dépenses adossées à des données techniques. C’est un gain significatif par rapport à ce que des consultants pourraient réaliser, en y passant des semaines. Dans ce cas, le prix de la mission a été fixé en fonction d’un pourcentage des gains générés. Il n’y a pas eu de considération de jours-hommes », détaille le partner.

Dans ce cas, la discussion commerciale est facile, car « le client y voit un intérêt. Plus il gagne, plus on gagne ». C’est l’esprit, en quelque sorte, des honoraires aux résultats qui sont une pratique ancienne dans le secteur.

Ce n’est pas le cas sur tous les sujets et avec tous les outils. « Un autre outil de Dassault Systèmes permet de nous assister dans l’écoconception industrielle et d’arbitrer entre différents impacts environnementaux. Mais, dans ce cas, vendre aux clients un certain nombre de jours-hommes et une partie de l’outil sont une discussion plus difficile à avoir avec le client », indique Matthieu Maudelonde.

Chez Singulier, la culture du forfait semaine décorrélé du temps et des équipes

D’autres cabinets vont plus loin. C’est le cas de Singulier, ainsi que l’explique à Consultor son CEO et cofondateur Rémi Pesseguier : « Du fait de la variabilité des modes d’intervention requis par les missions que nous réalisons et la multiplicité des profils impliqués, nous ne travaillons pas au TJM (taux journalier moyen), mais à la task force à la semaine. »

Au croisement des secteurs traditionnels du conseil, de la tech et de la data, Singulier collabore principalement avec des fonds d’investissement – qui sont déjà habitués à des prix d’achat de conseil à la semaine – dont l’objectif est la transformation digitale de leur participation. Le cabinet est donc potentiellement directement concerné par des surcoûts de production des missions de conseil évoqués par Marie Guillemot.

Et pour Rémi Pesseguier, sur ces sujets, « un modèle où l’on dit que la mission sera réalisée par une équipe donnée, sur une durée donnée et pour un coût donné, est trop rigide. Premièrement, car souvent, en cours de route, on réalise qu’il est nécessaire de faire intervenir un designer ou un ingénieur data en plus pour créer de la valeur tangible. Deuxièmement, car ces sujets impliquent le développement d’actifs digitaux qui sont décorrélés de la durée des missions vendues et que nous devons pourtant amortir dans nos prix de vente ».

D’où le modèle du forfait-équipe vendu par Singulier. « C’est un modèle que nous avons adopté dès nos débuts et que nous avons renforcé avec le temps », appuie son fondateur.

Le prérequis, des clients ouverts à moins de transparence sur la composition du prix

Il implique que les clients paient un montant global sans nécessairement de transparence sur le coût de chacun des membres de l’équipe. « J’aimerais donner aux clients davantage de visibilité à ce sujet, mais ce serait déjà rentrer dans une négociation sur des prix à la personne, sur les expertises nécessaires, sur la séniorité des profils, et retomber dans des équipes et des tarifs figés non adaptés en termes d’agilité aux enjeux de transformation digitale. Nous leur expliquons que nous revoyons le casting de la mission chaque semaine, que nous collons à leur besoin avec les bons profils, et globalement cela est accepté – même si initialement cela nous a demandé un effort de pédagogie », défend Rémi Pesseguier.

Un modèle de facturation qu’il sera probablement difficile de répliquer à tous les sujets et pour tous les cabinets, selon Florian Leloup, un ancien de Roland Berger et Kearney et à présent CEO de BestConsultant, une application de gestion utilisée par les cabinets de conseil notamment pour la facturation : « Le mode de fonctionnement d’un cabinet de conseil est de faire du sur-mesure. Proposer une sorte de catalogue de services leur est très dur, d’autant plus qu’en face les directions achats visent à retirer des propales tout ce qu’elles jugent inutile. Peut-être que lorsque des clients achètent une prestation de conseil pour la marque du cabinet qui la réalise accepteront-ils au cas par cas que le prix et la prestation soient décorrélés. »

Ce qui dans le cas de Marie Guillemot et de KPMG pourrait fonctionner ponctuellement. Ailleurs, pas si sûr que les choses puissent évoluer si vite.

Chez Avencore par exemple, plusieurs personnes sont actuellement recrutées au sein du master de Polytechnique et de HEC sur les data sciences appliquées aux affaires, avec l’ambition de structurer l’offre future du cabinet en fonction de l’évolution des outils d’intelligence artificielle. Aucune modification significative du modèle d’affaires historique n’est envisagée à court terme.

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Benjamin Polle
16 Fév. 2024 à 12:00
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2024-02-15 07:51:53
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