Philippe Pruneau : des bancs du conseil à ceux du Stade Français
Il a été l’un des partners historiques du bureau parisien d’OC&C après avoir intégré celui de McKinsey à ses débuts. Philippe Pruneau, retiré du conseil depuis 2021, nous parle de son parcours, de ses réflexions, et de son nouveau rôle d’entraîneur bénévole pour les jeunes rugbymen du Stade Français. Portrait.
Petit-fils d’ouvriers, Philippe Pruneau grandit dans les anciennes régions sidérurgiques du Grand Est. Après des études d’ingénieur à l’École des Mines de Nancy, dont il sort diplômé en 1977, il obtient une bourse pour partir étudier aux États-Unis l’année suivante. À son retour en France, il passe cinq ans chez Peugeot, près des usines mères de Franche-Comté. Mais le jeune ingénieur se remémore alors son voyage outre-Atlantique : « Après avoir goûté à la vie à l’étranger, j’aspirais à autre chose qu’à rester scotché à Sochaux-Montbéliard. J’avais envie de changement, et j’ai découvert qu’on pouvait faire un MBA. »
Il intègre l’INSEAD en 1984 et reçoit une offre d’emploi de McKinsey dès sa sortie d’école, mais le cabinet est encore loin de son heure de gloire. « C’était un métier totalement confidentiel. Le bureau de Paris, qui avait été plus gros dans les années 1970, était retombé à 20 personnes. BCG en annonçait 40 – dans ce métier-là, ça veut dire qu’ils étaient 30, ironise-t-il. Et François Chailloux arrivait de Londres pour ouvrir le bureau de Bain. On était très peu nombreux, seulement quelques dizaines. »
Après cinq ans comme manager, Philippe Pruneau se lasse des missions de stratégie de portefeuille. Il prend la tête d’une petite équipe au sein de l’entreprise Strafor Facom, spécialisée dans le mobilier de bureau, alors économiquement affaiblie par la première Guerre du Golfe. Puis, après avoir été approché par des anciens de McKinsey, il rejoint l’un des premiers fonds de private equity d’Europe et dirige successivement plusieurs PME.
La grande aventure OC&C
C’est son ancien collègue et ami, mais aussi fondateur du bureau parisien d’OC&C, Philippe Kaas, aujourd’hui décédé, qui le ramène durablement au conseil : « Au début, je n’en avais pas vraiment envie : mais je me suis rendu compte que c’était un business intéressant, et surtout que mes expériences passées – notamment celle de chef d’entreprise – pouvaient me servir. »
Le cabinet britannique compte alors trois bureaux : Londres, Paris et Rotterdam. Séduite par le modèle, une équipe allemande rejoint l’aventure : « On a inventé un partenariat très informel, sans structure centrale. Ça a donc ramené beaucoup de gens, se souvient Philippe Pruneau. Tout le monde nous a dit que ça ne marcherait jamais, que ça ne durerait pas plus de trois ans. En fait, ça a tenu très longtemps. Précisément parce que c’étaient des gens qui s’étaient cooptés. »
Le jeune partner prend part à la success-story pendant 19 ans. Il garde une sensibilité pour les missions de stratégie industrielle, « peut-être un lien inconscient » avec son décor familial. Le développement d’OC&C s’intensifie : le bureau atteint 30, 40 puis 50 partners dans les années 2010. C’est en partie ce qui pousse Philippe Pruneau à revendre ses parts [à Julia Amsellem, devenue ensuite partner chez EY-Parthenon, ndlr], et à fonder son propre cabinet de conseil, Crescenda. Mais c’est aussi ce qui explique selon lui la chute du bureau à partir de 2013, le nombre de partners étant devenu trop important.
« Une fois le cap fatidique des 30 partners dépassé, c’est devenu beaucoup plus difficile à gouverner, lance-t-il. Les liens interpersonnels ayant disparu, trois bureaux de suite ont cédé aux propositions de rachat. » La première vague de rachats par Oliver Wyman est rapidement suivie par plusieurs offres d’EY-Parthenon, qui signe la fermeture du bureau parisien en 2017.
« Il fallait sauver le navire »
Philippe Pruneau, qui continue à effectuer des missions en tant qu’indépendant, dit alors « s’ennuyer profondément. Ce que j’aimais, c’étaient les équipes ». Son vœu est exaucé lorsqu’il est contacté par ses anciens collègues du bureau de Londres : « Ils m’ont proposé de rouvrir Paris avec eux. Et j’ai dit oui tout de suite. » Pourquoi une telle absence d’hésitation, après avoir revendu ses parts ? « J’avais passé 20 ans à monter ce projet, répond-il. On avait réussi à en faire quelque chose qui plaît, avec des clients et une bonne réputation. Je ne pouvais pas le laisser disparaître. »
Le bureau 2.0 d’OC&C Paris conserve la même structure, et s’oriente davantage vers le corporate et les missions de private equity, aux dépens d’une approche moins sectorisée. « C’est l’influence de Londres », pour Philippe Pruneau, qui se charge alors de recruter ses successeurs. « On a assez facilement embauché : en 24 mois, nous étions 24 » plaisante-t-il, se réjouissant de la croissance rapide du bureau, qui s’est poursuivie en 2021. Et pour cause : « Les partners que j’ai recrutés sont très bons ! » lance fièrement le senior partner, dont les deux principaux recrutements sont François Rousseau, ancien de Bain et de Kearney et chargé des missions industrie et BtoB, ainsi que Stéphane Blanchard, passé par Roland Berger et Monitor Deloitte, spécialisé dans le PE et la brand conso.
« Plus de contact avec la réalité »
Depuis sa retraite en octobre 2021, Philippe Pruneau dit avoir pu prendre du recul sur le secteur du conseil, dont les mutations ont été nombreuses depuis son arrivée dans les années 1980. « Ce qui me frappe le plus, ce sont les affaires McKinsey. » En tant qu’ancien de la maison et ancien concurrent, il se dit frappé par l’impunité qui règne : « Il y’a une sorte de “Goldman-Sachsisation”, beaucoup passent entre les gouttes. Ça ne me paraît pas sain. »
Comment un jeune consultant peut-il alors se sortir de l’« indécence » qu’il dénonce ? « Le seul conseil que j’ai à donner, c’est de rester honnête intellectuellement. Ce n’est pas facile, parce qu’il y a beaucoup de choses qui peuvent pousser à ne pas l’être, avertit-il. Dans ce boulot, c’est important de faire le tri entre l’essentiel et le reste. Si on conserve une honnêteté intellectuelle et qu’on s’interdit d’être aigri, je pense qu’on peut continuer à faire ce métier très longtemps. » C’est d’ailleurs ce qu’il dit être parvenu à faire avec sa femme, Karine Pruneau, qu’il a rencontrée lorsqu’il était en poste chez OC&C, depuis devenue directrice générale de Zehnder Group France.
Du goût pour le conseil à l’amour du ballon ovale
S’il a quitté sa profession de partner, Philippe Pruneau continue à agir quotidiennement. Depuis six ans, il exerce en tant qu’entraîneur bénévole pour les jeunes rugbymen du Stade Français. D’abord guidée par la passion – l’ancien consultant ayant pratiqué ce sport toute sa vie –, cette décision s’est vite transformée en engagement personnel. « Le premier évènement du club auquel je suis allé, c’est l’enterrement d’un jeune de 18 ans qui est mort sur un terrain, confie-t-il. Contrairement à ce que dit la fédération, ces circonstances n’ont rien à voir avec la fatalité. »
Frappé par la multiplication des actes de violence dans ce sport, il décide alors de conjuguer son nouveau rôle d’éducateur avec ses anciennes compétences de consultant : « Je me suis mis à la recherche de réponses, car rien n’est fait en France. C’est là que le métier du conseil a servi : j’ai commencé par regarder les choses factuellement, car s’il y’avait un problème, il y avait peut-être des solutions. » Philippe Pruneau adopte ainsi la même méthode que pour ses anciens clients : par des calculs, des tableurs Excel, des articles de recherche, des rencontres avec des professionnels du sport et du domaine médical, il s’est interrogé sur les moyens de faire bouger « un système aussi inerte que la FFR ».
Même si les tragédies successives (morts ou mutilations) ont permis des déclarations officielles qui se veulent aller dans le bon sens, les mesures prises ne sont pas suffisantes pour Philippe Pruneau. Il recommande dans un récent article LinkedIn, non seulement l’interdiction des rucks [mêlées ouvertes, ndlr] pour les moins de 16 ans, mais aussi la mise en place de formations (pour tous les acteurs, des formateurs aux joueurs en passant par les arbitres) et de grades de maîtrise, permettant de moduler les contacts autorisés selon le grade obtenu par le joueur. Tout cela en gardant un principe en tête, qu’il employait déjà en tant que consultant : « Ne provoquera le changement que les gens qui y trouveront vraiment un intérêt. »
« Quand on termine une carrière comme la mienne, on se demande ce qu’on a fait d’utile. Et ce qui est utile dans ce qu’on sait faire, résume-t-il. Même si je crains de ne pas parvenir à provoquer un changement, j’aurai au moins fait passer des choses. Quoiqu’à force de s’obstiner, on y arrivera peut-être. »
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