Piloter Canal+ puis les PagesJaunes à 30 ans : les vertus d'une case conseil à rallonge
D’abord consultant en stratégie chez Bain, Julien Ampollini a fait le choix, quelques années plus tard, de rempiler au BCG, où il est devenu manager, avant de prendre la direction de la stratégie de Canal+ et des PagesJaunes (Solocal).
Une expérience durant laquelle il veille à rester polyvalent, car il rêve déjà, en secret, de lancer sa propre entreprise. Ce qu’il a fini par réaliser en 2017, bien plus tard que prévu.
« Des rencontres et beaucoup de travail » : voici ce qui pourrait résumer la carrière professionnelle de Julien Ampollini, l’actuel CEO de Funbooker, la jeune pousse spécialisée en réservation d'expériences et d'activités de loisirs sur Internet (anniversaires d’enfants, team building pour les entreprises…) qu’il a cofondée en 2017, et dont Wonderbox, le spécialiste des coffrets cadeaux va devenir peu à peu l’actionnaire de référence, après une levée de fonds de trois millions d’euros.
« Nous avons créé Funbooker, il y a trois ans, avec nos fonds propres et l’aide de business angels, nous cherchions donc des partenaires, cette levée de fonds était prévue », poursuit l’entrepreneur. Ce qui l’était un peu moins, c’est qu’un partenaire industriel souscrive intégralement à la levée de fonds, et devienne ainsi le nouvel actionnaire de référence. « Nous sommes ravis ! » s’enthousiasme Julien Ampollini, qui inscrit toujours son action chez Funbooker dans la durée.
Un formidable accélérateur d’expertise
Il s’agit là pour la jeune pousse française d’une vraie opportunité d’élargir son offre, avec potentiellement l’occasion de sortir de l’Hexagone. « C’est parfait pour notre plan de marche », souligne l’ex-consultant en stratégie, passé par Bain et le Boston Consulting Group. « L’arrivée de Wonderbox va être un formidable accélérateur d’expertise » puisqu’elle devrait permettre à Julien Ampollini de voir grandir un concept qu’il porte en lui depuis très longtemps. « Près d’une vingtaine d’années », précise celui qui cultive depuis ses débuts sa « fibre entrepreneuriale ».
Et de se livrer : « Diriger un grand groupe, je trouve cela admirable, mais c’est à l’opposé de ce qui me procure du plaisir dans le travail. J’aime rester proche de l’action, être au contact. J’aime tout ce qui est manœuvrable et agile. » Une conviction personnelle qu’il a su mettre en actes et éprouver depuis trois ans aux côtés de ses deux associés avec la fondation puis le développement de Funbooker.
Un lycéen « sans ambition particulière »
À 46 ans aujourd’hui, Julien Ampollini ne s’est toujours pas départi de l’enthousiasme de sa jeunesse, ni de ce léger accent fleurant bon les calanques de Marseille. Normal, il a passé dans la cité phocéenne les dix-sept premières années de sa vie. « Élevé dans une famille aimante et bienveillante » comme il la définit lui-même. Sa mère était institutrice, son père architecte.
Rien ne prédestine alors au tournant des années 1980-1990, le lycéen « sans ambition particulière » à embrasser une carrière de consultant en stratégie. « Je ne connaissais pas ce genre de parcours », sourit-il près de trente ans après.
Une première rencontre décide de ses études. C’est José Bartolomeï, le proviseur du lycée Lacordaire, une figure à Marseille, qui le pousse à faire une prépa pour intégrer une école de commerce. Son bac C en poche, ce sera Stanislas, à Paris. Débute alors une année d’internat, loin de la Méditerranée. « On parle beaucoup des efforts, et de l’intensité du travail qu’il faut fournir en prépa. Moi, je me souviens surtout de mes rencontres. »
Une année d’ouverture et une véritable aventure humaine, confie-t-il, durant laquelle il se forge des amitiés pour la vie, dont beaucoup de celles qu’il fréquente encore aujourd’hui. « On vient de faire un pot entre anciens, on était encore plus d’une vingtaine ! » se réjouit-il.
Après « Stan », Julien enchaîne trois ans à HEC, de 1992 à 1995. « HEC ? J’ai vraiment découvert ce que c’était en prépa, révèle-t-il. Mon ambition étant alors d’organiser des soirées en école de commerce, et de retourner faire de même sur les bords de la Méditerranée. » Le destin en décidera autrement… Car, à HEC, Julien découvre un environnement « incroyable, avec des gens extraordinaires », où il se fait, là encore, beaucoup d’amis. « Ce sont des années de découvertes structurantes », souligne-t-il.
Un premier tour du monde
Au sortir de HEC, alors que ce n’est pas encore la mode, il décide, avec un ami, de réaliser son premier tour du monde. « On avait acheté les billets à Londres », se souvient-il. L’aventure dure six mois. « Une expérience que je me suis juré de réitérer le jour où je rencontrerai la femme de ma vie. »
Mais, avant cela, il rejoint New York, en 1995, pour effectuer son service militaire en tant que coopérant pendant deux ans chez LVMH comme assistant des marques Dom Pérignon et Moët & Chandon. « Une façon assez festive de servir la France », savoure-t-il encore.
En 1997 vient l’heure des choix, avec la possibilité de continuer l’aventure chez LVMH à l’international. Mais Julien préfère rentrer en France pour parfaire sa formation. Car, estime-t-il encore bien des années plus tard, « il me manquait certaines techniques de base, des éléments de bagage, que je n’avais pas encore acquis, avant de pouvoir me sentir autonome. En ce sens, le conseil en stratégie est la meilleure des formations que je connaisse ».
Le conseil : la meilleure des formations
Parmi les trois offres qui lui sont alors faites, il rejoint les équipes de Bain. Car il accroche tout de suite : « J’ai eu un excellent fit. » Il y restera deux ans et demi, et s’occupe de private equity comme de fusion/acquisition. « Certainement les deux années de ma vie où j’ai le plus bossé et le plus appris ! » se remémore l’ancien consultant.
Il fait alors des rencontres déterminantes, notamment celle d’Olivier Marchal : « Julien est fidèle en amitié : il n’a passé que deux ans chez Bain il y a 20 ans et nous sommes toujours en contacts très réguliers », commente l’actuel patron du bureau en France.
Il y eut aussi Olivier Duha, le fondateur, et l’actuel président de Webhelp, qui, en 2017, sera parmi les business angels qui épauleront Julien Ampollini lors de la création de Funbooker.
Il y a aussi Jean-Pierre Rémy, « l’un des traits d’union entre plusieurs de mes expériences professionnelles ». « Depuis 15 ans, Julien avait en tête de faire Funbooker et retardait son projet passionné par ceux que nous poursuivions ensemble, mais il a fini par craquer ! », s'amuse Jean-Pierre Rémy, qui fut partner chez Bain de 1993 à 2000.
Mathieu Quéré, l’ex-patron de Buffalo Grill, ou encore Denis Villafranca, partner au sein du fonds de private equity Bridgepoint comptent également parmi ces rencontres structurantes. Comme il le pressentait, ces deux ans et demi passés chez Bain sont une période extrêmement formatrice pour Julien, « des années passionnantes ! » livre-t-il.
Apprendre à travailler vite et bien
Le CEO de Funbooker garde notamment en mémoire ses missions de conseil en private equity. « Où, il nous fallait, en à peine quelques jours, reconstituer un secteur, peu ou pas du tout documenté, et nous créer une grille de lecture, déterminer les points clés, les sous-jacents, les ressorts d’un marché, envisager ses dynamiques… » Une excellente école pour acquérir le sens du business, « apprendre à gérer son temps, et travailler vite et bien ».
De cette période, Julien se rappelle en particulier d’avoir recomposé entièrement, en seulement une semaine, le business d’un opérateur mobile. « On a travaillé 24 h/24 ! » jure-t-il. Il enchaîne alors les missions, dans des secteurs aussi variés que les profilés en aluminium, l’éditing, le conseil audiovisuel… « Le plus dingue, c’est cette capacité qu’on devait avoir pour se forger une conviction dans des laps de temps aussi courts, avec, parfois, une bonne dose de système D », sourit-il.
Il quitte Bain au moment de la vague Internet, pour rejoindre, un ami, rencontré chez Bain, et un partner, Jean-Pierre Rémy, parti quelque temps plus tôt pour monter « un projet qui tient sur deux feuilles A4 ». « Un an et demi après, je montais un plateau de services clients d’une centaine de personnes à la Défense ! » se souvient Julien Ampollini.
Ce sera l’aventure Egencia, le spécialiste des voyages d’affaires en ligne, qui sera finalement racheté par Expédia, mais résistera à la bulle Internet. Une expérience de la réservation en ligne chez Egencia qui lui servira, en 2017, au moment de créer Funbooker. « À cette époque, j’ai déjà en tête de me lancer dans l’univers des loisirs. Mais, heureusement, je n’y vais pas, car le marché n’est pas encore prêt », souffle-t-il vingt ans plus tard.
Un second tour du monde
En 2001, Julien rencontre celle qui deviendra sa femme et la future mère de ses trois enfants. Comme il se l’était promis, il effectue donc, avec elle, son second tour du monde. Prévoyant toutefois, il décide, avant de partir, de sécuriser son retour, en repassant par la case conseil pour une période de transition. « J’imaginais quelques mois, je suis finalement resté au BCG plus de sept ans ! » Le BCG parce qu'il avait vécu une expérience à ce point positive chez Bain qu'il avait peur d'être déçu par un come-back.
Manager au BCG, Julien retrouve « la même obsession de la qualité ». Et, de souligner : « Le BCG est sans doute plus institutionnel, moins entrepreneurial. Mais il y a une grande proximité dans les modes opératoires. »
Rester polyvalent
Julien veille à rester polyvalent alors qu’on l’exhorte, à l’époque, à se spécialiser. « J’ai toujours eu la conviction que je ne ferai pas ma vie dans le conseil en stratégie, c’est pour cela que je me suis astreint à rester généraliste, alors qu’on me poussait à me spécialiser. J’ai quasiment alors tout fait : des missions de retail, de l’assurance, des services, du food… »
Parmi les rencontres qui le marquent, celle de Sylvain Duranton, l’actuel senior partner & managing director du BCG en France. « C’est quelqu’un d’inspirant dans la manière de penser son métier et d’accompagner », souligne Julien Ampollini.
Pour autant, sa conviction est déjà faite. « Ça a toujours été très clair dans ma tête. Dans le conseil en strat’, on rencontre des gens formidables, de très grande qualité, des savoir-faire exceptionnels. On réalise des missions passionnantes, sur des sujets stratégiques, des plans de croissance, de réorganisation, des fus-acq… C’est un concentré d’expériences extrêmement riches et denses, une excellente école de la prise de décision. Mais, finalement, on ne crée rien. C’est un exercice extrêmement stimulant intellectuellement, et je comprends qu’on y consacre sa vie. Mais j’ai toujours eu envie de faire par moi-même, de me confronter au réel, de prendre le manche, d’être en première ligne. »
Se confronter au réel
Se confronter au réel, Julien l’effectue en rentrant au Comex de Canal+ en tant que directeur de la stratégie en mai 2007. Il a alors seulement 32 ans. C’est une mission pour le BCG au moment de la fusion avec TPS qui lui ouvre les portes. « C’est un très grand honneur que m’a alors fait cette équipe », se souvient-il. Une dream team qui regroupe autour du président du directoire Bertrand Meheut, Alexandre Bompard, son directeur de cabinet, Rodophe Belmer, DG, Julien Verley, DGA, Frédéric Mion, secrétaire général... « Je n’ai jamais vu une équipe aussi complète, de ce niveau-là, maîtrisant à ce point toutes les dimensions : business, politiques, réglementaires, de communication, et l’aspect création, bien sûr. Un cocktail unique que je n’ai retrouvé, sans jeu de mots, nulle part ailleurs. » À Canal+, Julien développe notamment la diversification, avec le déploiement à l’international, en Afrique et Pologne. Ce sont aussi les premières étapes de la digitalisation du groupe (VOD, SVOD).
Mais aux strass et aux paillettes de Canal, Julien préfère bientôt un autre challenge, celui de redresser les ex-Pages Jaunes, qui deviendront bientôt Solocal. « Je n’ai pas pu résister à l’appel du pied de mon ancien partner chez Bain, Jean-Pierre Rémy. Tout y était à réinventer dans un environnement très compliqué, sur fond de LBO mal ficelé. »
De décembre 2009 à avril 2017, Julien Ampollini y occupe les postes de directeur de la stratégie, des grands comptes, avant de terminer patron du pôle média (PagesJaunes, Mappy, ComprendreChoisir...). « J’ai adoré toute cette période et ces missions, car elles m’ont permis d’appréhender la même réalité sous des angles très différents. Ce qui donne de la perspective et se révèle être une très bonne école de l’humilité. » Des fondamentaux pas très éloignés finalement du conseil en stratégie, avec cette dimension opérationnelle et entrepreneuriale, en plus.
Un alignement des planètes
La réussite du refinancement de Solocal (plus de 400 millions d’euros) au début de l’année 2017 signe la fin de l’aventure pour Julien. « J’avais pris un engagement, et j’ai voulu m'y tenir. Je suis parti trois mois plus tard pour fonder cette “vieille idée” que je portais avec moi depuis très longtemps. »
Comprendre, bien sûr : Funbooker. Et, de poursuivre : « C’est comme s’il y avait eu un alignement des astres cette année-là, avec une évidence stratégique, d’un gros marché en croissance, et en retard de digitalisation. Tout était réuni pour que ce secteur commence enfin à prendre son essor, et de notre côté, nous étions trois associés complémentaires prêts à s’engager ensemble pour cette aventure », conclut l’entrepreneur, avant de nous livrer ce dernier conseil, pour celle ou celui qui voudrait suivre ses pas.
« Avant tout bien s’entourer, et travailler dur ! La valeur travail en a pris un sérieux coup ces dernières années. On a parfois eu tendance à vouloir faire croire, à beaucoup, qu’il suffisait d’avoir une idée, un baby-foot et de lever de l’argent pour réussir. J’invite ceux qui seraient tentés d'y croire à regarder les statistiques de mortalité des “boîtes à baby-foot”. C’est édifiant. Certes, il faut avoir de la chance, rencontrer les bonnes personnes au bon moment… Mais je ne connais personne qui ait réussi sans avoir travaillé. » Clairvoyant.
Étienne Thierry-Aymé pour Consultor.fr
Crédit photo : 31 mai 2012 Daniel Rodet — Boulogne-Billancourt CC BY-SA 3.0
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