Programme d’économies de l’État : la justice confirme le choix de McKinsey par Bercy
Au tribunal administratif de Paris, le tandem TNP-Buying Peers demandait l’annulation d’un marché de conseil visant à accompagner les dépenses d’achats des opérateurs de l’État attribué, injustement selon les deux cabinets, à McKinsey et EPSA. TNP et Buying Peers sont déboutés de l’ensemble de leurs requêtes et le marché est définitivement attribué.
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Drôle de retour de vacances. Lundi 1er mars, les dirigeants de TNP Consultants et Buying Peers devaient se réunir à l’issue de leurs congés pour prendre acte de la décision rendue par le tribunal administratif de Paris le 18 février. Qui leur est défavorable.
Le tribunal n’a pas fait droit à l’estocade qu’ils portaient depuis quelques semaines contre le choix de Bercy de se faire accompagner par McKinsey associé au cabinet EPSA dans l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan d’économies budgétaires liées aux achats au sein d’opérateurs de l’État.
Le marché à 12 millions d’euros, auquel TNP Consultants et Buying Peers s’étaient portés candidats, visait à conseiller la direction des achats de l’État (Bercy), la direction du budget (Bercy) et de la direction interministérielle de la transformation publique (Premier ministre, relire notre article) pour parvenir à un objectif de 200 millions d’euros d’économies dans les achats réalisés par 484 opérateurs de l’État (avec une priorité sur 31 d’entre eux, selon Mediapart). Il peut s’agir d’organismes aussi divers que l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), l’agence des participations de l’État (APE), l’Agence française de développement (AFD)…
Ce marché n’était qu’une partie d’un accord-cadre plus large qui doit permettre à l’État, avec l’aide de consultants, de parvenir à des économies d’un montant minimum d’un milliard d’euros sur une période de quatre ans, dans un périmètre total d’achats évalué à vingt-trois milliards d’euros (le lot numéro 1 porte sur 800 millions d’euros d’économies et a été attribué à Accenture).
Las, les arguments de TNP et Buying Peers n’ont pas porté. Le 29 janvier, dix-huit jours après que Bercy avait fait connaître son choix (le 11 janvier) de retenir McKinsey, EPSA et Mazars (selon la composition du consortium précisé par Bercy à Mediapart), TNP mettait en avant plusieurs griefs dans sa requête déposée au tribunal administratif.
Les trois griefs pointés par TNP
TNP et Buying Peers avançaient que la direction des achats de l’État avait porté atteinte aux principes d’égalité des candidats et de libre accès à la commande publique dans la phase de sourcing qui a précédé la consultation.
Cette phase est autorisée par le Code de la commande publique (article R. 2111) qui prévoit que l’acheteur peut réaliser des études de marché, solliciter des avis ou informer les opérateurs économiques de son projet et de ses exigences. Ces résultats peuvent ensuite être utilisés par l’acheteur à condition que leur utilisation n’ait pas pour effet de fausser la concurrence.
Or, estimait TNP, la direction des achats de l’État n’a pas assuré la publicité de ce sourcing, y a fait participer peu d’acteurs et n’a fourni aucun élément sur ses résultats lors de la concertation.
Deuxième argument, l’administration aurait dû recourir au dialogue compétitif plutôt qu’à la procédure avec négociation. Lors d’un dialogue compétitif, l’acheteur dialogue avec les candidats admis à y participer en vue de définir ou de développer les solutions de nature à répondre à ses besoins. Alors que dans la seconde configuration, les solutions sont identifiées par l’acheteur, qui ne fait ensuite que négocier les conditions du marché avec un ou plusieurs opérateurs économiques.
Troisième et dernier argument, la disqualification jugée indue d’une partie de l’offre TNP-Buying Peers. L’administration aurait estimé à tort que leur offre ne démontrait pas d’adaptabilité dans le mode d’organisation, ne proposait pas de dispositif de pilotage de l’activité des consultants et ne précisait pas les modalités de gestion de la qualité des livrables. Le cabinet estimait aussi que l’administration n’avait pas tenu compte du fait que le groupement a complété son offre après l’entretien de négociation.
Le tribunal administratif dit non
Autant d’arguments rejetés un à un par le tribunal administratif dans sa décision, dont Consultor a obtenu copie.
La présidente Sylvie Aubert, rapporteuse dans ce dossier, estime qu’« il ne résulte pas de l’instruction que la participation de ces entreprises à ce sourcing […] leur a permis de bénéficier d’informations dont l’utilisation dans le cadre de leurs offres a eu pour effet de fausser la concurrence ou de porter atteinte au principe d’égalité de traitement des candidats ». A fortiori, écrit la présidente, la procédure de sourcing est « dépourvue de valeur impérative » et « la direction des achats de l’État n’était pas tenue, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, d’en communiquer les résultats ».
Quant aux formes prises par la procédure de passation de marché, elle « n’a pas été utilisée par la direction des achats de l’État pour définir ou développer les solutions de nature à répondre à ses besoins dans le cadre de la définition de l’objet du marché, mais à négocier les conditions du marché avec les candidats. […] En recourant à la procédure de négociation et non à la procédure de dialogue compétitif, la direction des achats de l’État a respecté ses obligations de mise en concurrence ».
Troisième argument : le rejet de l’offre de TNP et Buying Peers « n’est pas fondé sur le caractère incomplet des prestations proposées […] mais sur l’appréciation de la qualité de ces prestations, plusieurs des propositions faites ayant été jugées peu pertinentes ou très insuffisantes ou de qualité inférieure à celles de l’attributaire du marché. En outre, il résulte de l’instruction, notamment du rapport d’analyse des offres que, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, les propositions qu’elles ont faites lors de l’entretien de négociation ont été prises en compte pour apprécier la valeur de leur offre ».
TNP-Buying Peers ne poursuivront pas en justice, le marché définitivement attribué
Du côté de TNP, à la lecture de la décision, Olivier Hosteins, un ex-KPMG spécialiste des achats, arrivé comme directeur associé en février 2020, indique à Consultor que « le cabinet souhaitait par ce référé porter un débat médiatique et judiciaire qui a eu lieu. Nous savions que la possibilité de voir Bercy désavoué était infime. La décision le confirme. Nous nous satisfaisons que le jugement soit très modéré et tienne compte de nos arguments. Nous maintenons que la phase de sourcing sur laquelle nous avons pu obtenir des documents complémentaires n’a été adressée qu’à un nombre très restreint de cabinets. Il y avait notamment McKinsey, Roland Berger, le Boston Consulting Group, Mazars, Capgemini. On est dans le domaine de la prédiction autoréalisatrice : Bercy savait avant d’appeler à candidatures qui devait gagner, au détriment d’entreprises de conseil françaises spécialistes des achats qui seraient très pertinentes pour répondre à ces marchés ».
Le cabinet indique qu’il ne poursuivra pas son action sur le plan judiciaire. D’autant moins que cela n’aurait aucun effet suspensif.
L’État n’a lui pas perdu de temps : dans la foulée de la décision du tribunal administratif, l’avis d’attribution du marché à McKinsey a été publié le 26 février. Montant prévisionnel maximum de la prestation de conseil : 18,294 millions d’euros (part variable comprise).
Benjamin Polle pour Consultor.fr
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