Radio France, Opéra de Paris, Musée d'Orsay : le conseil au pays du mécénat
Quelques cabinets investissent dans le mécénat financier dans le domaine culturel.
Moins connu que leurs nombreuses missions pro bono, ce mécénat leur permet de travailler leur réseau, de recevoir anciens collaborateurs et clients dans des cadres d’exception et de faire bénéficier leurs consultants d’entrées à des spectacles et lors d’expositions. Enquête.
Les cabinets de conseil sont connus pour le temps qu’ils consacrent à des missions pro bono : L.E.K. Consulting auprès des Restos du cœur, le BCG aux côtés d’Ela – l’association de lutte contre les leucodystrophies –, McKinsey dans l’accompagnement à l’accès à un premier emploi…
Parce que le secteur s’y prête bien. Dans la mesure où il est possible de glisser une mission d’intérêt général entre deux missions « facturées », les métiers du conseil sont taillés pour le mécénat de compétences.
D’autant plus que leur expertise est précieuse pour les associations, trop occupées à assurer le quotidien avec des ressources limitées pour repenser leur stratégie ou l’optimisation de leur organisation.
Quand les stratèges se la jouent Médicis
Parallèlement à ce mécénat de compétences, ultra-majoritaire, certains cabinets s’adonnent aussi à un mécénat financier dans la culture. Il est clairement moins attendu.
C’est le cas, par exemple, du bureau parisien de Bain & Company, partenaire de l’exposition Hans Hartung ouverte au musée d’Art moderne (MAM) de Paris jusqu’en mars 2020, dont le logo trône fièrement aux côtés d’UGC et de la Fnac sur des affiches placardées dans le métro parisien.
Pour le moins surprenant de la part d’une entreprise dont l’activité est à 100 % BtB et dont la notoriété spontanée auprès du grand public semble a priori le cadet de ses soucis. « L’affichage du logo fait partie de l’arrangement avec le musée d’Art moderne, c’est la cerise sur le gâteau », dit Olivier Marchal, partner & chairman de Bain & Company.
Convier clients et anciens collaborateurs
En matière culturelle, l’objectif du cabinet est d’obtenir un mécénat régulier de ce type pour y inviter clients et alumnis dans le cadre d’expositions auxquelles tous sont conviés en avant-première. Il y eut l’exposition Tout est art de Ben au musée Maillol de septembre 2016 à janvier 2017 ou Warhol Unlimited, encore au MAM, d’octobre 2015 à février 2016. « Cela permet de retrouver nos consultants, nos anciens collaborateurs et nos clients dans un autre cadre », détaille Olivier Marchal.
Faire un lien avec les valeurs et les compétences du cabinet
Ces mécénats permettent aussi de faire état du savoir-faire du cabinet : lorsque Bain fut mécène de Gustav Klimt à l’Atelier des lumières d’avril 2018 à janvier 2019, l’ancienne fonderie de la rue Saint-Maur dans le 11e arrondissement de Paris fêtait sa réouverture, pas loin d’un siècle après sa fermeture, par plusieurs expositions inaugurales (Gustav Klimt, Hundertwasser) mettant la reproduction digitale des œuvres originales au cœur de sa muséographie. Un contexte que Bain a saisi pour présenter son savoir-faire en matière de digital (analyse de données au service des entreprises, digital marketing).
« Nous choisissons des expositions et des artistes dont nous jugeons que les valeurs rejoignent celles de notre cabinet : Hartung, la rupture, Ben, parce qu’il ne se prend pas au sérieux, au-delà du jeu de mots avec Bain », s’amuse Olivier Marchal.
Le cabinet ne donne aucun chiffre sur l’investissement que représente chacune de ces opérations de mécénat. Selon Olivier Marchal, « il n’est pas supérieur au coût de l’organisation par Bain d’un événement regroupant 500 personnes, et reste très marginal par rapport au reste de nos actions de mécénat ».
Mardi 3 décembre, le patron français de Bain avait passé la journée au Global Positive Forum, le mouvement pour une économie positive créé par Jacques Attali, dont le cabinet est partenaire. Tous les cabinets interrogés insistent sur ce point : le mécénat culturel, pourquoi pas, mais à la marge.
Mécénat culturel : un investissement minime pour des retombées plurielles
« Je considère que ce n’est pas véritablement du mécénat parce qu’il y a une contrepartie sous la forme de places de spectacle et d’invitations. C’est plutôt de l’événementiel interne, et pour les clients », explique Nicolas Lioliakis, le président d’A.T. Kearney en France.
Même son de cloche de Benoît Gajdos, le directeur général de CO, le cabinet de conseil en stratégie spécialiste du secteur non marchand dont un des cofondateurs est Kea & Partners – Benoît Gajdos est associé de Kea. « Le mécénat financier est très marginal, car nos moyens financiers sont sans commune mesure avec nos moyens humains, et notre engagement financier serait une goutte d’eau dans un océan et ne changerait pas grand-chose : c’est une question d’effet de levier et de cohérence avec notre métier. »
Et pourtant. Musées, cinéma, musique… Certains cabinets de conseil en stratégie font partie des nombreuses entreprises qui apportent par le biais du mécénat un soutien financier à la culture.
Le Boston Consulting Group (BCG) est mécène de la Fondation Radio France. Roland Berger soutient le musée d’Orsay et, comme Bain, a ponctuellement soutenu une exposition au musée d’Art moderne de la ville de Paris.
Un soutien qui intervient plutôt dans les institutions culturelles les plus connues, au premier chef Le Louvre et l’Opéra national de Paris. Au Louvre, McKinsey fut un des membres fondateurs du Cercle Louvre entreprises quand A.T. Kearney et McKinsey – Bain l’a également fait par le passé, mais ce n’est plus le cas – comptent parmi les membres bienfaiteurs de l’Arop, l'Association pour le rayonnement de l'Opéra de Paris.
L’Arop récolte 20 millions d’euros de dons par an auprès des particuliers et des entreprises. « Comme les autres entreprises donatrices, les cabinets de conseil en stratégie s’acquittent d’une adhésion annuelle comprise entre 5 000 et 50 000 euros qui leur donne droit à des places préférentielles dont ils peuvent faire profiter collaborateurs et clients, et ce de 2 à 500 fois par an selon ce qu’ils préfèrent », explique l’Arop à Consultor.
Ces contreparties matérielles (places de spectacles, visites privées de musées, accès à des lieux prestigieux pour des évènements professionnels) sont le principal retour immédiat du mécénat des cabinets. Tout n’est cependant pas possible : elles sont limitées par la loi à 25 % de la valeur du don réalisé.
Networker en coulisse et image de marque
Ce mécénat est donc davantage l’apanage des plus grands cabinets. Leur contribution financière représente assez peu par rapport à celle des grandes entreprises françaises. Mais, justement, l’un des intérêts des cabinets à y investir temps et argent est de pouvoir entrer dans le cercle des autres grands mécènes que sont les fondations et les fonds de dotation des grandes entreprises privées et publiques.
C’est particulièrement vrai dans le monde des arts et de la culture. Outre l’image de marque associée à ces activités, les clubs de mécènes permettent aux cabinets d’afficher leur logo aux côtés de ceux d’autres grands acteurs économiques, voire de les côtoyer à l’occasion d’un évènement organisé par l’organisme bénéficiaire.
Le BCG au musée des Arts décoratifs : quand le mécénat culturel et le mécénat de compétences se rejoignent
Le mécénat culturel ne s’arrête pas là. Certains soutiens dans la culture rejoignent les missions pro bono plus classiques de ces cabinets. Ainsi du BCG au musée des Arts décoratifs de Paris : introduit en 2018 par un membre du conseil d’administration du musée, le mécénat du cabinet a consisté à réaliser une mission de conseil.
Elle s’est achevée cette année et ses conclusions ont été remises à Sylvie Corréard, la directrice de l’association loi 1901 qui compte 400 salariés (toutes activités confondues et tout type de contrat compris).
L’exception culturelle
Au-delà, l’investissement des cabinets dans le champ de la culture est justifié par l’ouverture d’esprit dont il est un moteur. Jeudi 5 décembre au soir, dans les locaux de PMP boulevard Haussmann, était projeté au staff un court-métrage consacré à l’histoire de Lola, 3 ans, que ses parents veulent inscrire dans une prestigieuse école maternelle. Malheureusement, Lola échoue au test d’entrée...
Le film de 15 minutes qui touche au thème de l’élitisme – un sujet très à propos dans le secteur du conseil en stratégie en France qui compte parmi les secteurs les plus sélectifs – a été récompensé lors de la dernière édition des Films courts de Dinan.
Ce festival, créé par Philippe Gautier à l’âge de 18 ans, un natif de Dinan et passionné de cinéma, est soutenu par le cabinet depuis ses débuts et Gilles Martin, associé fondateur de PMP, qui siège dans le jury.
« Nous l’avons rencontré par hasard et nous trouvions sa ténacité et son goût de la création très en phase avec les valeurs de notre cabinet », explique Gilles Martin.
Au-delà, la projection est l’occasion d’une discussion entre collègues sur un thème qui peut les toucher en tant que citoyen ou parent, et donc permettre des discussions entre consultants hors de leurs dadas habituels. L’exception culturelle, probablement.
Par Consultor.fr
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