Retournements, changements d’actionnaires : Kea mise sur des duos operating partner – senior partner
Dans un contexte de net développement du recours aux « operating partners » en France, une nouvelle filiale de Kea voit le jour : Opvise, et ses binômes alliant approche de direction et méthodo du conseil. Le contexte, les enjeux avec les promoteurs de l’initiative, Arnaud Gangloff et Christian Jacqui.
L’un est senior partner et PDG de Kea, cabinet français positionné sur dix secteurs d’activités qui se définit comme multi-spécialiste, présent à l’international via des bureaux en propre ou des alliances. L’autre a exercé des fonctions de direction dans le secteur industriel au sein de grands groupes français ou étrangers avant de devenir senior advisor chez Kea en 2023 – et operating partner. Ce « binôme », cofondateur d’Opvise (que Christian Jacqui préside), répond aux questions de Consultor.
Comment est né le projet Opvise ?
Christian Jacqui : Depuis mon retour en France post-Covid, et ayant décidé de mettre fin à mes activités de dirigeant pour des raisons personnelles, j’ai été sollicité par des fonds ou des sociétés pour les accompagner sur des sujets de retournement, d’hypercroissance ou de changements plus ou moins radicaux d’actionnaires. Or, je ne suis ni un manager de transition qui s’assoit à la place du dirigeant ni un consultant armé d’une équipe et de méthodologies ; et je n’avais plus de collaborateurs autour de moi pour traduire mes intuitions et rendre mes recommandations opérationnelles. J’en ai éprouvé une certaine frustration.
En échangeant avec Arnaud [Gangloff] sur les problématiques que nous étions amenés à traiter chacun de notre côté, nous avons réalisé qu’elles se rejoignaient en une solution unique : combiner l’expertise de dirigeants qui ont envie de regarder l’objet et l’intérêt social de l’entreprise, et celle de consultants dotés d’une approche méthodologique et holistique, pour assurer des missions à forte création de valeur. Avec l’opportunité d’occuper une nouvelle part de marché à la clé.
Arnaud Gangloff : La stratégie de développement d’un groupe de conseil tel que Kea est de se renforcer sur les grands secteurs essentiels de l’économie. Celui de l’investissement était peu adressé, et essentiellement à travers nos expertises sectorielles ou une expertise transversale comme la technologie : nous faisions quelques opérations sur les fonds, en étant très centrés sur la dimension transactionnelle.
Malgré une année 2023 tendue sur le front de l’investissement, l’objectif de Kea est d’y être présent. D’abord en montant au capital de Néovian [un cabinet de conseil spécialiste du Private Equity, ndlr] puis avec Opvise, en développant une relation privilégiée avec les acteurs large-cap et mid-cap en particulier, par le prisme des relations des fonds avec leurs participations. Et via un modèle « d’operating partners » que Christian [Jacqui] connaît bien.
Qu’est-ce qu’un operating partner, et que fait-il ?
CJ : Aux États-Unis, l’émergence des operating partners date de la crise financière de 2008. Là-bas comme en France, les écosystèmes des sociétés sont de plus en plus complexes à comprendre. En France, la « transcription » des operating partners US se fait très souvent via des profils d’experts techniques. Or, selon nous, la verticalité de ce type d’expertise n’est pas vraiment adaptée en ce qu’elle ne permet pas de disposer d’une vision à 360°, laquelle devient de plus en plus essentielle.
Par nature, les dirigeants d’entreprises ont « le nez dans le guidon » pour délivrer ce que les clients et les actionnaires attendent d’eux. Ils ont donc besoin d’avoir à leurs côtés non pas des experts techniques, mais ce que nous appelons des operating partners « augmentés » de l’approche analytique et des datas du conseil, capables de comprendre comment le monde et ses évolutions viennent percuter la chaîne de valeur des organisations et donc, leur stratégie.
AG : Opvise fonctionne par mandats et dans la durée. Ces mandats sont portés et très incarnés par un dirigeant (l’operating partner), augmenté d’un appui de conseil (le senior partner). Nous prenons le contrepied de la tendance à faire appel à des touche-à-tout, des experts s’improvisant counterparts voire dirigeants, et du modèle d’executive management.
Un dirigeant a des caractéristiques propres : une grande capacité d’intuition, du courage, et la capacité à embarquer autour de lui. Les profils de conseil disposent, eux, d’expertises techniques très utiles, avec la faculté d’aborder les problèmes de façon holistique (risque, champ de la transformation…). Un binôme composé des deux profils va s’immerger dans le rythme de vie de la participation.
Le modèle d’Opvise pourrait-il concurrencer le conseil en stratégie « classique » ?
AG : Non, car les besoins adressés sont différents. Celui auquel Opvise répond n’est bien couvert ni par le conseil stricto sensu, ni par les operating partners tels qu’ils ont été transposés en France. Par ailleurs, le modèle économique d’Opvise s’éloigne de celui des « jours-hommes » traditionnels du conseil. En effet, une part de la rémunération du binôme operating partner - senior partner est corrélée aux résultats obtenus.
Selon nous, en cas de retournement, d’hypercroissance, d’ouverture du capital ou de changement d’actionnariat, les DG ont besoin d’interagir avec des consultants sur un certain nombre d’aspects, et avec des dirigeants qui disposent d’expériences similaires à la leur, sur d’autres.
Comment Opvise est-il structuré et quel est son mode de fonctionnement ?
AG : Nous avons constitué un réseau d’une vingtaine d’operating partners qui exercent déjà cette activité au sein de conseils d’administration, de private equity ou de corporate M&A, ou encore auprès de dirigeants corporate faisant face à des build up ou des structurations. Ces OP disposent donc d’un accès direct au marché.
Avec notre modèle, ils vont pouvoir avoir plus d’impact dans leurs missions, pour échapper à la frustration que Christian a décrite précédemment. Pour eux, l’enjeu est de peser davantage sur les orientations qu’ils donnent en se nourrissant d’analytique afin de tester les hypothèses qu’ils élaborent, via l’expertise du conseil en stratégie ; et en s’assurant que les recommandations émises seront bien mises en œuvre.
Concrètement, Opvise a identifié une dizaine de secteurs d’activité et une dizaine d’expertises fonctionnelles sur lesquels sont positionnés nos operating partners, et auxquels sont associés des senior partners de Kea. Les six ou sept SP déjà véritablement engagés évoluent dans la consommation, l’agriculture-agroalimentaire, la mode, les infrastructures (énergie, utilities) ou la data - les secteurs dans lesquels les interactions avec le monde de l’investissement sont les plus fréquentes.
Sur quelle « promesse » les senior partners de Kea se lancent-ils dans l’aventure ?
AG : Je crois que le grand attrait de nos senior partners pour ce type de missions réside dans le fait d’être au contact d’operating partners de très haut niveau – des patrons de boards, de conseils d’administration du CAC 40… - et de bénéficier du niveau d’exposition des sujets que traitent ces binômes.
CJ : Pour donner une idée, parmi nos premiers mandats figurent une mission d’accompagnement d’une société en hypercroissance dans le domaine des services, ainsi qu’une mission pour un fonds d’investissement souhaitant définir le chemin stratégique d’une société en difficulté qui évolue sur un marché porteur. Ou encore, pour une société de taille significative, une revue de portefeuille stratégique pour distinguer les participations devant passer dans le core business de l’entreprise et celles devant être vendues afin d’éviter de dépenser du temps de management. Une revue stratégique qui nécessite une proposition très opérationnelle : grâce à son double regard, le binôme operating partner – senior partner va plus loin dans ses préconisations d’intégration ou de spin-off que des consultants « classiques ».
Quelles sont les premières réactions du marché ?
CJ : Avec un lancement datant de janvier 2024 seulement, il est un peu tôt pour dégager une véritable tendance. Mais ce que l’on peut dire, c’est que la force et la valeur ajoutée du dispositif sont bien comprises. Les premières missions que nous avons finalisées ont donné satisfaction à nos clients, et lors des pitchs effectués auprès de prospects, des discussions opérationnelles s’enclenchent assez vite.
AG : Le modèle d’Opvise est adapté aux situations de création de valeur dans lesquelles il faut faire un pas de côté, et lorsque les discussions ont lieu dans des cercles restreints entre le dirigeant, le conseil d’administration, quelques acteurs seulement. Des relations de confiance très fortes sont alors indispensables, ainsi qu’un double regard, une double approche. C’est la proposition de valeur d’Opvise.
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