Services financiers : stratégies de crise
Fluctuat nec mergitur. Les cabinets parisiens pourraient en faire leur devise.
2012 avait été une année plutôt prospère dans les practices de services financiers, leur principal fonds de commerce. « 2013 a été plus dur », estime Nicolas Lioliakis, qui a été recruté comme associé par ATKearney début septembre.
« L’industrie est un peu en surcapacité. Tous les cabinets de la place sont en train de recalibrer les équipes, à l’exception d’ATKearney, qui se renforce mais part d’un point plus bas que les autres. Ceux qui avaient des projets très larges en 2012, et qui sont arrivés à leur terme, peuvent se retrouver face à des situations de dépression. » Roland Berger, qui a connu des heures fastes l’année passée avec un contrat d’une valeur de plusieurs dizaines de millions d’euros avec BNP Paribas, a ainsi dû faire face à un trou d’air de ce type.
Un cœur sensible
Le secteur bancaire et l’assurance représenteraient environ 25 à 35 % du chiffre d’affaires des cabinets. Un niveau qui les rend donc très sensibles aux cycles du marché. Dans ces colonnes, en 2012, Stéphane Albernhe, ancien directeur général de Roland Berger, désormais associé fondateur d’Archery strategy consulting, évaluait le marché du conseil en stratégie dans les services financiers à 150-200 millions d’euros sur la place de Paris. Il semblerait qu’on soit dans la tranche basse de cette estimation pour 2013.
Pour Nicolas Lioliakis, « plutôt que de dépendance, on peut parler de sensibilité. Le point de sensibilité, ce n’est pas la variation de la demande, c’est la manière dont la demande se présente. En période de crise, c’est « winner takes it all ». Il y a moins de projets, mais ceux-ci sont plus gros. Donc c’est forcément moins statistique. Prendre sa « fair share » est plus aléatoire. J’ai connu cela dans d’autres maisons. On a eu à un moment donné des mandats exceptionnels, qui ont donné une image disproportionnée de ce qu’était la capacité fondamentale de ce cabinet à traiter cette industrie. On avait fait de la gonflette en ayant de très gros projets. »
Hail to the king BCG
La période profite donc d’abord aux acteurs les plus prestigieux, à commencer par le Boston Consulting Group. Fort donc de la renommée de son partner star, Lionel Aré, BCG aurait raflé plusieurs gros contrats cette année. « Le poids de la marque en période d’incertitude est aussi excessivement fort », explique Grégoire de Vogüé, ancien de la practice services financiers du BCG.
Le BCG a par ailleurs clairement ciblé les problématiques montantes pour le secteur financier, en particulier technologique, « le Big Data, la digitalisation des processus, la transversalité des plateformes de production », estime Nicolas Lioliakis. Les professionnels de la finance auront ainsi remarqué le recrutement d’Elias Baltassis, pour diriger le pôle Big Data & Analytics.
Un modèle pour certains, comme le reconnaît Nicolas Lioliakis. « Les plus gros sont aussi les meilleurs. C’est le cercle vertueux de ce métier. Le BCG s’y est engagé depuis de nombreuses années. L’enjeu pour les autres est d’enclencher une spirale similaire. Mais ce sont des cycles courts : on est tous des PME, très sensibles à quelques personnes. Je suis bien placé pour le savoir. Chez Oliver Wyman, il n’y en a plus un seul de 2005. Après, Oliver Wyman a une très forte R&D, ils ont fait grandir des gens, et donc l’équipe peut repartir. »
Les services financiers, levier pour atteindre la taille critique
Dans ce contexte qui avantage les acteurs les plus installés, des challengers vont toutefois tenter leur chance. Certains grands groupes semblent décidés à mettre en ligne leurs activités parisiennes avec leurs ambitions mondiales. ATKearney avait 400 consultants à Paris, 150 consultants en 2007, 80 seulement en 2012. De leader du marché, le cabinet était déchu à une antenne atrophiée, stimulée brièvement au tournant de la décennie par un contrat avec la Banque Postale. Même si son passage par Alix Partners, un spécialiste du restructuring, n’a visiblement pas pris, Nicolas Lioliakis, ancien associé senior de Bain, est une belle prise qui manifeste un désir de reconquête.
Nicolas Lioliakis s’ouvre très clairement sur cette stratégie : « Le cabinet a fait le diagnostic qu’il y avait un impérieux besoin de grandir. Après la période de clarification de sa gouvernance, de stabilisation de son identité, de pérénnisation autour du MBO, on repart de l’avant : je fais partie de l’exécution de ce plan. Il y a des embauches de partners confirmés et d’équipes sur toutes les practices qui sont jugées comme stratégiques, à commencer par les services financiers. »
Atouts et ambitions des Big Fours
Sur les rangs, aussi, les Big Fours, et particulièrement Deloitte qui a racheté Monitor il y a près d’un an. « Il y a une double synergie : nous apportons la compétence en stratégie et Deloitte était très bien implanté dans le secteur des services financiers, ce qui complète les expertises sectorielles de Monitor », explique Nitin Chatuverdi, associé et responsable Monitor Deloitte France, l’entité regroupant les activités de conseil en stratégie. « Notre enjeu n’est pas la surcapacité, mais au contraire, c’est d’attirer des talents. » Après neuf mois, les équipes, quatre partners et une trentaine de collaborateurs, sont stables, la marque a été préservée, malgré les inquiétudes que soulevait l’absorption. Reste à faire ses preuves : les familiers du secteur doutent encore que Monitor soit actif dans des missions de conseil en stratégie pour des clients du secteur financier. Le Big Four ne se cache pas d’offrir ainsi des tarifs attractifs, un taux moyen que certains situent à 800 euros/jour, très en-deçà du niveau des cabinets reconnus, qui facturent normalement plutôt à 2500 euros/jour. De quoi convaincre les clients, en dépit du déficit d’image et d’expérience de Monitor dans le domaine. Interrogé sur ce type d’offres, un dirigeant d’un des plus gros cabinets de conseil en stratégie défend sa crèmerie : « Il faut admettre une fois pour toute que l’environnement de travail que les cabinets high values créent est de nature à délivrer un produit d’une qualité différente. » Autrement dit, à ce tarif, Deloitte ne fournit pas du conseil en stratégie.
Deux tendances contradictoires : guerre tarifaire et spécialisation
Les grands cabinets généralistes sont tout de même atteints par la concurrence des Big Fours, d’autant que certains, pour compenser la rareté de la demande en conseil de stratégie de croissance, se sont développés sur le créneau de l’adaptation aux réformes réglementaires et aux risques opérationnels, où les Big Fours ont une forte expertise. Cette concurrence a mené certains acteurs traditionnels à tenter de construire une offre à moindre coût. McKinsey a par exemple ouvert une filiale spécialisée sur des problématiques opérationnelles, Orphoz. « Baisser les tarifs ne marche pas. On ne maintient plus nos équilibres, et le système s’affaisse », avertit Nicolas Lioliakis. Une dynamique qui contredit la demande de spécialisation des clients et qui accroît donc les tensions du secteur. Cette demande de spécialisation porte à l’opposé des boutiques dédiées aux services financiers comme Ares and Co. Créée il y a 4 ans, l’équipe compte déjà 3 associés et 2 principals, un bureau à Paris et un autre à Londres, et espère en ouvrir un troisième bientôt à l’international. « Il y a chez nous à la fois des gens qui viennent de l’univers du conseil et des gens qui viennent de l’univers de la banque », résume Grégoire de Vogüé, désormais principal dans cette boutique française. Une configuration qui fournit des prestations moins standardisées, moins marquées par une tradition de conseil maison, mais plus adaptées à l’univers du client. « Pour affronter la crise, on se doit d’être plus réactif, et d’avoir encore plus d’impact pour nos clients, comme des vedettes rapides face à des paquebots moins manœuvrables ».
Jérémy André pour Consultor, portail du conseil en stratégie- 21/11/2013
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