« 70 heures semaine, ce n’est plus possible » : le consulting en pleine bourre
+ 8 % pour le BCG au niveau mondial en 2020 (relire notre article), + 11 % au T1 2021 pour Oliver Wyman (relire notre article): les indicateurs de la bonne tenue de l’activité des cabinets de conseil en stratégie au cours de la crise et de leur vive reprise dernièrement sont là. Problème : au printemps 2020, lors du premier confinement, les recrutements habituels n’ont pas eu lieu. Par conséquent, la surcharge de travail et la pression sur les recrutements est aujourd’hui patente.
En mai 2021, dans un cabinet de la place, qui ne veut évidemment pas donner son nom, le taux de staffing des effectifs de consultants tourne autour des 100% — loin d’un taux normal qui est plutôt de l’ordre de 70%, le reste allant à de la prospection commerciale, de la formation, de l'investissement dans la vie interne de l'entreprise... « C’est bon pour les fees, ce n’est pas bon pour les équipes », glisse un associé, sous couvert d’anonymat.
L’exemple n’est pas anecdotique. Un an après le confinement de mars 2020, les effets s’en font bien sentir dans le conseil en stratégie. Car, on s’en souvient (relire notre article), en matière de recrutement, la plupart des cabinets de conseil en stratégie ont – dans un premier temps – appuyé plus ou moins brutalement sur le frein.
En 2020, les cabinets de conseil en stratégie et management ont nettement moins recruté : ils ont été 10 à 20 % à le faire quand en temps normal ils sont 80 à 90 %, estimait le Syntec Conseil dans son rapport annuel (relire notre article).
Exemples parmi d’autres : PMP a réalisé une quinzaine de recrutements en 2020, au lieu de la trentaine habituellement. Et INDEFI a tout juste maintenu ses effectifs.
« En avril et en mai, nous avons fortement freiné. Nous étions incertains quant à l’évolution de l’activité », témoigne Éric Dupont, associé chez PMP Conseil. C’est la même attitude de prudence qu’a choisie INDEFI, qui n’avait pas de recrutements en cours au début du confinement.
« Nous avons décidé d’adopter une position attentiste, le temps de mesurer l’impact de la pandémie sur notre activité », se souvient Marie-Laure Nordin, responsable marketing et communication chez INDEFI.
Mais rapidement le choc pour le conseil s’est avéré moins sévère qu’attendu. Les cabinets ont repris 5 à 10 points d’activité par mois entre mai 2020 et décembre 2020, estimait encore en fin d’année le Syntec.
La reprise est là
Si certains secteurs parmi les plus durement touchés, à l’instar du tourisme ou du transport aérien, ou directement visés par des mesures de fermeture administrative comme la restauration, n’achètent plus de conseil, cela n’a pas été le cas dans les secteurs qui ne sont que secondairement concernés par l’impact de la crise.
Exemples : la restructuration d’entreprises qui génère beaucoup d’activité de conseil (relire notre article) ou le private equity, qui génère énormément de missions de conseil en stratégie, sur des due diligences notamment. Comme dit Éric de Bettignies, le fondateur et associé d’Advancy, dont le private equity est un important relais de croissance, « nous sommes à full speed et on se tourne vers l’avenir ».
Idem, chez PMP Conseil, l’activité a repris à un niveau « quasi normal » à partir de juillet 2020. Sur certaines niches, la reprise a été plus dynamique encore, comme chez INDEFI : pour le cabinet spécialiste des gestionnaires d’actifs et des fonds d’investissement « aux mois d’octobre et de novembre, un besoin de recrutement très important s’est fait sentir », témoigne Marie-Laure Nordin.
Des plannings tendus à l’extrême
Conséquence : « il est vrai que depuis novembre, nous sommes en tension sur les effectifs, malgré une forte relance des recrutements », ajoute Éric Dupont, chez PMP.
Même son de cloche dans un grand cabinet de la place, dont l’un des consultants témoigne anonymement : « Tout le monde a eu plus de travail ». « Les journées se sont clairement rallongées. Là où avant covid, une journée type allait de 9h à 20h, là elle a tendance à aller de 8h30 à 21h. Ce qui était du temps de transport est maintenant du temps de travail », appuie un autre consultant en activité dans la branche stratégie d’un Big Four.
Plusieurs raisons expliquent cette surcharge. « La pompe des recrutements a mis du temps à repartir, on se retrouve avec une pyramide un peu difforme », glisse un partner.
Les recrutements n'expliquent pas toute la surcharge de travail. Le télétravail joue aussi beaucoup. « Une même action qui aurait pris cinq minutes en présentiel, par exemple aller tester deux ou trois hypothèses en passant une tête dans le bureau du partner prend maintenant une bonne heure le temps de réussir à l’avoir en visio », explique notre interlocuteur. « On passe son temps en réunion par visio », dit un autre consultant.
Free-lances, stagiaires, renoncement à des missions : les amortisseurs sont de sortie
Et dans tous ces cabinets, qui avaient stoppé ou freiné leurs recrutements, il a fallu gérer cette surcharge de travail en employant diverses stratégies. Parmi les plus courantes : le recours à des stagiaires ou à des free-lances pour des missions temporaires, voire à un réseau de professionnels plus vaste.
Chez Publicis Sapient, « en matière d’effectifs, nous étions en tension permanente. Nous avons beaucoup travaillé. Nous avons aussi utilisé un levier qui nous est propre, le réseau de Publicis, lequel a l’avantage d’être international. Nous avons eu recours à des consultants d’autres bureaux sur des projets en anglais, y compris des Français basés à Londres, dont un va finalement rejoindre l’équipe parisienne en juin. Et nous avons aussi fait appel à quelques free-lances pour des projets temporaires », précise Thierry Quesnel, associé des activités de conseil en stratégie de Publicis Sapient à Paris.
Autre mesure pour pallier un certain décalage entre les recrutements et le regain d’activité : l’adaptation des horaires « pour permettre aux personnes de prendre un peu de recul, d’avoir un peu de disponibilité. Soixante-dix heures par semaine dans ces conditions, ce n’était pas possible ! » témoigne, sous couvert d’anonymat, un consultant en activité dans un grand cabinet de la place.
PMP Conseil a offert deux demi-journées de congé par mois, et imposé une déconnexion à l’heure du repas. Les salariés peuvent aussi bénéficier d’un service d’accompagnement en santé mentale proposé par Moka, une start-up française.
Accompagnement qui serait bien nécessaire dans plusieurs autres cabinets où les cas de quasi dépression sont nombreux, de profils jeunes et moins jeunes en proie à des mois de télétravail.
Enfin, en dernier recours, certains cabinets sont allés jusqu’à renoncer à des missions pour préserver leurs équipes. Une pratique qu'Eight Advisory a même formalisé : le cabinet, tant sa croissance est soutenue, a mis en place un comité d'acceptation des missions qui évalue la capacité à prendre ou non de nouveaux contrats, indiquait-il aux Échos le 10 mai.
Six mois pour un retour à la normale ?
En attendant un retour à la normale des recrutements et donc des effectifs, le regain d’activité se traduit par une forte pression sur les recrutements, tout particulièrement chez les seniors. « Un vrai fight pour les talents », glisse un premier partner. Pour qui toutes les occasions sont bonnes à prendre, comme quand récemment un grand patron et client lui passe le CV de sa fille.
Une vive tension sur les recrutements dont témoigne une autre de nos sources : « On a le sentiment que beaucoup de chasses sont en cours. Après, les managers ou au-delà ont tellement de travail qu’ils n’ont pas nécessairement le temps de se préparer à des process de recrutement dans d’autres cabinets ».
Pour un autre partner, pas le choix : « il faut recruter. Le retour à la normale prendra six mois ».
Anne Daubrée et Benjamin Polle pour Consultor.fr
Crédit photo : Adobe Stock.
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