Trump président : une catastrophe économique ? La vision des cabinets et de leurs clients…
Dès le lendemain de son investiture du 20 janvier 2025, le 47e président des États-Unis d’Amérique a annoncé que les pays européens (tout comme la Chine, le Canada et le Mexique) pourraient être soumis à des droits de douane, déclarant ainsi : « L’Union européenne est très mauvaise pour nous. Ils nous traitent très mal. Ils ne prennent pas nos voitures ou nos produits agricoles. En fait, ils ne prennent pas grand-chose, donc ils sont bons pour nos droits de douane. »
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Des barrières douanières déjà instaurées lors de son premier mandat, lorsqu’en 2018, il avait mis en place des droits de douane sur des milliards de dollars de biens importés, principalement en provenance de Chine, ou sur l’acier et l’aluminium pour l’Europe.
Un discours à prendre au premier degré ?
Depuis novembre et l’élection de Donald Trump, les questions – et les inquiétudes – ont fusé concernant sa politique ultra-protectionniste et, par conséquent, l’avenir du business mondial. Ses annonces tonitruantes post-investiture ont secoué la communauté internationale et une partie du monde des affaires. Dont le chef de file du BCG en France Olivier Scalabre, qui a partagé sur les réseaux sociaux avant l’ouverture du forum de Davos : « Cette possible hausse des tarifs douaniers américains s’inscrit dans un contexte déjà volatile pour le commerce international, redessiné par les crises géopolitiques, sanitaires et climatiques. En se concentrant sur les dix premiers partenaires commerciaux des États-Unis, on estime que cette nouvelle politique douanière représenterait un coût supplémentaire de 640 milliards de dollars pour les États-Unis. »
Le patron Monde de McKinsey, Bob Sternfels, interrogé par le quotidien suisse Neue Zürcher Zeitung (NZZ), reste quant à lui plutôt positif : « Une nouvelle politique fiscale et la prolongation des allègements fiscaux existants devraient avoir un impact positif. Surtout, cela aide l’économie américaine. Cela améliorera la compétitivité de toutes les entreprises opérant aux États-Unis. »
Alban Neveux, directeur général d’Advention, tient à relativiser ces propos du président US rompu aux outrances : « Trump a dit de façon plus vocale ce que Biden a déjà fait en partie dans son gigantesque programme Inflation Reduction Act d’attraction des capitaux qui fonctionne très bien et qui a fait très mal à nos économies. Les acteurs économiques accélèrent aujourd’hui leurs délocalisations pour être dans la forteresse américaine. »
La feuille de route de Donald Trump s’inscrit dans un contexte économique mondial qui n’est pas nouveau, comme le pointe Thomas Chèvre, l’un des associés du cabinet Strategia Partners, créé en 2021, et qui compte des bureaux à Paris et Zurich, mais est aussi présent à Seattle, New York et Shanghai : « Nous sommes en fait dans un cycle depuis 2020 avec une hausse massive de la volatilité au niveau de l’économie mondiale caractérisée par des changements majeurs sur certains marchés liés à la pandémie, l’inflation, la restructuration de certaines chaînes de valeur. Déjà en 2024, les incertitudes géopolitiques et macro-économiques ont eu des répercussions dans la stratégie d’investissement de nos clients qui travaillent ainsi dans cet environnement et doivent adapter leur approche. » Pour le partner de Strategia, l’arrivée de Trump à la tête de la première économie mondiale en termes de PIB (25 000 milliards de dollars) ne représenterait pourtant pas une rupture pour les clients du cabinet, car « certains fondamentaux étaient déjà présents ».
Un ressenti disparate aux quatre coins de la planète
En tout cas, les États-Unis se portent au mieux, avec « des flux d’argent et d’initiatives toujours plus nombreux qui avaient déjà commencé sous l’ère Biden alors que, côté investissements en Chine, c’est plutôt l’attentisme, tout comme en Europe », confirme Alban Neveux d’Advention.
Les States restent donc toujours la zone d’investissement prioritaire des clients du cabinet au vu d’un delta de croissance USA vs Europe qui ne donne pas vraiment le choix aux investisseurs. « En 1980, le PIB par habitant était quasi identique entre les deux pays. Aujourd’hui, l’écart est de 80 % », ajoute Thomas Chèvre. Et puis les investissements en Chine, cible privilégiée jusqu’à la période pré-covid, ont ralenti, « face au ralentissement de la croissance et à l’accroissement des incertitudes ».
Pour le DG d’Advention Alban Neveux, qui vient de terminer une tournée de plusieurs de ses bureaux (New York, Shanghai, Dubaï, Londres), l’arrivée de Trump trouve un écho disparate selon les zones géographiques, y compris au sein même des États-Unis, selon que l’on se trouve « sur la côte est-ouest ou au cœur du pays ». Côté États-Unis, Alban Neveux a cependant entendu « une petite inquiétude, même si le sujet est homo œconomicus, plus qu’homo politicus ». Des Américains qui resteraient quoi qu’il en soit « très pragmatiques par rapport aux affaires, si ça booste le business, c’est la seule finalité ».
Dans une Europe « où la politique est plus dominante dans la psyché collective », il règne en général, selon le partner, un sentiment de désalignement avec les États-Unis, en particulier sur les sujets environnementaux. Mais « les rênes sont lâchées, l’effet Trump accélère ce qui arrive depuis 2 ou 3 ans ». Des hommes d’affaires européens qui ne seraient pas non plus tous sur la même ligne, entre une Italie « isolationniste, et ferme qui n’est pas mécontente de ce qui se passe là-bas » et la France et l’Allemagne, deux pays, « plus mous du collier, plus attentistes ».
En Chine, pays qui vient d’annoncer un record historique de ses exportations, l’ambiance serait aussi ambivalente, « un mélange de grande inquiétude et de principes de réalité, car ils espèrent pouvoir se rattraper sur l’Europe », témoigne Alban Neveux. Et d’aucuns des clients chinois du cabinet perplexes sur « ce que pense, dit et fait Trump ».
Quant au Moyen-Orient, sans surprise, c’est le « pragmatisme absolu » qui prévaut chez les dirigeants. « Tant qu’il y a de l’argent à se faire, dans ces pays gérés par de gros family offices, ils ne se sentent pas très impactés par ce qui se passe aux États-Unis et gardent un œil sur les autres régions », soutient Alban Neveux à son retour de Dubaï.
Les effets attendus du protectionnisme américain
À court terme, on peut s’attendre à une période d’aubaine qui privilégierait les entreprises européennes. Telle est l’analyse de Thomas Chèvre de Strategia, car, avec une économie US dynamique, l’activité des clients des cabinets y est proactive, pour l’instant en tout cas. « Avec un taux de chômage de 4 %, un taux de croissance à 2,5 ou 3 %, des taux d’intérêt qui ont baissé de 50 points de base et des prix de l’énergie favorables qui redonnent de la compétitivité, les perspectives de très court terme sont favorables avec un effet de décalage des réformes de relance de l’économie américaine de Biden ». Pour le partner de Strategia, certaines mesures prises par le nouveau président Donald Trump, notamment les droits de douane, la baisse des impôts sur les sociétés, la pression sur la FED afin d’accélérer la baisse des taux d’intérêt, peuvent soutenir la bonne santé de l’économie transatlantique à très court terme.
Mais ce n’est pas le même optimisme qui règne sur le plus long terme. Des incertitudes, aux États-Unis, mais aussi sur d’autres marchés, notamment en Chine, qui pèsent sur la compétitivité européenne à terme. Selon le partner de Strategia, les mesures de Trump représenteraient même « un risque de baisse des échanges mondiaux », alerte ainsi Thomas Chèvre, et sur l’économie américaine à long terme, « un risque de reprise de l’inflation qui peut engendrer une boucle prix/salaires défavorable, et un ralentissement dans un contexte de déficits et de dette publics significatifs ».
La stratégie agile des cabinets
Alors, il faut s’adapter côté cabinets. Chez Advention, les partners ne tiennent pas un discours unique par rapport à leurs clients sur la stratégie à adopter dans cette nouvelle pierre à l’édifice de l’incertitude économique mondiale. « Nous cherchons à voir comment chaque dirigeant comprend lui la situation, son état d’esprit, ses attentes, ses craintes. Et nous tentons de trouver des réponses adaptées », pointe Alban Neveux. Le cabinet Advention, qui observe chez ses clients des niveaux d’activité assez variables en fonction des zones géographiques, s’attend « à ce que 2025 reste pour pas mal de monde en Europe une année encore un peu terne et de transition », prédit Alban Neveux.
Être agile, c’est aussi le sujet du côté du patron France du BCG Olivier Scalabre. « Face à l’incertitude, la réflexion par scénarii s’avère précieuse pour les industriels qui souhaitent vérifier la robustesse d’un investissement de long terme, mais aussi saisir de nouvelles opportunités. » Le cabinet McKinsey analyse lui « en live » les effets des mesures du chef de gouvernement américain grâce à son équipe dédiée au sein de son bureau de Washington, comme l’a confirmé Bob Sternfels au quotidien suisse NZZ. « Nos collègues sont plus occupés que d’habitude en ce moment. Je reçois généralement un briefing à ce sujet une fois par mois, mais, en ce moment, j’en reçois un tous les jours. »
Chez Strategia, « nous travaillons sur des options stratégiques possibles à 5 ans et les comparons selon différents scénarii macro, une méthodo appliquée depuis le covid. L’idée est de définir ce qu’il faut faire quoi qu’il se passe et ce l’on peut faire en fonction de tel ou tel scénario macro. Les grands acteurs ont intégré les incertitudes dans leur quotidien », explicite Thomas Chèvre. Et deux questions essentielles des clients arrivent en ce début 2025 : l’ampleur des investissements à réaliser par rapport à ce qui était initialement prévu et le modèle d’activité à mettre en place afin de rester compétitif.
Alors que peut-on en déduire sur l’activité à venir des clients et des cabinets qui les accompagne ? Pour l’instant, difficile de le dire. Même si son nouveau mandat a créé des sujets chez les clients, les effets économiques de l’arrivée de Trump ne se font pas encore sentir.
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