Agroalimentaire : la relation stratèges-acheteurs vue par le groupe Avril
Les acheteurs ne sont pas toujours mis dans la boucle des achats de conseil en stratégie en raison du caractère parfois ultraconfidentiel des missions en jeu, mais aussi à cause de la dimension d’intuitu personae que peuvent revêtir ces projets.
L’expérience de David Benhaim, en charge de 2017 à décembre 2019 des achats de prestations intellectuelles au sein du groupe d’agroalimentaire Avril montre que les cabinets de conseil en stratégie peuvent apprendre des acheteurs quelques réflexes et astuces pour se montrer encore plus customer-centric. Interview.
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Mini bio
David Benhaim a débuté sa carrière en tant qu’acheteur indirects chez PSA Peugeot Citroën en 2009 puis a rejoint le groupe Avril en 2014 où il a occupé différentes fonctions (responsable des achats Packaging pour Lesieur puis responsable des achats indirects pour le groupe et membre du comité de direction achats groupe). Le groupe Avril en quelques chiffres : 5,6 milliards de chiffre d’affaires en 2019, 7 600 collaborateurs, notamment actifs dans l’alimentation humaine et la nutrition animale avec les marques Sanders, Lesieur ou Puget. David Benhaim est directeur des achats Packaging groupe au sein du groupe Bel depuis le 6 janvier 2020. »
Quels sont les critères à prendre en compte lors du sourcing d’un cabinet de conseil en stratégie ?
Bien des critères sont communs entre les achats de production et les achats hors production dont font partie les prestations de conseil. Lorsque j’étais en charge des achats de conseil, je tenais compte certes du coût, mais au même titre que l’expérience, la méthodologie, la pertinence des services et le partage en amont de la mission des business cases traités par le cabinet de conseil en stratégie lors de la phase de sourcing.
La réputation est un paramètre qui influence beaucoup le choix d’un prestataire parmi un panel de fournisseurs potentiels. On y inclut les succès obtenus par le cabinet, son réseau d’influence, les types d’événements qu’il a montés, ses publications et les prises de parole de ses experts sur les réseaux sociaux et dans les médias. Tous ces paramètres sont intégrés dans les score cards et jouent sur le référencement d’une entreprise.
La compatibilité relationnelle avec les équipes opérationnelles est aussi une préoccupation majeure des acheteurs. Souvent, lors de la soutenance d’une offre commerciale devant le directeur général, le directeur administratif et financier ou un top manager de façon générale, le cabinet envoie l’associé sans son équipe. Or, si ce dernier peut effectuer l’équivalent de quatre jours sur une mission, par exemple, ses collaborateurs interviendront aussi très souvent auprès des clients internes (directions à l'intérieur de l'entreprise qui sont demandeuses d'achat de conseil externe, ndlr). Dans le cadre de mes missions, j’ai toujours insisté pour que les équipes conseil rencontrent les opérationnels en interne lors du sourcing. Nous accordions aussi une grande importance à l’agilité digitale d’un cabinet (usage d’outils innovants ou pas, l’intégration de cette dimension dans l’offre commerciale, etc.), à sa capacité à se projeter à nos côtés au-delà de la mission initialement prévue.
Un acheteur apprécie toujours qu’un cabinet puisse faire la preuve de son ROI en lui présentant les outils de mesure de la qualité de son expertise. Par exemple, je me souviens d’un cabinet qui, sur une mission d’aide à la collecte de subventions européennes, nous a démontré ce que son expertise ferait gagner à nos équipes R&D en termes de pourcentages de subventions récupérées sur un périmètre donné. Cette dimension est intéressante dans notre métier, car elle met en exergue la capacité des acheteurs à valoriser d’autres composantes du coût complet que le prix de la prestation.
Pratiquiez-vous un référencement en amont d’un pool de prestataires aux tarifs négociés dans lequel la direction générale pouvait piocher librement ?
Le pooling ne faisait pas partie de nos méthodes pour ce type de prestations. On le faisait plutôt par exemple pour les agences de design d’emballages. Ce choix était notamment lié à la très grande diversité des cabinets. Un panel trop fixe risquait de changer d’une année sur l’autre et cela nous aurait coupé la possibilité de profiter de l’arrivée de nouveaux entrants. Nous cherchions toujours à avoir une grande richesse d’individualités parmi les cabinets consultés. Avec un nouvel entrant, les experts émanent généralement de grands cabinets, nous pouvions avoir une qualité d’expertise équivalente à celle d’un gros acteur du marché à des prix moins élevés avant que sa politique commerciale n’évolue à la hausse quelques années plus tard. Donc, pour le conseil en stratégie, j’ai toujours préféré lancer des consultations ad hoc, d’autant plus que sur ce type d’achat, la dimension d’intuitu personæ est majeure. Les DG, DAF, DRH, etc. se montrent d’ailleurs souvent très prescripteurs. Ils arrivent avec leurs propres références. S’ils ont travaillé avec tel ou tel consultant par le passé, ils restent souvent en contact avec eux par la suite.
Est-il difficile de gérer cet achat en parfaite collaboration avec les directions générales ? Quelles sont leurs attentes ?
Quand elles doivent prendre des décisions lourdes de conséquences pour l’avenir de l’entreprise, les directions générales s’encadrent souvent de conseils. Un DG va par exemple passer un coup de fil à un consultant qui l’aura conseillé en off, il vérifie ainsi un élément de sa stratégie, récupère une étude par exemple. Les cabinets sont aussi proactifs, ils vont appeler pour passer une info potentiellement importante et susceptible de déboucher sur une mission.
J’ai toujours été impliqué en amont grâce à un bon réseau interne, mais il arrive que, pour ce type d’achat, les acheteurs ne soient pas dans la boucle, notamment quand la mission est très confidentielle. Dans ce cas, a posteriori, je conseille de jeter un œil au contrat et de signaler les éventuels écarts (politique voyages du groupe non respecté par le consultant, NDLR). Cela permet à l’acheteur de montrer une part de sa valeur ajoutée en espérant être dans la boucle la fois suivante, sur une prochaine mission. C’est plus pédagogique.
Comment procédiez-vous concrètement lors du sourcing avec vos clients internes et lors de la mise en concurrence des offres ?
On les challengeait en les encourageant à décrire leurs besoins en évitant que le cahier des charges ne renvoie vers la méthodologie d’un cabinet en particulier. On les poussait vraiment à isoler ce qui était incontournable pour eux. On prévoyait aussi des jalons pendant la consultation. Concernant le processus d’attribution côté prestataires, on utilisait un outil de consultation en ligne permettant aux prestataires de déposer une dernière offre une fois tous les paramètres glanés, mais attention, ce n’était pas un système d’enchères inversées où finalement le coup de marteau final vient couronner l’offre la moins-disante. On menait ensuite un travail d’analyse poussé avec les clients internes. Un programme de partenariat fournisseur (supplier relationship management) dont l’objectif est d’identifier et d’animer ses partenaires stratégiques permet d’élever le niveau des interactions et de nouer des relations privilégiées entre les dirigeants.
Est-il difficile de mettre en concurrence et de comparer deux réponses au même besoin ?
Les cabinets de conseil en stratégie ont tendance à rendre leurs propositions très complexes. Je leur demandais systématiquement une version résumée de l’offre afin de rapidement comprendre ce qui la caractérise. Je demandais aux prestataires de remplir un modèle de remise d’offre élaboré par nos soins, détaillant sa décomposition et le phasage de la mission. Cette préparation me permettait de rendre les offres comparables.
Y a-t-il des faux pas à éviter avec les cabinets de conseil en stratégie ?
Tous les cabinets n’ont pas la même capacité à se remettre en cause. L’obligation d’utiliser notre modèle ne les enthousiasmait généralement pas trop, mais il y a une chose que les cabinets n’aiment vraiment pas, c’est quand on veut négocier le taux journalier d’un consultant que ce soit celui d’un associé ou d’un manager. De plus, personne ne va mesurer le temps passé par un associé sur une mission avec un chronomètre. Donc il est peu pertinent de vouloir négocier la variable temps. Cela ajoute même le risque de dégrader la qualité des livrables remis par le cabinet. De manière générale, il faut éviter d’ouvrir la porte à de la facturation supplémentaire. Il est plus sage de découper les missions selon des jalons convenus d’un commun accord et de ne pas s’engager sur la totalité de la mission d’un coup. En mettant des jalons de go/no go à chaque livrable, on peut se prémunir de déceptions. Si à une étape donnée le livrable ne convient pas, on peut se désengager. C’est un atout pour l’entreprise et pour la société de conseil qui ont la possibilité l’une comme l’autre ainsi de se retirer sans perdre la face ni subir de préjudice.
Quel était le budget conseil en stratégie par an ? Qui au sein du groupe en était bénéficiaire ?
J’ai travaillé sur toutes sortes de missions hormis des plans de réduction des coûts. J’ai sollicité des cabinets pour des acquisitions, des réorganisations de métiers spécifiques au sein de l’entreprise. On a revu l’organisation des forces commerciales d’une entité en retravaillant la typologie de ses activités, par exemple. Le budget des missions de conseil stratégique variait entre 100 000 et 200 000 euros pour des missions standards, celles qui étaient « exceptionnelles » pouvaient aller entre 500 000 euros et un million d’euros. Grosso modo, on gérait entre cinq à dix missions par an mixant ces deux types. Les achats annuels récurrents de conseils oscillaient entre 2 et 3 millions d’euros pour un budget achats hors production de 100 millions d’euros regroupant les prestations intellectuelles, les services généraux (flotte automobile, déplacements), IT, marketing (agences de communication par exemple). Les clients internes bénéficiant de ces prestations étaient surtout les DG, DAF, directions de la stratégie, du marketing et de la R&D.
Emmanuelle Rosse pour Consultor
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