Le halal aiguise les appétits
Cela fait trois ans maintenant que Corporate Value Associates accompagne un fonds d’investissement sur une mission stratégique et opérationnelle pour le développement d’un réseau de distribution de produits halal en France. Récit d’une mission de conseil inédite sur un secteur de niche en pleine expansion, avec Julien Marmonier, le patron du bureau de Paris, et Olivier Vitoux, partner.
C’est une mission au long cours, en plusieurs phases depuis 2018, dans le secteur du retail que le cabinet Corporate Value Associates (CVA) effectue pour un fonds d’investissement – qui n’a pas souhaité rendre son nom public.
Le sujet de la mission qu’il a confiée à CVA : les opportunités de développement et la stratégie d'entrée de ce fonds sur le marché du halal en France, qui fait régulièrement l'objet de polémiques en France. Ce dont le cabinet n'a tenu aucun compte : « Nous l’avons abordé comme un marché de niche, avec la même méthodo, comme nous l’aurions fait par exemple pour le bio », indique Olivier Vitoux.
Le halal alimentaire
Le terme halal désigne ce qui est « permis », « licite ». Il existe des interdits coraniques concernant l’alimentation, à l’instar de la viande de porc ou de la viande d’un animal qui n’a pas subi le rituel d’abattage islamique, des boissons alcoolisées et de nombreux produits transformés (à cause de l’origine d’un des ingrédients ou des additifs). Pour qu’une viande soit déclarée halal, l'animal doit avoir été abattu selon la méthode d’abattage rituelle (Dabihah), la tête tournée en direction de la Mecque et être en état de conscience avant l’égorgement. La viande est ensuite agréée par les organismes de certification halal habilités par la Grande Mosquée de Paris, la Mosquée d’Évry et la Grande Mosquée de Lyon.C'est avant tout l’existence d’un marché à fort potentiel qui a attiré le client de CVA : selon un sondage réalisé par l’Ifop, 67 % des musulmans en France achètent systématiquement de la viande halal. Une population qui comprend entre 4 et 5 millions de personnes, selon une enquête « trajectoires et origines » de l’INED et l’Insee. « La mission consistait à faire une revue de marché détaillée sur l'ensemble de la chaîne de valeur pour identifier les opportunités avec le plus fort potentiel », précise Julien Marmonier.
Premier atout : le prix… En effet, les produits halal restent en général moins chers que leurs concurrents classiques. Étonnant pour une filière très réglementée – à l’instar des normes d’abattage –, qui fait normalement porter le surcoût de production sur ses prix en caisse (c’est le cas du bio qui affiche des prix 35 % supérieurs aux produits des distributeurs).
« Le halal reste très compétitif en termes de prix pour des tas de raisons, les matières premières, les circuits de distribution, les politiques commerciales… », analyse Olivier Vitoux. Un avantage compétitif indéniable pour un nouvel entrant sur ce marché.
Un marché difficilement estimable mais évalué à cinq milliards d’euros en France
Première étape pour CVA : une étude de ce marché de niche en pleine expansion, mais assez méconnu. On ignore, en effet, le poids réel du marché du halal en France (la loi du 6 janvier 1978, dite « loi informatique et libertés » interdit de recueillir et d’enregistrer des informations faisant apparaître, directement ou indirectement, les origines « raciales » ou ethniques, ainsi que les appartenances religieuses des personnes). Une estimation avait été réalisée en 2010 par l’agence de « communication ethnique », Solis, qui avait évalué le secteur du halal à 5,5 Md€, dont 1 Md€ pour les seuls restaurants, avec une croissance de près de 10 % par an.
« Comme il y a très peu d’infos validées et officielles, nous avons commencé par mettre à plat l’ensemble de la chaîne de valeur du marché et d’en faire l’analyse avec les différents acteurs. Nous avons donc mis en place des outils et des analyses quantitatives et qualitatives auprès de consommateurs, distributeurs, organismes de certification, associations professionnelles et publiques, experts sectoriels, anthropologues, et autres parties prenantes, pour avoir la vision factuelle la plus proche de la réalité », éclaire Olivier Vitoux.
Une étude de fond qui a permis aux consultants de tirer deux enseignements majeurs. Premièrement : les personnes de confession musulmane consomment environ entre 1,5 et 2 fois plus de viande que les non-musulmans — ce alors que la consommation de viande recule en France.
Deuxièmement : dans un difficile marché de la distribution alimentaire extrêmement concurrentiel, le halal apparaît comme une nouvelle opportunité de développement et de diversification pour une clientèle élargie.
En effet, selon une étude du Credoc de 2013, un quart des Français, toutes confessions confondues, avait consommé des produits halal. « Le halal peut être un élan de croissance et certains distributeurs l'ont bien compris en proposant leur propre marque. Casino a sa propre marque dédiée. C’est un véritable réservoir de croissance pour les grands distributeurs », avance le patron de CVA Paris.
Même élan du côté de la restauration rapide où les enseignes Quick et O’Tacos sont entrées de plain-pied dans des offres spéciales. Surtout que le marché change. « Le profil des consommateurs change du fait des flux migratoires, des ascensions sociales, des changements des mentalités et de comportements dans les achats », atteste Olivier Vitoux.
Deux premiers points de vente Hello Market à Franconville et à Dugny
À partir de toutes ces nouvelles données, CVA a pu pointer les véritables potentialités du secteur et proposer une stratégie opérationnelle à son client. « Nous avons identifié les zones de valeur, et en particulier la proposition de développement d’un réseau de supermarchés de proximité », confirme Olivier Vitoux.
Et le fonds d’investissement-client a suivi les recommandations du cabinet. Débutée il y a maintenant trois ans, la mission en est aujourd’hui au stade opérationnel. C'était même sa particularité : une fois le volet stratégique de la mission clos, le fonds a demandé à CVA de poursuivre son accompagnement en mode opérationnel. « Nous avions déjà accompagné une entreprise cimentière sur la stratégie et l’exécution d’un réseau de distribution de matériaux de construction dans plusieurs pays en Afrique. C’est notamment pour cela que le fonds d’investissement nous a choisis », atteste l’associate partner, Julien Marmonier.
CVA accompagne donc son client dans l’ouverture effective de deux premiers points de vente Hello Market, à Franconville et à Dugny en Île-de-France ; et la mission se poursuit avec l'ouverture d’autres points de vente. « Nous avons accompagné le fonds d’investissement aussi bien sur le recrutement des équipes, que sur le design des magasins, le marketing et la com’, ou encore le suivi des ouvertures », souligne le partner de CVA.
Et les premiers résultats ont l’air de donner raison à l’initiative. Des clients qui répondent déjà présents, et pour la moitié d’entre eux, ils ne consomment habituellement pas halal… « Nous ne pouvons pas en tirer de conclusions définitives. C'est un marché qu'il faut suivre et analyser de près. Mais ce que l’on reçoit comme premiers retours positifs, c’est que ces magasins ont des atouts qualitatifs et répondent à des besoins qui restaient insatisfaits », tempère Olivier Vitoux.
En tout cas, le halal trouve pleinement sa place dans les problématiques de transformation des habitudes alimentaires auxquelles le cabinet se frotte régulièrement : traçabilité des produits, aliments sans pesticides, bio… Pour Julien Marmonier, c'est clair : « C'est l’un des sujets d’avenir pour nos clients dans le retail ».
Barbara Merle pour Consultor.fr
Crédit photo : London, England - September 01, 2013: Halal Restaurant Sign Adobe Stock.
Un tuyau intéressant à partager ?
Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !
commentaires (1)
citer
signaler
distribution
- 05/12/24
Il avait été débauché en 2019 de Bain après plus de 15 ans dans ce cabinet pour développer la practice Consumer Products/Retail du BCG, et en particulier pour développer le compte Carrefour sur la base de son réseau. Stéphane Charvériat, 56 ans, managing director et senior partner, est sur le départ du Boston Consulting Group (source : La Lettre du Conseil), même si l’info n’est pas encore officielle.
- 28/11/24
Anthony Lallier a pris la direction il y a quelques semaines du laboratoire Native, « afin d’accélérer la croissance internationale de nos pépites françaises de la beauté : Lierac, Phyto Paris et Roger & Gallet », comme cet ancien senior manager de Bain & Company le souligne sur LinkedIn.
- 25/11/24
L’Autorité de la Concurrence (ADLC) a prononcé une amende record de 470 millions d’euros contre Schneider Electric, Legrand, Sonepar et Rexel. Ce dernier se voit accorder un abattement de 20 % en raison de ses efforts pour réformer ces pratiques – le BCG ayant été missionné par Rexel à cette fin en 2013.
- 12/11/24
Après 4 ans chez Roland Berger, Juliette Poiret s’est lancée dans une aventure entrepreneuriale ancrée dans l’écoresponsabilité. Depuis 2021, sa start-up, La Tournée, se développe en Île-de-France via un principe de livraison-récupération des contenants.
- 06/11/24
Baptiste Rouesné, un alumni du BCG, annonce une levée de fonds de près de 7 millions d’euros pour la start-up qu’il a rejointe en 2020 et dont il est le CEO, UV Boosting. Une Agritech/Deeptech fondée il y a 7 ans par le start-up studio TechnoFounders, fondé par trois anciens de McKinsey, Yves Matton, Pierre et Olivier Le Blainvaux.
- 22/10/24
DNVB pour Digital Native Vertical Brands. Elles sont nées en 2007 avec la création de la marque de prêt-à-porter US Bonobos par deux alumnis de Bain diplômés de Stanford, Andy Dunn et Brian Spaly. Des e-marques qui se sont largement déployées depuis les années 2010. Près de 20 ans plus tard, les DNVB sont devenus des incontournables du paysage du retail, mais connaissent des fortunes diverses. L’analyse de ce marché « virtuel » avec cinq consultants experts du secteur retail : Vincent Redrado de Digital Native Group (DNG), Jean-Marc Liduena de Circle Strategy, François Cousi de PMP Strategy, Laurence-Anne Parent et Hamza Benhaddou d’Advancy.
- 11/10/24
Laurent Lemarchand deviendra DG de NatUp le 1er janvier 2025, après en avoir dirigé l’innovation, le développement et les agro-industries.
- 07/10/24
Après 2023, année noire pour le prêt-à-porter en France, le secteur peut-il retrouver des couleurs en 2024 ? Exploration des disruptions à l’œuvre avec Céline Pagat-Choain, senior partner chez Kéa, spécialiste luxe, mode et retail.
- 25/09/24
L’ancien project leader du Boston Consulting Group, Hugo Bony, 42 ans, est en passe au 1er octobre de prendre la direction d’un groupe familial français coté, Graines Voltz, l’un des premiers distributeurs européens de semences et de plants de fleurs et de légumes, en succédant au fondateur de l’entreprise, Serge Voltz.