Comment la Grande Muette a coupé dans ses dépenses de conseil
Dans la ronde des auditions au Sénat, c’était au tour de Florence Parly, ministre des Armées, de répondre aux questions de la commission sénatoriale. Avec une ligne directrice : celle de l’engagement de son ministère dans la réduction des missions de conseil.
Il est un ministère qui recourt lui aussi en masse aux cabinets de conseil en stratégie (relire notre article ici), doté de son propre accord-cadre en cours de renouvellement d’un montant de 50 millions d’euros sur quatre ans (contre 87 millions d'euros pour celui de 2018).
Florence Parly a ainsi exposé devant le Sénat la politique ministérielle de réorganisation des achats de conseil mise en place depuis 2015, à la suite du rapport de la Cour des comptes de 2014 sur les différents manquements du service public dans le recours aux consultants.
« La multitude des pouvoirs adjudicateurs pointée par la Cour des comptes était un facteur de risques, en particulier de duplication des efforts. Le ministère des Armées a donc procédé à une forte rationalisation de la fonction achat… La mise en oeuvre de cette politique, adoptée par chacun des grands subordonnés du ministère, autrement dit le chef d'état-major des armées, le délégué général pour l'armement et la secrétaire générale du gouvernement, repose sur un processus de décision très complet, qui nous permet de nous assurer, d'une part, que le besoin est avéré et, d'autre part, que tous les enjeux ont été appréhendés », a-t-elle commentée devant les sénatrices et sénateurs de la commission.
Une politique initiée par son successeur Jean-Yves le Drian sous la présidence Hollande, que la ministre Florence Parly a poursuivie depuis son entrée en fonction en 2017.
Pour répondre au défaut de pilotage (relevé par la Cour des comptes) dû à la multiplicité des pouvoirs adjudicateurs autorisés à contractualiser les prestations de conseil – plusieurs centaines selon les propres chiffres de la ministre –, il a été décidé en 2018 de n'habiliter plus que deux d’entre eux : le secrétariat général pour l'administration (SGA) qui est habilité pour l’ensemble des prestations, à l'exception du domaine du numérique pris en charge, lui, par la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information de la Défense (DIRISI).
Depuis 2018, le cabinet de la ministre valide également toute demande d’accompagnement pour les prestations en stratégie et en organisation (le secteur du numérique également depuis 2021). Une réponse à la Cour des comptes qui soulignait « la nécessité de justifier plus systématiquement le recours aux consultants extérieurs et de renforcer la maîtrise d'ouvrage pour réunir les conditions permettant d'atteindre les objectifs fixés » dans son rapport de 2014.
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Comme dans le reste de l’administration de l’État, la Grande Muette s’est ouverte de manière croissante au recours aux consultants externes, notamment les stratèges.
Tout comme pour les autres ministères, à l’exception notable que la Défense a ses propres marchés de conseil. Les consultants interviennent sur tout type de sujets, même les plus sensibles, et même quand ils proviennent de sociétés internationales. Enquête sur un marché de conseil en stratégie à part.
Comment le ministère a développé une structure de conseil interne
Autre décision de la ministre, la création début 2020 de la délégation à la transformation et à la performance ministérielles (DTPM), une entité interne de prestations de conseil de 25 agents rattachée à la secrétaire générale pour l'administration, Claire Landais (auditionnée quelques jours plus tôt). « La DTPM intervient sur quatre thématiques majeures : écoute et parcours usagers ; simplification des processus ; transformation des métiers ; et accompagnement du changement. Elle constitue une réelle offre alternative pour un bon nombre de démarches en accompagnant les états-majors, directions et services dans la mise en place de leurs projets de transformation », a assuré la ministre des Armées.
Conséquence de ce contrôle renforcé : sur 41 demandes de prestation de conseil pour l’année 2021 (hors numérique), seules 14 ont été retenues. « Ce qui prouve que des solutions alternatives ont été trouvées. Le processus peut encore être perfectionné, mais nous sommes satisfaits des premiers résultats », a amendé Florence Parly.
Le président Arnaud Bazin, sénateur LR du Val d’Oise, cherche aussi à comprendre comment la ministre compte atteindre les objectifs fixés par la circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022 imposant aux ministères de réduire de 15 % (par rapport à 2021) le montant des conseils en stratégie et organisation. Une ambition qui intègre parallèlement l’accord d'un comité d'engagement pour toute commande supérieure à 500 000 euros.
« Des accords-cadres se sont succédés depuis 2014, dont le dernier, négocié en 2021, prévoit une réduction significative de notre enveloppe de conseil. Le « droit de tirage » [plafond de dépenses – ndlr] avait été fixé à 105 millions d'euros pour la période 2018 à 2021. Pour les quatre prochaines années, il est amputé [et atteint] 40 millions d'euros. Nous sommes confiants et nous veillerons à tenir cette enveloppe sans compromettre la réponse aux besoins du ministère des Armées », a soutenu Florence Parly.
Et pour tenter d’avoir un véritable retour sur l’efficacité des missions de conseil, autre sujet épineux récurrent (relire notre article), Florence Parly exige de ses collaborateurs un bilan systématique de la prestation. « Nous demandons au bénéficiaire de remplir un document qui comporte des critères d'appréciation tels que la qualité des livrables par rapport aux attentes initiales, le respect des délais, l'adéquation des profils d'experts mobilisés par le fournisseur de prestation, sa capacité d'innovation ou encore la rigueur mise en oeuvre dans le pilotage du projet. »
La commission sénatoriale a enfin interrogé la ministre sur un sujet pour le moins délicat, celui de l’accès aux données ultrasensibles de la Grande Muette par des consultants, la plupart du temps de grands cabinets anglo-saxons.
Et le président Arnaud Bazin de questionner la ministre sur la procédure d'habilitation niveau secret. « C'est une habilitation qui est délivrée à la suite d'une investigation menée par la direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD), dont c'est le travail. »
Elle est réalisée lors du recrutement des militaires, mais également pour les personnes collaborant avec le ministère, dont les consultants. Pour autant, Florence Parly reconnaît ne pas connaître le nombre de consultants habilités chaque année. « Nous pourrons vous le fournir. Là, je n'en ai pas la moindre idée. »
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