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Big Four dans la stratégie : 2 gagnants et 2 perdants

Il y a 12 ans Deloitte rachetait Monitor et lançait Monitor Deloitte. Un top départ des marques « stratégie » chez les Big Four. Les trois autres ont suivi au fil des ans. Aujourd’hui, en France, deux d’entre elles se portent au mieux, Strategy& de PwC et EY-Parthenon, quand les deux autres connaissent des difficultés, la pionnière, Monitor Deloitte et la dernière en date, GSG by KPMG. Comment expliquer ces fortunes diverses ?

Barbara Merle
07 Jan. 2025 à 05:00
Big Four dans la stratégie : 2 gagnants et 2 perdants
© nataba/Adobe Stock

 Le point avec des associés et ex-associés de ces cabinets en France : Édouard Bitton de Strategy&, Stephan Bindner et Frédéric Fessart d’EY-Parthenon, Cyril Gay Belan, ancien associé de Monitor, chef d’orchestre du lancement de GSG by KPMG, Jean-Charles Ferreri, alumni de Monitor et de GSG.

Confiants dans leur leadership international sur l’audit, les Big Four ont voulu se doter d’un pôle conseil en stratégie, intégré à leurs offres de consulting. « Ils ont de très grandes forces pour lancer des activités stratégie : le réseau international, le multi-compétences, la couverture large des comptes, la résilience financière et la capacité d’investissement », détaille Jean-Charles Ferreri, chez Monitor entre 2015 et 2018, puis chez Global Strategy Group (GSG) jusqu’en début d’année 2024 (aujourd’hui senior partner chez eleven). Avec l’idée d’apporter une nouvelle corde à leur arc « conseil » déjà bien garnie et de compléter leur offre d’expertises, en particulier auprès des directions générales.

Une vague « stratégie »

Le premier d’entre eux, Deloitte, qui, après le rachat du cabinet Monitor en 2012, lance la marque Monitor Deloitte Paris en 2013 : 35 consultants avant le rachat, 80 en 2019, dirigés par une quinzaine d’associés (un maximum en 2018), en débauchant des partners de la concurrence dès 2014, notamment Jean-Charles Ferreri, Jean-Marc Liduena, Cyril Gay Belan, et Grégory Morel, tous issus de Roland Berger.

Les trois autres géants de l’audit ont enchainé plus ou moins rapidement. PwC a lancé Strategy& en 2014 (à la suite du rachat de Booz & Company), EY a créé EY-Parthenon en 2014 (à la suite du rachat du cabinet Parthenon), puis a ouvert le bureau français d’EY-Parthenon 3 ans plus tard (réunissant les équipes de Greenwich et d’OC&C Paris arrivées chez EY en 2013 et 2017), quand KPMG s’est doté de GSG en 2019… « Avec une conviction forte que la stratégie est une activité synergique eu égard aux autres activités. Et inversement que les expertises métiers et fonctionnelles, mais aussi le potentiel de relais des centaines d’associés de l’ensemble des Big Four enrichissent la proposition de valeur. Ensuite, il y a le mythe et la réalité, tout n’est pas synergie », témoigne Cyril Gay Belan, recruté depuis chez Monitor pour créer l’entité GSG France de KPMG.

Des maisons-mères, et leurs quelque 300 à 400 000 collaborateurs experts dans le monde, versus conseil en stratégie… du gagnant-gagnant théoriquement, appuie Jean-Charles Ferreri. « Leurs activités facilitent le développement du conseil par adjacence : opérationnel et financier en premier lieu, puis il y a la tentation naturelle de chercher à monter dans la valeur ajoutée et de diversifier, dont la stratégie ; Deloitte US, à ce titre, est une magnifique réussite et l’exemple dans le secteur. »

Un verre à moitié plein

Et pourtant ! GSG by KPMG, qui avait atteint un partnership en France de 6 associés en 4 ans, ne compte aujourd’hui plus qu’un partner, Reza Ghafoorzadeh Nobar ; les autres sont partis entre 2023 et 2024 à la concurrence (seul Grégory Morel évolue ailleurs au sein du groupe). « Pour moi, l’aventure de KPMG se terminait, notamment avec les limites des partnerships locaux et du channel 1 (la réglementation de l’audit, ndlr) des Big Four. Et puis, cela s’est concrétisé avec le rapprochement entre la stratégie et le deal », expliquait Cyril Gay Belan alors à Consultor en juin dernier lors de son départ.

Quant à Monitor Deloitte Paris, après une belle percée les premières années, revendiquant des taux de croissance de 30 à 50 % par an et atteignant la quinzaine de partners, le cabinet a connu des remous entre 2017 et 2018. En cause, des nominations controversées en interne qui ont déclenché l’ire d’une grande partie du partnership contre la gouvernance de Deloitte Consulting France, la qualifiant même d’« incompétente » (dans un courrier interne alors adressé à la direction de Deloitte France). Résultat : départ de 6 partners fin 2018 et 2019 et de 3 en 2020. Depuis, le cabinet a promu, recruté, mais a du mal à pérenniser son effectif. À ce jour, Monitor s’appuie sur 7 partners selon les décomptes de Consultor.

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En revanche, leurs homologues EY-Parthenon (36 associés) et Strategy& (24 associés, et un partnership qui a bondi de 40 % en 2023) affichent des taux de croissance à deux chiffres et continuent d’étoffer leurs équipes. « Nous avons eu une jolie croissance, une super année 2024 dans le cadre d’une stratégie volontariste, et avons aussi nourri d’autres activités, notamment le consulting », se réjouit Edouard Bitton de Strategy&, depuis plus de 20 ans chez PwC, un ancien d’EY.

Le succès d’EY-Parthenon ? Stephan Bindner, le leader France, l’explique par l’investissement massif et mondial d’EY sur le métier de conseil en stratégie. « Ce qui a été aussi une clef dès le début, c’est l’acceptation par EY des spécificités du conseil en stratégie, impliquant d’avoir un modèle de gestion des talents adapté, avec des recrutements et des gestions de carrière différents, et un modèle économique distinct, avec des TJM plus élevés, mais des projets en moyenne plus petits et plus courts, induisant des taux d’encadrement et de staffing souvent inférieurs aux autres service lines. » Selon la tête de pont d’EY-Parthenon en France, le cabinet a aussi rapidement su établir une masse critique dans le monde (plus de 10 000 consultants) et à Paris (plus de 200 consultants), « indispensable pour positionner durablement la marque comme une référence du marché à la fois auprès des clients et des candidats ». L’un des autres « secrets » de réussite, d’après l’associé Frédéric Fessart, est « d’avoir une équipe stable depuis le début, avec des associés heureux, qui résistent aux sirènes continues des autres grands cabinets ».

Les choix stratégiques en question

Les raisons de ces fortunes diverses sont multiples. Impossible d’avoir la version en interne pour GSG et Monitor qui n’ont pas répondu à notre sollicitation. « Certains ont mis le conseil, et en particulier le conseil en stratégie, au cœur de leur stratégie, reconnait Cyril Gay Belan. EY-Parthenon ou Strategy& ont un modèle mondial agrégateur de nombreuses compétences. Alors que chez KPMG-GSG, les modèles sont locaux, souvent rattachés aux activités de deal, avec un pilotage décentralisé de l’activité, ce qui crée des différences et une certaine hétérogénéité d’un pays à l’autre. »

Chez KPMG, en effet, le choix a été fait de renforcer l’activité deal, un arbitrage post-covid lié aux difficultés du marché. En 2020, GSG a été raccrochée au deal advisory, entériné en 2023 par un ensemble deal-strategy. La mayonnaise ne prend pas. Une décision trop tardive, prise en période de crise ? Probablement… Conséquence : les partners ont depuis quitté le navire GSG. Grégory Morel, associé à la tête de GSG depuis octobre 2023, a rejoint en septembre dernier le pôle Expertise services conseil et Gestion sociale de ce Big Four (en charge de la stratégie, du M&A et de la transfo). Aujourd’hui, la gouvernance de KPMG se pose aussi la question de revoir son périmètre fonctionnel (une éventuelle cession de la comptabilité et une réflexion quant à l’avenir du consulting…).

Du côté d’EY-Parthenon, le rapprochement entre la stratégie et la transaction acté en 2020 a été « un move gagnant », d’après Stéphan Bindner ; la nature et les modes de travail entre ces deux spécialités seraient très complémentaires et souvent plus proches qu’avec certains métiers du consulting (notamment le conseil IT).

Une histoire de conjoncture

La situation conjoncturelle peut expliquer en partie la donne, selon un associé passé par ces deux cabinets. « Quand les activités cœur type consulting des Big Four ne vont pas bien, les activités périphériques, comme la strat, qui représente de 5 à 10 % du chiffre d’affaires conseil souvent, peuvent être aussi mises sous pression, y compris de manière artificielle, “pour montrer l’exemple”, et cela ne facilite pas la rétention des talents. » Car il ne faut pas oublier qu’il faut « beaucoup d’investissement pour développer une activité de conseil en stratégie ». La situation semblerait conjoncturelle pour Monitor, due à « un aléa temporaire sur le marché français pour cette marque mondiale ».

Edouard Bitton, managing partner de Strategy&, explique ce qui fait pour lui la différence dans un contexte de marché tendu. « Nous sommes arrivés à un niveau de maturité suffisant sur différents marchés, qui se traduit d’une part par une confiance renouvelée de nos grands clients, et d’autre part par de grosses opérations de transformation, qui nous permettent d’avoir un volant d’activité sur plusieurs mois, voire plusieurs années, qui nous permet de sécuriser et de disposer d’une belle visibilité sur notre topline. Tout en crantant chaque année de nouveaux clients. Et, depuis 2 ou 3 ans, nous avons décidé d’une stratégie d’investissement ciblée sur nos grands clients. » Résultat, le cabinet en croissance constante continue de recruter – un nouveau partner Biens de consommation, Samuel Cazin, a récemment rejoint le cabinet – avec l’ambition d’atteindre les 250 consultants à court terme (200 à date), et « on ne s’interdit pas d’arriver à 350 dans les prochaines années ! », annonce Edouard Bitton.

Le frein du channel 1 ?

Ce qui ferait également blocage selon les experts : la priorisation/le poids de l’audit sur l’activité conseil en stratégie. « Ça ressemble un peu à l’histoire de Boeing, avec ses dix couches de financiers qui plantent les ingénieurs qui savent construire des avions. Chez certains Big Four, vous avez dix couches d’experts-comptables qui croient savoir piloter des activités de consulting, opérationnel comme stratégie », explique un ex-associé anonyme.

L’audit qui priverait par ailleurs les consultants en stratégie l’accès à certains clients/certaines missions/certains appels d’offres, comme l’explicite Jean-Charles Ferreri. Selon lui, en France, le marché serait en effet plus compliqué qu’ailleurs pour les Big Four. En cause, le double commissariat aux comptes (l’obligation de nommer deux commissaires aux comptes, CAC, issus de cabinets d’audit différents), une spécificité française, excluant leurs entités stratégie d’une part du marché non négligeable.

C’est pour cette raison que EY avait lancé en 2023 son projet Everest visant à la scission entre audit et conseil ; projet avorté, pour l’instant, le Big Four continuant d’étudier différentes solutions. Mais ce channel 1 ne serait pas pour autant une véritable problématique, selon l’associé d’EY-Parthenon, Frédéric Fessart, et ce, alors même que EY « est parmi les mieux implantés en France sur le commissariat aux comptes des entreprises du CAC 40 et du SBF 120 ». Une question de « masse critique et de marque forte reconnue », mais aussi de taille du marché, « nous ne pouvons jouer sans contrainte channel 1 que sur deux-tiers du marché, mais c’est déjà énorme ! ».

Avoir un Big Four comme maison-mère, un frein ? Pas tant que cela non plus aux yeux d’Edouard Bitton de Strategy&, voire au contraire. « Nous sommes convaincus que notre pluridisciplinarité est une force. L’audit est plutôt un élément qui nous aide, en particulier lorsque nous quittons le commissariat aux comptes de grands clients du CAC40. Et puis, certaines missions sont autorisées pour les clients dont nous sommes CAC (notamment en Transaction Services). »

Audit et stratégie, deux mondes incompatibles ?

En cause également, des difficultés rencontrées d’après Cyril Gay Belan, une connaissance hétérogène et souvent insuffisante de la part des géants de l’audit du secteur de la stratégie. Cet ancien de GSG et de Monitor pense que leur vision erronée de la stratégie, bien souvent réduite à la réalisation de plans stratégiques, peut « créer des incompréhensions et une certaine forme de concurrence entre les différentes activités. »

Une question de culture, comme l’ironise un partner qui souhaite rester discret. « Chez ces Big Four, il existe encore des matrices rigides, des hiérarchies de cour Louis XIV et des cultures surannées ; cela pénalise le développement du conseil et fait fuir les Gen-Z et même les Gen-Y ; le chemin reste long… » Pour l’alumni de GSG et de Monitor, Jean-Charles Ferreri, cela relèverait même du défi de maintenir des cultures et des populations très différentes dans la même organisation. « Pour monter en conseil, il faut accepter la diversité culturelle, respecter l’entrepreneuriat et limiter les contraintes ; Deloitte et ses marques, comme Deloitte Digital, Monitor Deloitte, sont plus en avance que les autres. Parthenon a su garder les talents à la suite de belles acquisitions qu’ils ont su préserver et développer. »

Autre point de blocage, la gouvernance, avec un nécessaire pilotage à la fois fin et fort au sein du partnership global pour éviter les rivalités, blocages et doublons internes, que Strategy& a su mettre en place. « Nous avons vécu des tensions dans le passé, mais de façon mineure, des cas isolés. Aujourd’hui, la priorité, c’est le collectif, dit Edouard Bitton.

Notre comité d’investissement définit les priorités et les enjeux de chaque activité. Nous partageons nos besoins et charge au comité de les accepter ou non. Ensuite, nous bénéficions d’une véritable autonomie de gestion, très appréciable, et cela, tant que nos choix sont pertinents et qu’ils fonctionnent, bien sûr. »

Avec une nécessaire conscience de l’intérêt partagé selon Stephan Bindner d’EY-Parthenon pour qui, malgré la taille de l’entreprise, y règne un « esprit entrepreneurial, où chacun a le choix de développer son business en toute autonomie ». Mais aussi une collaboration fluide entre les différents pôles de la firme. « Les KPI incitent à la collaboration avec les autres service lines, tout en préservant un bon équilibre entre ce qu’ils doivent vendre et délivrer dans leur service line et ce qu’ils doivent aider à vendre ou délivrer en dehors. Chacun comprend donc naturellement son intérêt à partager son carnet d’adresses et ses compétences », appuie le chef d’orchestre du cabinet en France.

Il est aujourd’hui difficile de savoir si GSG et Monitor vont trouver une voie pérenne à terme dans le conseil en stratégie. Car, au vu de la diversité de la situation des marques stratégie des Big-4, il n’existe pas une seule recette. À chacun de trouver sa propre stratégie.

EY Parthenon Strategy& Cyril Gay Belan Edouard Bitton Frédéric Fessart Jean-Charles Ferreri
Barbara Merle
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