Split EY : une pause et de nombreuses questions
Mercredi, la patronne des activités US d’EY qui représentent 40 % des 45 milliards de dollars d’activité du Big Four dans le monde a indiqué aux partners du pays que la séparation des activités d’audit et de conseil en gestation depuis un an et demi devait être retravaillée.
- Big Four dans la stratégie : 2 gagnants et 2 perdants
- La scission audit/conseil à l’agenda du nouveau dirigeant d’EY France
- Coulisses – EY : comment le coup d’après se prépare
- Le « Split EY » renvoyé aux Calendes grecques
- Big Four + conseil = je t’aime, moi non plus (le retour)
- EY : la scission du conseil et de l’audit entre dans le vif du sujet
- Audit et conseil : le début du divorce ?
- Jusqu’où EY veut-il aller dans le conseil ? Le président pour la France répond à Consultor

Des nouvelles du colossal plan de séparation – surnommé Project Everest – des activités d’audit et de conseil introduit par le président d’EY dans le monde, Carmine Di Sibio, le 8 septembre 2022.
Dans un article publié par le Financial Times le 6 mars 2023, le quotidien indique que le vote des 13 000 partners du monde entier sur le projet – en gestation depuis novembre 2021 – a de nouveau été repoussé.
Voire même mis en pause : dans un call aux partners US mercredi 8 mars 2023, Julie Boland, la patronne des activités US, a indiqué toujours selon le FT que le split allait se poursuivre, mais devait être mis en pause le temps d’être retravaillé. Sans indiquer le temps que cette pause pourrait prendre. Mis sous pression, Carmine Di Sibio se voulait rassurant dans un message adressé aux équipes du cabinet jeudi : les prochaines semaines devraient permettre d’ajuster les modalités du split, a-t-il indiqué dans un message interne, tout en précisant qu’il gardait un « haut niveau de confiance » dans la réalisation de la scission.
Des remous qui laissent penser qu’un vote n’est pas encore pour demain. D’abord prévu en novembre 2022, puis au premier trimestre 2023, le vote serait à présent prévu pour avril ou mai 2023.
Aucune date encore en France du moins. Des partners indiquent anonymement à Consultor – interdiction formelle a été passée aux 350 partners de prendre la parole sur le sujet – que le split suit son cours et qu’aucun contre-ordre n’a été donné au sujet de la séparation.
Mais certains ont quitté le navire, échaudés par les conditions financières corrélées à la séparation jugées insuffisamment avantageuses – à l’instar d’Arthur Chabrol qui a tout récemment rejoint Oliver Wyman. D’autres partners chercheraient également à partir.
De nombreux points d’interrogation
En tout cas, la séparation pose encore question à tous les niveaux de la firme.
Côté consultants d’abord : l’un d’eux dit au FT que le flottement actuel est « perturbant dans les grandes largeurs, parce que toutes les strates de gouvernance chez EY tiennent leur propre réunion Everest », indiquant que même des personnes qui ne sont pas directement concernées dans l’immédiat peuvent avoir plusieurs calls par semaine à ce sujet.
De même, des dizaines de milliers de personnes dans les RH ou la communication ne savent toujours pas quelle entité elles rejoindront.
Il y a aussi le coût de réalisation de la scission : il est estimé à 2,5 milliards de dollars, ne serait-ce que pour le temps qu’y consacrent Goldman Sachs ou J.P. Morgan qui, dès février 2022, avaient été mandatés sur une étude de faisabilité quant à une introduction en bourse d’EY.
Puis, et ce n’est pas la moindre des choses, l’organisation de la scission : selon des informations de Consultor à l’ancienne organisation opérationnelle du groupe est à présent superposée la future organisation opérationnelle, les deux devant être juxtaposées jusqu’à la réalisation de la séparation. Agilité, quand tu nous tiens.
Dans ce contexte, la majorité des 13 000 partners (7 000 dans le conseil, 6 000 dans l’audit) nécessaire à la réalisation de la scission est encore loin d’être acquise.
41 % des auditeurs EY sondés aux US sont contre
Un sondage réalisé par Fishbowl – un réseau social professionnel – pour le FT auprès de 2 172 salariés d’EY à 90 % aux US (auditeurs, consultants et autres) montre qu’au total 39 % sont pour le split, 29 % contre et 32 % encore indécis. Une opposition qui descend à 24 % chez les consultants, mais qui explose à 41 % chez les auditeurs. Interrogé au sujet de ce sondage, EY l’a jugé totalement non représentatif.
La partie est donc loin d’être gagnée. Le projet de scission a donné lieu encore ces derniers jours à une très intense réunion des représentants des partners audit et des partners conseil. Ces prochains jours, les dirigeants exécutifs mondiaux d’EY doivent faire parvenir aux partners dans le monde des informations détaillées quant aux contours du split.
De l’idée à la pratique
Car si les partners interrogés par le quotidien économique indiquent tous être d’accord sur le principe, tous disent également être dans l’attente de précisions sur les conséquences de la scission.
Sur le papier, ses raisons sont lisibles.
La séparation éviterait de potentiels conflits d’intérêts entre les métiers réglementés dits de channel 1 (commissariat aux comptes) et ceux dits de channel 2 (le conseil notamment).
La séparation préviendrait la réitération de ratés d’audit majeurs qui ont alimenté les mises en garde du régulateur britannique notamment.
Mais l’atterrissage de cette séparation est lui très complexe.
La scission prévoit la création de deux structures distinctes, se répartissant les 42,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires à 40 % pour l’audit et 60 % pour le conseil.
La nouvelle entité conseil serait introduite en bourse. Ses actions seraient attribuées à 70 % aux partners, 15 % aux autres salariés et les 15 % restants à des actionnaires tiers. Cette vente de 15 % du capital de la nouvelle structure, EY en escompte 11 milliards de dollars et une valorisation globale en bourse de l’ordre de 77 milliards de dollars. Auxquels la firme ajouterait 18 milliards de dollars d’endettement. Soit au total une « entreprise à 100 milliards de dollars » comme les dirigeants exécutifs l’ont promue en interne.
30 milliards de dollars serviraient à payer les partners audit qui resteraient dans le business historique – le plus stable, mais qui croît le moins vite. Le plan de scission prévoit que leur sera versé l’équivalent de 2 à 4 packages annuels, soit 2 millions de dollars par partner au moins au Royaume-Uni et aux États-Unis.
Des conditions de marché moins favorables
Un montage déjà complexe rendu encore plus incertain par des conditions de marché moins favorables aujourd’hui qu’elles ne l’étaient il y a quelques mois.
La dette est devenue plus chère, les valorisations en bourse ont baissé, KPMG et McKinsey prévoient de réduire leurs effectifs.
Dans ce contexte, le deal passé auprès des partners du consulting paraît instable : recevoir – sur 5 ans – des actions de la nouvelle entité équivalentes à 7 ou 9 fois leur rémunération annuelle.
Car l’Ebidta des activités de conseil d’EY dans le monde consulté par le FT ressort à 4,4 milliards de dollars, environ la même chose qu’Accenture.
Tout le sujet est le multiple de cette marge auquel les activités de conseil d’EY seraient valorisées en bourse. La valorisation boursière d’Accenture a atteint un pic de 22 fois son Ebitda en 2021, et plusieurs acquisitions dans le conseil ont été motivées par des multiples Ebidta de 20 ou plus.
A fortiori, les partners conseil sont échaudés par l’abandon du modèle du partnership. La nouvelle entité cotée leur garantirait une rémunération salariée, des actions qu’ils pourraient ultérieurement revendre, mais plus les packages variables auxquels peuvent prétendre les associés d’un partnership.
Surtout qu’ils devront également consentir une baisse de cette rémunération fixe, concédée en contrepartie d’une cession qui doit davantage leur bénéficier en termes de croissance.
Le plan de scission table sur une accélération des marges du conseil et un chiffre d’affaires en hausse de 15 à 20 % par an sur les trois premières années. L’entité conseil nouvelle version pourrait s’ouvrir le marché du conseil aux géants de la tech, par exemple Alphabet, Amazon ou Salesforce, dont EY est aujourd’hui l’auditeur – et qu’EY Consulting ne peut donc pas approcher pour des raisons réglementaires.
Malgré ces perspectives, la baisse de rémunération fixe pourrait atteindre jusqu’à 50 % pour les partners les plus seniors, selon un principe de barème différencié allant des partners les plus juniors aux plus seniors.
Enfin, les règles prévues pour la revente des actions cédées aux partners conseil et les délais de rétention pendant lesquels les départs de consultants ne seront pas possibles ont également été renforcés.
Un tuyau intéressant à partager ?
Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !
commentaires (1)
citer
signaler
Monde
- 13/03/25
Sur le site du BCG, la page « Diversity, Equity & Inclusion » n’existe plus dans sa configuration de 2024. Chantre de la DEI et de son conseil dédié, le cabinet pourrait-il y renoncer ?
- 12/03/25
C’est le cabinet d’avocats d’affaires Gleiss Lutz en charge de l’opération qui l’a révélé début mars.
- 07/03/25
L’acquisition d’ET Medialabs (ETML) vise l’Asie, une équipe « intégrée » McKinsey-ETML étant mise en place pour servir les opérations de marketing digital des clients du cabinet.
- 05/03/25
Simon-Kucher va aider le Fonds mondial pour la nature (WWF) dans sa quête de partenariats avec des entreprises en fournissant une expertise stratégique aux bureaux de l’ONG dans le monde entier.
- 04/03/25
Thomas Kœgler, 4 années passées chez Cylad, promu CEO d’Asmodee en août dernier, voit sa société faire son entrée au Nasdaq Stockholm, la principale bourse de valeurs des pays nordiques. Une société française spécialisée dans les jeux de société (re)connue notamment pour ses jeux vedettes : Les Aventuriers du Rail, Dixit, Splendor, ou encore 7 Wonders.
- 28/02/25
Pour Marcus Berret, l'un des trois patrons mondiaux de Roland Berger, « c’est le caractère qui crée l’impact » – et non l’appartenance culturelle ou le genre.
- 27/02/25
Olivier Asset, 36 ans, basé au bureau de Chicago de L.E.K. Consulting (quelque 150 consultants), membre de la practice Industrials, est promu partner, après y avoir évolué un peu plus de 12 ans. Il fait partie des 10 nouveaux associés du cabinet au niveau mondial à intégrer le partnership en ce début d’année (aucune promotion en France).
- 26/02/25
Booz Allen, Accenture, Deloitte, KPMG : les renoncements aux politiques de diversité-équité-inclusion (DEI) se sont succédé en février 2025. Quel impact pour les cabinets de conseil en strat’ ?
- 26/02/25
Il est précisément présenté comme l’Envoyé spécial du Président pour l’investissement et la coopération économique avec les pays étrangers, officiellement depuis le 23 février 2025. Kirill Dmitriev, bientôt 50 ans, très proche de Vladimir Poutine, depuis 13 ans à la tête d’un fonds souverain russe, le RDIF, doté de 10 milliards de dollars pour co-investir dans l’économie russe, a débuté sa carrière chez McKinsey, à Los Angeles, Prague et Moscou.